À Courcelles, l’École de la Motte a fermé ses portes le 23 avril dernier. En cause, une énième explosion dans le broyeur voisin de l’entreprise Keyser. La décision de déménager l’école avait déjà été prise début 2021 au nom du principe de précaution.
En 2018, les autorités avaient mesuré dans les retombées atmosphériques de l’école des concentrations de PCB en moyenne 40 fois supérieures aux critères actuels fixés dans le permis d’environnement de l’entreprise.
On déménage une école à cause d’une entreprise
En février, la Bourgmestre Caroline Taquin (MR) nous le confirmait déjà : "Aujourd’hui, on déménage une école à cause d’une entreprise". La déclaration nous avait marqués. Comme un étrange sentiment que la phrase aurait dû être prononcée dans l’autre sens.
"Tant que l’on sait qu’il y a un risque que cette entreprise continue à fonctionner, on ne doit pas prendre le risque d’exposer plus longtemps les enfants à la pollution", nous explique Caroline Taquin. La libérale se donnait un délai de 5 ans pour organiser le déménagement. La décision sera prise beaucoup plus vite suite aux derniers incidents.
La commune s’est constituée partie civile contre l’entreprise qui sera poursuivie devant le tribunal correctionnel de Charleroi le 11 mai prochain. Comment l’entreprise a-t-elle pu fonctionner aussi longtemps sans réel problème ?
Les riverains qui sont toujours là après le déménagement de l’école, ne comprennent pas. Les signaux d’alerte ont été nombreux et les accidents récurrents. Parmi lesquels :
- Incendie en juin 2008, août 2013, 14 septembre 2016 provoquant l’évacuation de l’école, le 24 décembre 2020.
- En séance du conseil communal le 29 septembre 2016, un Echevin de la majorité parle déjà d’une dizaine voire une quinzaine d’explosions annuelles. Récemment, on citera celles du 15 janvier 2019 et du 12 juin 2019
- Confinement de l’école en juin 2014 suite à la propagation d’un nuage de poussières.
- Dépassement des normes de rejets fixées dans le permis d’environnement le 21 octobre 2019 et 27 février 2020.
- Dans les Plans internes de surveillances des obligations environnementales, nous avons noté plus de 30 dépassements des valeurs limites d’émission pour les rejets canalisés dans l’air et 80 dépassements dans les rejets d’eaux usées industrielles sur une période allant de 2015 à 2019. (Notre propre rapport d’analyses réalisé à la fin 2020 montre aussi de grande différence entre l’amont et l’aval du point de rejet de l’entreprise Keyser).
Ce ne sont que quelques-uns des nombreux incidents. L’entreprise vient de placer un filtre à charbon actif sur sa cheminée en novembre 2020. Mais, les problèmes de tri des déchets à l’entrée du broyeur (bonbonnes de gaz, carburants…) semblent avoir à nouveau rattrapé l’entreprise. Une enquête est en cours pour déterminer la cause de la dernière explosion.
Pourquoi la Bourgmestre, Caroline Taquin n’a-t-elle pas fait fermer ne fût-ce que provisoirement la société Keyser dans le passé ? Il ne faut pas oublier que l’article D149 du Code de l’Environnement donne aux bourgmestres des pouvoirs importants en la matière : " Lorsqu’il a été dressé procès-verbal d’une infraction […] le bourgmestre, sur rapport de l’agent, peut :
1° ordonner la cessation totale ou partielle d’une exploitation ou d’une activité ;
2° mettre les appareils sous scellés et, au besoin, procéder à la fermeture provisoire immédiate de l’installation".
Il serait étonnant que la bourgmestre de Courcelles n’ait jamais reçu de rapport du Département Police et Contrôle vu le pédigrée de la société Keyser.
inacceptable sur un plan sanitaire
Fin 2019, la commune avait également obtenu copie d’un avis du service toxicologique du CHU de Liège. Il analysait précisément les retombées atmosphériques du broyeur de Courcelles. Les conclusions parlent clairement de "danger qui met gravement en péril la protection de l’environnement et la sécurité ou la santé de la population, qu’il s’agisse de travailleurs du site ou de la population riveraine". Alors, pourquoi, les autorités locales n’ont pas pris de mesures fermes contre l’entreprise alors que la situation était jugée "inacceptable sur un plan sanitaire"?
j’attends aussi le geste fort de la Ministre
Caroline Taquin nous avait répondu longuement dans une interview du mois de février (voir vidéo ci-dessous) dont nous diffusons un extrait plus large. "Je n’ai pas eu tous les avals pour signer les arrêtés de fermeture. Je n’ai pas la matière pour pouvoir fermer l’entreprise sans prendre le risque sur mes seules épaules d’un recours et d’une réouverture. J’attends le geste fort au niveau de la justice. Mais, j’attends aussi le geste fort de la Ministre (NDLR = Céline Tellier) qui a dans ses compétences la gestion de ce type d’entreprise ".
Cela nous rappelle la réaction de la Commune de Châtelet. Après avoir reçu nos résultats démontrant une exposition plus forte de ses citoyens aux PCB, le Bourgmestre, Daniel Vanderlick (PS), nous avait renvoyés vers la Région wallonne estimant le dossier trop technique.
En cas d’inaction du Bourgmestre, les agents du Département Police et Contrôle de Wallonie disposent des mêmes prérogatives. Et en dernier recours, la Ministre wallonne de l’Environnement peut agir.
Jusqu’à présent, personne n’a encore osé prendre ses responsabilités. Mais, Céline Tellier a tenu un discours de fermeté devant notre caméra : "S’il y a encore des dépassements, les PV seront transmis à la justice. Si on doit aller jusqu’à des fermetures d’usines, on ira jusqu’à des fermetures d’usines". Quels actes seront posés dans les prochains jours et par qui ? C’est devenu une question de crédibilité politique. Peu importe le niveau de pouvoir.
Aujourd’hui, nous savons que 5 broyeurs sur les 7 en Wallonie ont été verbalisés dernièrement. D’après nos informations, des arrêtés de mises sous scellés provisoires seraient en cours de rédaction. Les cibles le plus souvent citées sont Ecore à Aubange et Keyser à Courcelles. À l’heure où nous écrivons ces lignes, il n’y a eu qu’une seule fermeture, celle de l’École de la Motte.
Voici les derniers PISOE (Plan interne de surveillance des obligations environnementales) de tous les broyeurs à métaux pour l’année 2020. Ces documents sont publics et disponibles au Service Public de Wallonie (cpes@spw.wallonie.be) :