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#Investigation : les anxiolytiques et les somnifères se banalisent chez les jeunes

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Par François Corbiau

Depuis des mois, la santé mentale des jeunes suscite des inquiétudes. Le Covid, la crise énergétique et la hausse des prix, les phénomènes d’éco-anxiété, la pression des études, ... si le contexte est difficile pour tout le monde, il l’est en particulier pour les jeunes. Ils seraient de plus en plus nombreux à se tourner vers les anxiolytiques et les somnifères.

Pour Louise, l’élément déclencheur aura été les études. Pour #Investigation, cette jeune femme de 24 ans accepte de témoigner mais uniquement à visage caché de peur qu’un futur employeur ne la reconnaisse. "La consommation de benzodiazépine reste un sujet tabou entre étudiants", nous confie cette jeune femme qui termine un master dans le domaine médical.

C’est dans le cadre de son blocus qu’elle a commencé à prendre ce type de médicaments. "J’avais beaucoup d’anxiété surtout pendant les examens. La dernière année de mon bachelier, j’ai eu un black-out total pendant un oral." Elle décide alors de consulter un médecin qu’elle connaît. Celui-ci lui prescrit du Temesta, un anxiolytique de la famille des benzodiazépines.

Quand il y a un enjeu au niveau des points, Louise prend du Temesta.
Quand il y a un enjeu au niveau des points, Louise prend du Temesta. © Tous droits réservés

Avant chaque examen

Quand elle prend ces médicaments, Louise explique qu’elle se sent plus en confiance. " Je suis plus sûre de mes réponses. Une heure avant un examen, j’avale un comprimé. J’en ai pris aussi pour ma présentation de TFE (travail de fin d’étude, ndlr) et j’en prends pendant mes stages. En fait dès qu’il y a un enjeu au niveau des points. " Elle a le sentiment que cela se passe mieux quand elle avale un comprimé de Temesta.

J’en prends dès qu’il y a un enjeu au niveau des points. Je suis plus en confiance.

Au début, les doses prescrites par son médecin étaient trop fortes. " Quand je prenais du 2,5 milligrammes, j’avais des effets secondaires comme des troubles de l’attention, de la somnolence. " Il lui est même arrivé de perdre l’équilibre. " Les effets secondaires font peur. Il m’arrivait de ne plus être tout à fait alerte. C’était interpellant mais en même temps je n’avais plus mes angoisses. " Elle décide alors de consulter un psychiatre qui réduit sa dose.

Dépendance psychologique

Louise est consciente des dangers de ce type de médicaments. Ses médecins l’ont mise en garde contre les dangers des benzodiazépines alors, quand elle en prend, elle essaie d’en prendre le moins longtemps possible. " Pas plus de 5 jours de suite, c’est ma limite. Pendant mes stages, par exemple, j’en prends la semaine mais pas le week-end. Je fais des pauses pour éviter de devenir dépendante. "

Quand on lui demande si elle a développé une addiction, la jeune femme répond que non. Pour le moment, elle a l’impression de " gérer " comme elle dit dans le sens où elle arrive à arrêter quand il n’y a pas d’enjeu. " Mais, confie-t-elle tout de même, c’est vrai que je ressens une forme d’angoisse quand je vais au stage et que je n’en pends pas, une sorte une peur de ne pas pouvoir m’en passer. "

Usage non médical

La consommation des anxiolytiques et des somnifères se répand chez les jeunes. L’étude "Youth Pumed : youth perception of nonmedical use of psychoactive medicationsmenée par l’Université de Gand, la Haute école VIVES et l’Université Saint-Louis à Bruxelles s’est intéressée à l’usage des médicaments que font les jeunes âgés de 18 à 29 ans. Et parmi ceux-ci, on retrouve notamment les benzodiazépines que les jeunes utilisent pour améliorer leurs performances ou en faire un usage non médical.

Les jeunes se procurent le plus souvent ces molécules auprès d’amis ou de parents, en piochant dans la pharmacie familiale.

Les benzodiazépines sont soumises à prescription mais cette étude montre que les jeunes se procurent le plus souvent ces molécules auprès d’amis ou de parents, en piochant dans la pharmacie familiale notamment. Parfois, ils détournent eux-mêmes leurs propres médicaments. "Sur base d’une ordonnance, vous obtenez une boîte complète de Diazepam, mais vous ne devez prendre que la moitié de la boîte. Il y a beaucoup plus de pilules dans le paquet. C’est facile de les garder… et ensuite vous avez des pilules en votre possession et vous utilisez votre réserve", explique un jeune interviewé dans le cadre de cette étude. D’autres jeunes achètent ces médicaments sur internet dans ce qui s’apparente à des pharmacies en ligne basées à l’étranger ou parfois même en rue, au marché noir.

Depuis un an, Nicolas se bat contre sa dépendance aux benzodiazépines dans un centre spécialisé.
Depuis un an, Nicolas se bat contre sa dépendance aux benzodiazépines dans un centre spécialisé. © Tous droits réservés

Usage récréatif

L’usage récréatif de somnifères et d’anxiolytiques, c’est notamment ce que faisait Nicolas. À 21 ans à peine, nous le rencontrons dans un hôpital psychiatrique où il se bat depuis 10 mois contre sa terrible dépendance aux benzodiazépines. Lui aussi, c’est à visage caché qu’il accepte de témoigner. Temesta, Xanax, Valium, Zolpidem, il prenait au départ ces médicaments pour soigner ses angoisses. "J’avais toujours une boule dans le ventre et du stress. J’avais des crises de panique. Je cherchais quelque chose pour m’aider, me calmer, me déstresser et m’aider à dormir aussi."

Mais sa consommation de benzodiazépines a dérapé quand il a quitté le nid familial pour faire des études à Liège. "Ça faisait beaucoup de changements, beaucoup de stress : mon appart seul et mes études que je combinais avec un job d’étudiant. La foule et les nouvelles rencontres me stressaient. Tout ça générait beaucoup de tensions au quotidien."

Effet de "black-out"

C’est à ce moment-là que Nicolas comprend qu’il peut faire un autre usage de ses médicaments malgré les dangers des médicaments. "Quand on en prend beaucoup, il y a un effet de black-out. Moi c’est ce que je recherchais parce que j’avais une vie difficile et ça me permettait d’un peu oublier. Je me rendais compte qu’il y avait un effet plaisant. J’ai commencé à en prendre de plus en plus jusqu’à devenir complètement dépendant."

Pour s’en procurer, Nicolas a aussi fait ce qu’on appelle du shopping médical c’est-à-dire faire le tour des médecins et des pharmaciens dans l’espoir d’en obtenir le plus possible. "J’allais voir plusieurs médecins pour obtenir plus d’ordonnances. J’en commandais aussi sur internet.En soirée, il lui arrivait de mélanger anxiolytiques et somnifères avec de l’alcool." Je cherchais surtout à me détendre le plus possible. J’en prenais pour être plus saoul et plus vite désinhibé. Je parlais plus facilement aux gens."

Rap et Xanax

À entendre Nicolas, la consommation de benzodiazépines chez les jeunes est plus répandue qu’on ne le croit. "Pour les jeunes, les benzodiazépines, ce sont des molécules récréatives qu’ils utilisent pour se défoncer, pour planer dans le canapé avec des potes ou maximiser les effets de l’alcool. C’est en écoutant ses rappeurs préférés que Nicolas commence à consommer des benzodiazépines de manière totalement décomplexée. " Certains rappeurs les décrivent comme des molécules marrantes et c’est vrai que ça m’a beaucoup influencé. Sans ça, je n’aurais jamais imaginé qu’un médicament prescrit pour l’anxiété puisse avoir un potentiel de défonce. "

Sans le rap, je n’aurais jamais imaginé qu’un médicament prescrit pour l’anxiété puisse avoir un potentiel de défonce.

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Parmi toutes ces molécules, le Xanax occupe une place de choix dans le rap. À coté de la Lean (mélange de codéine et de soda), les effets de ces anxiolytiques ont été popularisés par plusieurs rappeurs. Avec des clips où les images et les mots " Xan " pour Xanax sont omniprésents. Même leurs noms fait parfois référence à ces pilules comme le rappeur californien Lil Xan. Pour certains, le flow est lui aussi altéré sous l’effet de cette molécule. C’était notamment le cas du rappeur Lil Peep dont la dépendance aux benzodiazépines lui aura été fatale. En 2017, il est retrouvé mort après avoir absorbé un cocktail de benzodiazépines mélangées à d’autres substances.

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Un cercle vicieux

Lil Peep, Lil Xan, d’autres artistes que Nicolas a beaucoup écoutés et, selon ses mots, l’ont influencé jusque dans les substances qu’il a essayées. Aujourd’hui, après an de galère pour sortir de cette dépendance et plusieurs rechutes, le jeune homme multiplie désormais les mises en garde contre ces molécules. " C’est un piège, on devient très vite dépendants et s’en défaire est très compliqué. Ce n’est pas parce que c’est un médicament que c’est moins dangereux. Ces molécules prennent très vite le pas sur toute votre vie. On cherche tout le temps à en avoir et quand on n’en a pas, c’est comme une idée fixe : on panique et on ressent des angoisses encore plus fortes. C’est un cercle vicieux. "

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