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#Investigation : Médecins de campagne, la traversée du désert

Médecins généralistes, l'inquiétante pénurie

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Décrocher un rendez-vous chez un médecin généraliste est de plus en plus compliqué chez nous, en tout cas, dans certaines régions. On l’entend autour de nous, on le subit parfois : "L’agenda est rempli, il n’y a pas de place disponible avant deux jours… " Mais il y a pire. C’est cette réponse à une simple demande de rendez-vous : "Le docteur ne prend plus de nouveaux patients." Aujourd’hui, plus de la moitié des généralistes francophones sont débordés, au point de devoir refuser de soigner certains malades, faute de place, de temps.

 

Sandrine Devergnies cherche généraliste désespérément.
Sandrine Devergnies cherche généraliste désespérément. © RTBF

Notre région est devenue un désert médical

En 2015, Sandrine Devergnies quitte Liège pour s’installer à la campagne, à Meix-le-Tige, en province du Luxembourg. La jeune femme ne connaît personne dans sa région d’adoption, c’est donc seule qu’elle entame des démarches pour trouver un médecin de famille. Elle comprend vite que ce ne sera pas aussi simple qu’elle l’imaginait : "J’ai appelé la commune pour avoir une liste des généralistes les plus proches, j’ai aussi été voir sur internet. Je les ai tous appelés. Aucun n’acceptait de nouveaux patients." A l’époque, Sandrine vient de subir plusieurs opérations chirurgicales, elle a besoin d’un médecin généraliste pour assurer un suivi quotidien après toutes ces interventions. Sandrine est alors dirigée vers une maison médicale de la région, qui accepte encore des patients. "Dans ce centre, je ne voyais jamais la même personne alors que j’avais besoin d’un médecin unique, en charge de mon dossier. C’est finalement mon chirurgien qui a un peu forcé la main à l’un de ses confrères pour me prendre. Mais ça n’a pas duré, ce généraliste a arrêté ses activités après la crise du Covid." Sandrine se retrouve alors, une nouvelle fois, sans généraliste attitré.

 

Faute de médecin, j’ai dû me faire soigner par ma sœur infirmière, à distance.

Un soir, Sandrine est complètement démunie. Elle vient de se faire opérer au poignet et ses sutures lâchent, sa plaie se rouvre. "J’ai paniqué, je ne savais plus quoi faire. Alors, j’ai contacté ma sœur qui est infirmière à Liège, par internet. Elle m’a expliqué à distance comment refermer correctement la plaie. Je n’avais pas le choix, j’étais toute seule."

 

Faute de médecin, la sœur de Sandrine la soigne à distance.
Faute de médecin, la sœur de Sandrine la soigne à distance. © RTBF

Sandrine le sait, elle a pris des risques pour sa santé. Elle aurait dû se rendre aux urgences ou appeler la garde médicale. Mais, en panique et sans médecin de confiance à appeler, c’est donc vers sa sœur qu’elle s’est tournée.

Les généralistes au bout du rouleau

Mon agenda est plein, je suis obligée de refuser tous les jours de nouveaux patients

Le Dr Julie Engelbert refuse tous les jours de nouveaux patients
Le Dr Julie Engelbert refuse tous les jours de nouveaux patients © RTBF

Julie Engelbert est une jeune généraliste récemment installée dans la commune d’Attert, à la frontière luxembourgeoise. C’est un choix de vie autant que professionnel. Elle a quitté la ville, Bruxelles, pour emménager en pleine campagne et pratiquer une médecine générale rurale. "Je suis ici depuis 4 ans, explique-t-elle. "En quelques mois à peine, ma patientèle était déjà complète. J’ai dû mettre un message sur ma page internet pour indiquer que je n’acceptais plus de nouveaux patients." Refuser des patients, c’est une décision difficile à prendre pour un médecin mais le Dr Engelbert n’a pas eu le choix. Elle a tenté pendant plusieurs mois de répondre à toutes les demandes mais elle n’a pas tenu le rythme bien longtemps. "Je me doutais que j’aurais vite beaucoup de boulot mais devoir m’arrêter de travailler plusieurs semaines parce que j’étais vraiment épuisée, je n’aurais pas cru. Je n’arrivais plus à dormir, j’étais vraiment au bout du bout. Et ça, en à peine 3 ans de pratique, c’est vraiment interpellant."

Surmenée, le Dr Engelbert a dû arrêter de travailler pendant un mois.
Surmenée, le Dr Engelbert a dû arrêter de travailler pendant un mois. © RTBF

Un médecin sur deux est en risque de burn-out

Pénurie de médecins : des patients moins bien soignés.
Pénurie de médecins : des patients moins bien soignés. © RTBF

Julie Engelbert n’est pas un cas isolé. En Région Wallonne, plus de la moitié des communes sont considérées en pénurie de généralistes. Et ceux qui exercent dans ces régions sont sous pression. Selon le syndicat GBO, le groupement belge des omnipraticiens, un généraliste sur deux est en risque de burn-out. Ce phénomène inquiète aussi les facultés de médecine. Pour preuve, l’ULiège organise pour ses futurs généralistes des ateliers de prévention du burn-out. Pour le Pr Anne-Laure Lenoir, professeur de médecine générale à l’ULiège, la pénurie s’explique aussi par une proportion trop importante de médecins qui arrêtent leur pratique. "1 médecin généraliste sur 5, diplômé entre 1999 et 2013, a quitté la profession, souvent pour une autre profession de soins, comme dans une mutuelle. Nous avons interrogé ces médecins et l’on s’est rendu compte qu’ils avaient quitté le métier très vite, comme si ça leur était tombé dessus d’un coup." Pour le Pr Lenoir, la surcharge de travail entraîne un stress chronique chez les généralistes qui a aussi un impact sur les patients. "La littérature scientifique montre clairement que l’épuisement professionnel diminue la qualité des soins."

Le Pr Anne-Laure Lenoir (ULiège) est inquiète pour les futurs généralistes.
Le Pr Anne-Laure Lenoir (ULiège) est inquiète pour les futurs généralistes. © RTBF

Les jeunes médecins s’épuisent, certains abandonnent. Mais un autre problème s’annonce, c’est celui des départs à la retraite. D’ici 10 ans, un tiers des généralistes actuels seront retraités. Pourtant, le ministère fédéral de la santé continue à limiter le nombre d’étudiants en médecine.

Cette année, près de 750 candidats ont réussi l’examen d’entrée des facultés francophones. 300 de ces étudiants devraient devenir généralistes. Le concours de l’année prochaine prévoit un quota similaire.

300 nouveaux généralistes par an, est-ce suffisant pour compenser les départs des anciens, les abandons des jeunes ? Au sein même de la profession, on n’y croit pas. Pour une majorité de généralistes, sans une augmentation des quotas, cette situation de pénurie pourrait même empirer dans les années à venir.

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