La difficulté de prouver l’utilisation de drogues pour faciliter le viol n’explique pas à elle seule la sous-évaluation du nombre de ces agressions. La loi joue un rôle également...
"Jusqu’à il y a peu, le viol sous soumission chimique n’existait pas comme tel dans le Code pénal, précise l'avocate Caroline Poiré. L’utilisation d’une drogue pour arriver à ses fins n’était même pas considérée comme une circonstance aggravante. On ne risquait pas une peine de prison plus longue parce que l’on avait drogué une femme, un homme ou un enfant avant de le violer. Et donc la justice pouvait se dire, à quoi bon chercher une substance si difficile à repérer, si cela n’envoie pas plus longtemps l’agresseur derrière les barreaux…".
Au mois de juin prochain, les choses vont changer. Le Code pénal sexuel sera modifié. Et l’utilisation de substances pour obtenir une soumission chimique sera considérée comme une circonstance aggravante. Les peines de prison seront plus lourdes. Mais, en attendant, pendant des années, ce n’était pas la priorité absolue des enquêteurs.
Pour nous montrer à quel point ce manque d’assiduité de la justice peut faire des dégâts. Caroline Poiré nous présente Sophie, une de ses clientes.
Son agression remonte à 10 ans. Tout commence par une banale sortie en boîte avec une amie. Des garçons, des amis d’amis, les accompagnent. Sophie se voit offrir l’un ou l’autre verre. Dans les minutes qui suivent, c’est le black-out. Dès ce moment, elle n’a plus aucun souvenir. Ce sont des témoins qui lui expliqueront ce qu’elle a fait sur la piste de danse... Elle sera complètement désinhibée. Des témoins lui rapporteront qu’elle urine au milieu de la piste de danse de la boite de nuit, tout habillée…
La soirée se poursuit dans une maison du côté d’Enghien. C’est là que le viol aura lieu.
"Les témoins me rapporteront qu’à un moment, je monte me coucher. Un garçon me rejoint dans la chambre, suivi peu après par un autre garçon, raconte Sophie. Il y aura relation sexuelle à trois… Je le sais parce que j’avais des bleus sur le corps et des blessures au sexe et à l’anus. Mais moi, je ne me souviens de rien… Je n’étais pas là"
Sophie déposera plainte, subira tous les examens imposés par ce que l’on appelle le set d’agression sexuelle, qui prévoit des prélèvements de sang et d’urine. Ses agresseurs seront entendus par la police. Ils se défendront en affirmant qu’elle était consentante… Ce sera de nouveau parole contre parole. L’affaire est classée sans suite.
Durant 10 ans, Sophie portera ce lourd fardeau qui aura un impact majeur sur sa vie sentimentale et sa capacité à faire confiance à qui que ce soit… Et puis un jour, elle finira par consulter une avocate pour comprendre pourquoi son histoire, qui semblait rassembler tout ce qui était nécessaire pour envoyer l’affaire au tribunal, n’y a pas abouti. Caroline Poiré consultera son dossier. Elle y fera une découverte effarante… La justice n’a jamais fait analyser le sang et l’urine de Sophie… Elle a négligé un élément clef de l’enquête. Si de la drogue avait été trouvée dans ces prélèvements, cela aurait montré qu’elle était incapable de donner le moindre consentement. L’hypothèse du viol en serait sortie renforcée. Ses agresseurs auraient eu beaucoup plus de mal à s’en tirer.
"Je crois qu’un enquêteur suffisamment formé à organiser ce type d’audition aurait pu confronter les auteurs à ces résultats. Ici, ils ont juste déposé leur version. Ils ont avancé l’hypothèse du consentement de Sophie et ça s’est arrêté là" ajoute Caroline Poiré.
"Plus généralement, je regrette aussi qu’on n’utilise pas plus souvent des méthodes spéciales de recherches dans ces dossiers de viol sous soumission chimique. Des écoutes téléphoniques, des filatures pourraient se révéler utiles. Mais ce sont des méthodes intrusives dans la vie privée. Et il faut des éléments concrets pour qu’un juge les ordonne. Or, ces éléments font souvent défaut dans les dossiers de drogue du viol" conclut Caroline Poiré.
Au total, au bout de trois mois d’enquête nous avons découvert davantage de victimes, davantage d’armes à la disposition des agresseurs que tout ce que nous avions envisagé. Le tableau est sombre et nous n’avons pas trouvé de solution efficace à offrir à tous ceux et celles qui craindraient un jour de subir pareil sort. On peut juste avancer comme solution de ne jamais oublier que cela existe, que c’est plus fréquent qu’on ne le croit, que personne n'y échappe, et qu’il est important de prêter un maximum d’attention à ces amis qui semblent un peu trop "perdre pied" lors d’une sortie en groupe, dans n’importe quel bar branché.
Pour ceux et celles qui ont été également victimes de pareils faits, voici deux endroits où trouver de l'aide :
Sos viol : 02/5343632
Centre de Prise en charge des Violences Sexuelles (CPVS) de Bruxelles : 02/5354714