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#Investigation : Le “Chemin vert”, un refuge qui permet aux enfants de grandir malgré tout...

Enfants placés, grandir malgré tout

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Le Chemin vert est une institution qui accueille des enfants qui ont vécu des tragédies familiales. Une soixantaine d’enfants de tous les âges y sont logés. Ils ont souvent été éloignés de leurs familles à la suite de maltraitances psychologiques ou physiques… Parfois pire. On y place aussi certains enfants lorsque leur famille vit dans des conditions qui ne sont pas compatibles avec la dignité humaine. Une centaine d’éducateurs, de psychologues entourent cette soixantaine d’enfants et tentent de leur offrir une nouvelle vie. Nous avons partagé l’intimité de ce groupe pendant 10 jours. Nous nous y sommes frottés à ce que l’humanité fait de pire… Et de meilleur. 

Le Chemin vert, c’est un ensemble de bâtiments regroupés au centre de Chimay. Des enfants et adolescents y vivent pour des périodes allant de quelques mois à plusieurs années. Certains y passeront toute leur enfance et leur adolescence.

Au départ, les enfants se méfient de cette équipe télé. Ils n’ont pas envie de s’exposer. Mais avec le temps, l’atmosphère se détend et les premières rencontres se font naturellement. C’est le temps des premières confidences. Camille évoque un moment clef pour tous ces enfants. Celui où ils sont séparés de leur famille. Un évènement synonyme de douleur dans un premier temps, puis petit à petit, de soulagement.

Je suis arrivée au Chemin Vert, il y a 8 ans. Je n’avais que 6 ans. Je me souviens du moment où j’ai quitté ma mère. J’étais au palais de justice de Charleroi, et on m’a demandé de dire “au revoir” à ma maman… Je n’avais pas de souvenir Woouah avec ma maman, mais bon Pendant deux ans, ma maman m’a manqué et puis après j’ai compris que c’était pour mon bien et qu’il valait mieux que je sois ici au Chemin vert. Aujourd’hui, ma maman et moi, on a une relation un peu particulière, on ne se parle pas trop. Je sais comment elle est, et j’ai abandonné l’affaire depuis longtemps.

Les enfants sont encadrés jour et nuit
Les enfants sont encadrés jour et nuit © RTBF

En Fédération Wallonie Bruxelles, il y a 175 services qui mettent en œuvre une mission d’hébergement d’enfants à la suite d’une décision dun service de l’Aide à la jeunesse (SAJ) ou du service de protection de la jeunesse (SPJ). Au total, côté francophone du pays, 2999 enfants ou adolescents sont logés dans ces services.

Pour tous ceux qui travaillent dans ces centres, être forcé de séparer un enfant de sa famille reste un échec, même si parfois on n’a plus choix… Ils font donc tout pour éviter cette séparation.

Pour cela, les éducateurs de l’institution vont sur le terrain, au sein même des familles. Le but est d’améliorer les conditions d’éducation de l’enfant qui vit encore avec ses parents et d’éviter autant que possible de le placer. Un défi difficile : la rupture parents-enfants n’est jamais loin selon Loïc Dujardin, intervenant social du service d’accompagnement.

Je travaille au départ, sous le mandat du SAJ voire du SPJ. Mais clairement, l’idée c’est de pouvoir donner les outils aux parents pour pouvoir améliorer leur situation familiale. Il faut effectivement éviter au maximum le placement. Malheureusement, certains enfants seront placés à un moment donné si on se rend compte, par nos observations, que la situation dégénère. On le fait en relayant nos observations et nos inquiétudes au mandant (SAJ, SPJ) qui prend à ce moment-là, la responsabilité de placer le jeune.

La déchirure du placement

Assurer un minimum de sérénité à ces enfants reste un défi pour ceux qui les entourent.
Assurer un minimum de sérénité à ces enfants reste un défi pour ceux qui les entourent. © RTBF

Caroline Salingros est la directrice pédagogique du centre. Son rôle est central. D’abord, elle connaît toutes les problématiques des enfants. Ensuite, elle est le lien entre le SAJ et le SPJ (qui font les demandes de placement) et le " Chemin vert ". Éloigner un enfant de sa famille n’est pas une décision anodine.

Quand un jeune arrive ici, on doit avoir préalablement épuisé toutes les autres solutions. D’abord l’accompagnement en famille, ensuite le maintien en famille, famille entendue dans un sens plus large que les parents directs, éventuellement une famille d’accueil et enfin, notre institution qui est cene être le dernier échelon dans la mesure.

Quand le centre est mandaté par les autorités afin d’accompagner une famille où il y a des soupçons de maltraitance, abus, violences morales ou sexuelles, le centre est mandaté pour envoyer une équipe d’accompagnement, 5 heures par semaine intensivement dans la famille. Une véritable montée en puissance pour éviter le placement de l’enfant. Les intervenants restent vigilants sur un point : le bien-être de l’enfant. Gaëlle Baudoul supervise ces équipes de missions intensives pour le centre. Pour elle, envisager de séparer l’enfant de sa famille reste une mesure ultime lorsque l’enfant est en danger. Cette mesure peut être perçue par les familles comme fort intrusive.

C’est toujours compliqué pour l’équipe de devoir en arriver à l’éloignement. C’est régulièrement vécu comme un échec. Mais il s’accompagne en même temps d’un soulagement. C’est un échec, parce qu’on n’est pas parvenu à vraiment accompagner le parent, mais quelque part, c’est un soulagement, parce que si on en arrive à avoir cette situation, cette réflexion-là, c’est que l’on est vraiment, vraiment inquiet pour cet enfant. Et on n’a pas envie de fermer la porte et de se dire Mon Dieu, cet enfant, peut-être, il va mourir dans une heure.

Le placement est toujours un déchirement…
Le placement est toujours un déchirement… © RTBF

C’est le SAJ ou SPJ qui reçoit des rapports du service d’accompagnement du Chemin vert et qui, combinés aux investigations des délégués du SAJ et SPJ, prend une décision dans l’intérêt du jeune, à savoir le placement dans certains cas ou une autre mesure.

Parmi les bâtiments du chemin vert, il y en a un où la direction nous a demandé de ne filmer aucun enfant. C’est un service ouvert 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, toujours prêt à accueillir des enfants en danger. Il abrite 12 filles et garçons qui ont subi des maltraitances et abus. Des enfants parfois recherchés, victimes de réseaux divers et fragilisés par ce qu’ils ont vécu. Agnès Berger, la psychologue du service des enfants victimes de maltraitance, a vu défiler beaucoup d’enfants.

Les enfants qu’on accueille ici sont en situation de maltraitance grave. On n’est pas dans une fessée, on n’est pas dans une claque, on est par exemple face à des coups intenses ou à répétition. Ça peut aller jusqu’à des traitements inhumains ou de la torture. La maltraitance psychologique, peut être aussi extrême. Ça peut aller jusqu’à des traitements humiliants extrêmes ou de la maltraitance sexuelle. On peut arriver à la prostitution de l’enfant via les réseaux sociaux, etc.

La plupart des enfants suivent une scolarité normale et quittent le centre d’hébergement pour aller à l’école. Ils reviennent après les cours et passent leur soirée là, comme si c’était leur maison. Quelques-uns n’ont connu que cette maison-là et n’en connaîtront pas d’autre avant l’âge adulte. D’autres enfants ne font que passer, quelques mois, une année ou plus.

La règle, selon le décret d’aide à la jeunesse, est que chaque année, les services comme le Chemin Vert rendent des rapports. Toutes les situations sont revues soit par le conseiller du SAJ ou par le tribunal de la jeunesse quand c’est le SPJ. En fonction de ces rapports, les SAJ et SPJ décideront ou non de poursuivre, ou de changer, la mesure en fonction des évolutions des situations.

Un sourire juste pour aider…
Un sourire juste pour aider… © RTBF

Les mesures de placement sont vécues comme des drames par les enfants. Malgré ce qu’ils ont pu subir, même dans ce qu’il y a de plus horrible, ils aiment leurs parents et y restent attachés.

Selon Caroline Salingros, directrice pédagogique du Chemin vert, “un éloignement, c’est un drame pour les familles, quel que soit le motif de l’éloignement. J’insiste bien, ça reste un cataclysme. Parce qu’on ne sort pas indemne d’un éloignement. Jamais. C’est un leurre de penser que l’éloignement va tout régler. D’ailleurs, quand un enfant arrive ici, la première chose qu’on tente de faire, c’est de le rassurer et de lui dire qu’on va prendre soin de sa famille. Et la difficulté, c’est que l’aide à la jeunesse à elle seule ne résoudra pas tout. Ça, c’est une absolue certitude.

Redonner une vie à ces enfants abîmés reste le but ultime
Redonner une vie à ces enfants abîmés reste le but ultime © RTBF

Une belle histoire

Nous avons vu que des fratries entières étaient placées au Chemin VertNous avons pu constater que certains parents dont 3, 4 ou 5 de leurs enfants sont déjà placés dans l’institution pour des faits extrêmement graves expriment toujours le désir d’avoir encore plus d’enfants. Beaucoup plus d’enfants. Nous avons entendu des histoires horribles qui nous ont fait frémir et douter de l’humanité qu’il peut rester chez certains. Mais nous avons aussi vu des jeunes adultes s’épanouir et devenir des personnes responsables comme Enguerrand Moura, aujourd’hui âgé de vingt ans et qui s’épanouit dans un restaurant étoilé.

J’ai été placé très jeune en institution avec mes 3 frères donc je n’ai pas eu de souvenirs en famille. J’ai des souvenirs que mes parents venaient en visite ici à l’âge de six ans peut-être. Ça reste flou malheureusement, parce que j’étais encore très jeune. Il faut savoir que j’ai eu un petit frère après le placement, qui lui a pu rester en famille, donc il venait aussi avec mes parents. Lui n’a pas été placé parce qu’il était né après le placement.

Du jour au lendemain, sans trop savoir pourquoi tout s’est arrêté. Soi-disant, mes parents ne voulaient pas nous reprendre, ne voulaient pas continuer à nous voir. Pour un enfant de six ans, c’est très difficile cette situation, je l’ai très mal vécue parce qu’en fait, il y a eu un premier abandon puis un second. Jeune comme ça, il faut savoir encaisser. Heureusement que j’étais avec mes frères. En fait, heureusement qu’on était à trois à se tenir la main, à s’encourager à vivre ensemble et aussi grâce à l’infrastructure qui a fait en sorte que je m’en sorteAprès le Chemin Vert, j’ai été encore suivi pendant 6 mois par le centre. Puis je suis sorti de l’école hôtelière, et je suis venu annoncer la nouvelle : "Voilà, j’ai réussi mes années d’études ". Tous les élèves, tous les enfants qui sont ici n’arrivent pas à accrocher au système scolaire. C’est très dur pour eux. Et donc ils étaient tous très contents pour moi. Après mes années d’études, j’ai décidé d’aller vivre à Bruxelles. Passionné de cuisine, j’ai décidé d’y faire mes bagages culinaires.

Et le talent culinaire d’Enguerrand fera le reste. Il participe à une célèbre émission de télévision (Objectif Top Chef) et la reconnaissance arrive.

Des gens de partout me félicitaient. Quand je fais ces exploits en cuisine, dans ces concours, je me fais des amis, des nouvelles connaissances. Et c’est là que je repense à l’endroit d’où je viens et que je leur explique. En fait, je suis très fier parce que mon parcours est réussi et beau.

Au Chemin Vert, chaque jour est un autre défi. Il y a sans arrêt des coups de fil destinés à organiser le sauvetage d’un enfant en danger, il y a sans arrêt des familles brisées. Mais il y a aussi des mains tendues pour réparer une humanité malmenée en quête d’espoir.

Sur le même sujet : Extrait JT (22/03/2023)

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