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#Investigation : "Mon pays va disparaître"

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La planète chauffe. Et pendant ce temps, l’eau monte. Les équipes d'#Investigation sont parties à la rencontre de ceux qui se préparent au pire. Reportage.

Le constat : le thermomètre grimpe

Inondations, records de chaleurs, sécheresses, canicules. Certaines de ces catastrophes sont marquées par l’empreinte du réchauffement climatique. Et c’est l’homme le premier responsable de ce qui lui arrive. Depuis 1950, le facteur principal qui perturbe le climat, c’est la libération des gaz à effet de serre, liée à l’utilisation des combustibles fossiles : charbon, pétrole, gaz. Le phénomène est dénoncé depuis de nombreuses années le GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, dont fait partie Jean-Pascal van Yperseel, professeur de l'UCLouvain. 

"C’est la fièvre de la terre. Si on a quelques degrés de plus que sa température normale, on sait bien qu’on se sent mal. Les conditions de vie à la surface de la Terre, c’est la même chose. Toutes les civilisations se sont habituées à vivre dans le climat, qui a été stable pendant quasiment 10.000 ans. Maintenant, le climat est en train de se réchauffer suite aux activités humaines. On en voit le résultat. Ça se présente par l’intermédiaire de la température moyenne mondiale, mais aussi par toute une série d’autres indicateurs. Et ça commence à poser des problèmes de plus en plus importants ".

Ces problèmes, ce sont des périodes caniculaires plus intensives -parfois mortelles-, des pluies torrentielles, des écosystèmes en danger, des terres plus fréquemment inondées, mais aussi le niveau des mers qui ne cesse d’augmenter.

La côte belge : une solution à 300 millions d’€

Début du Printemps. Un ballet de bulldozers anime la célèbre plage de Raversyde, à Ostende. Un va-et-vient incessant de machines qui déplacent des quantités impressionnantes de sable. À la plus grande surprise de certains passants. "Je ne sais pas ce qu’il se passe. J’ai envie d’aller à la commune pour demander ce qu’il se passe", nous lance une touriste.

L’explication est simple. Et loin d’être une nouveauté : on renforce la plage. Au total, deux kilomètres de plage sont totalement surélevés. 600.000 m³ de sables puisés au fond de la Mer du Nord, par la société de dragage Jan De Nul. "Les plages sont surélevées par sécurité, pour protéger l’arrière-pays. Il s’agit d’une protection spécifique contre les conditions météorologiques plus extrêmes et l’élévation du niveau de la mer. C’est pour cela que nous devons nous armer", explique Bart Praet, responsable de ce genre d’opérations. L’eau serait-elle devenue un ennemi contre lequel il faut s’armer ?

Notre pays n’échappe pas aux conséquences du réchauffement climatique. Chaque année, l’eau monte en moyenne de 3 millimètres. Un changement lent, mais loin d’être anodin.

" La montée des eaux est due en particulier à deux phénomènes concomitants ", analyse François Gemenne, spécialiste des questions de géopolitique de l’environnement. "Le premier, c’est l’expansion thermique des océans. Plus la température de l’eau se réchauffe, plus elle occupe de la place. Le deuxième phénomène, c’est la fonte des glaciers de montagne et des glaces qui se trouvent au Groenland et dans l’Antarctique".

Sur le littoral belge, on estime généralement qu’il existe un rapport de 1 à 100 entre le niveau des mers et le recul du trait de côte. Autrement dit, si l’eau monte de 1 mètre, nous perdons 100 mètres de territoire. Les constructions qui sont dans cette zone sont alors directement menacées. Pour préserver les 67 kilomètres de la côte, les autorités flamandes ont débuté en 2011 un gigantesque plan d’aménagement. Budget total : 300 millions d’euros. "Il existe plusieurs manières de se protéger", raconte Peter Van Besien, l’un des ingénieurs responsables du projet. " La première solution possible, c’est celle du rechargement de plages, comme cela a été fait au printemps, à Ostende. On va remplir la plage avec une grande quantité de sable. Cela va faire en sorte que les vagues s’écrasent sur la plage. Cela permet d’augmenter la sécurité et la stabilité. Une deuxième option, si cela ne suffit pas, c’est de construire une barrière anti-tempête sur la digue. Cela aussi peut être conçu de manière élégante comme un banc posé sur la digue de mer. Enfin, la troisième solution, c’est une construction en béton avec un double mur anti-tempête. Ce dispositif permet de casser les vagues et d’amortir leur énergie, avant qu’elles ne puissent se répandre plus loin".

Pour les autorités flamandes, l’objectif c’est de permettre au littoral et à l’intérieur des terres de limiter les impacts de la montée des eaux jusqu’en 2050, au minimum. Johan Bultiauw et Filip De Bodt, militants écologistes, sont perplexes. Pour eux, tout cela arrive trop tard. "Nous vivons une situation d’urgence. Même si la Belgique se dote des meilleurs ingénieurs. Même si ces ingénieurs dessinent les meilleures inventions. Il peut toujours arriver quelque chose d’inattendu qui rend tous ces plans inutiles", réagit Filip De Bodt.

Les Pays-Bas : l’eau, ce vieil « ami »

Les données sur l’élévation des mers sont alarmantes. Depuis le début du 20e siècle, le niveau a déjà augmenté de 20 centimètres. D’ici 2100, il devrait encore grimper de 50 centimètres, dans le meilleur des cas. Et de 175 cm dans le pire. Tout en continuant à croître par la suite.

La Belgique est l’un des pays européens les plus menacés avec la France, la Grande-Bretagne et surtout les Pays-Bas. Chez nos voisins néerlandais, environ 1/3 du territoire se situe sous le niveau de la mer. Pour se protéger, le pays a appris à façonner son environnement, avec des barrages anti-tempêtes, des canaux ou des digues.

Direction l’île de Schiermonnikoog, symbole de la lutte contre l’élévation du niveau de la mer.

Johan Hagen habite depuis toujours sur ce petit territoire d’à peine 200 Km², situé à l’extrême Nord des Pays-Bas. "Je ne considère pas la mer comme un ennemi. Nous sommes des insulaires. Nous vivons depuis toujours au milieu de l’eau. Mais il est vrai que nous faisons face à de grands défis ".

Pour protéger l’île, les autorités néerlandaises y construisent des digues. Lors d’importantes tempêtes, il arrive fréquemment que l’intérieur des terres soit inondé. "Pour le moment, nous gérons la situation, mais que se passera-t-il dans le futur ? Je ne le sais pas ", conclut Johan.

Les Maldives : premier pays à disparaître ?

C’est un paradoxe. Pour rencontrer ceux qui vivent maintenant l’urgence climatique, il faut aller loin. Prendre l’avion. Puis le bateau. Pas vraiment le meilleur exemple en termes d’écologie. Mais il faut bien ça pour observer la situation de l’un des pays les plus vulnérables de la planète : les Maldives. Un archipel de 1200 îles situé dans l’Océan Indien, où les effets dévastateurs du réchauffement climatique sont déjà bien visibles.

Un pays réputé pour ses plages de sable fin, ses hôtels prestigieux et sa réserve sous-marine exceptionnelle. Mais dont l’avenir est incertain. 80% des îles maldiviennes culminent à moins d’un mètre d’altitude. 80% des terres qui pourraient, selon les projections, être partiellement englouties, dans moins de 30 ans. Et cette catastrophe annoncée est déjà perceptible à de multiples endroits.

Comme à Thulusdhoo.

"Le changement climatique a provoqué tellement de dégâts. Aujourd’hui, les récifs sont endommagés et la plage s’érode. C’est devenu un problème national. Et il semble que nous n’ayons aucun moyen de le combattre ". Ce constat, c’est celui de Mohamed Waheed, pêcheur sur cette petite île de 40 hectares. Une île qui rétrécit, année après année.

Mohamed se plaint du manque d’initiatives de l’Etat. Pourtant, le gouvernement maldivien se vante pourtant d’avoir trouvé la solution miracle. Et elle est étonnante.

La capitale -Malé- possède l’une des densités de population les plus importantes au monde. La ville déborde, mais une toute nouvelle île, créée artificiellement, pourrait bientôt tout changer. Depuis 1997, le pays a entamé la construction Hulhumalé. En divehi, la langue des Maldives, cela signifie " la ville de l’espoir ".

Imaginez : des millions de tonnes de sable dragués dans la mer pour transformer des lagons peu profonds, en une véritable ville moderne de 4 Km². Des travaux estimés à plusieurs milliards de dollars. Des dizaines d’architectes dirigent cette immense manœuvre. Shahid Ahmed Waheed est l’un d’eux. " La principale motivation Hulhumalé, c’était de poldériser le lagon pour construire une ville, afin de décongestionner la capitale Malé. Car la pression démographique y est trop importante et les conditions de vie se détériorent, notamment en termes d’aspects sociaux. Hulhumale est construit 2 mètres au-dessus de la mer. Généralement les autres îles se situent à 1 mètre ou 1 mètre et demi. Donc on l’a construit un peu plus haut pour résoudre ces problèmes climatiques.

Ce qui était à l’époque une solution pour régler un problème démographique, est devenu avec le temps une opportunité pour gérer une urgence climatique. D’ici quelques années, 2/3 de la population devraient vivre sur cette nouvelle île, en grande partie financée par les capitaux chinois. 150.000 Maldiviens qui profiteront d’infrastructures flambant neuves : écoles, centres commerciaux, mosquées, hôpitaux, terrain de cricket. En 25 ans à peine, les Maldives ont créé de toutes pièces une ville que l’on dit tournée vers l’avenir.

La solution à tous les problèmes ? Peut-être pas.

La construction de port et de digues, qui nécessitent le dragage de millions de mètres cubes de sables perturbe les écosystèmes naturels. C’est le cas des fonds marins proches de l’île de Villingili, située à quelques kilomètres d’Hulhumalé. Pour s’en rendre compte, il faut plonger sous l’eau. Sur plusieurs centaines de mètres, les coraux, socles essentiels pour la vie marine, sont en train de perdre la vie. Un paysage de désolation que nous découvrons avec Hassan Ahmed, activiste écologiste qui habite sur l’île. Entre ses mains, du corail mort. "Les chantiers créent des sédiments qui viennent se déposer sur les coraux. Cela ne leur permet plus de se développer normalement. Les coraux n’ont plus assez de lumière pour grandir. Selon moi, créer des territoires artificiels sur la mer, ce n’est pas la bonne solution. Nous devons rendre nos îles plus résilientes. Et leur donner le temps de se régénérer elles-mêmes. C’est en protégeant notre environnement que nous garantirons le développement du pays. Dans le cas contraire nous ne survivrons pas".

à Villingili, les tortues nagent désormais dans un payage désertique
Coraux morts aux Maldives

La poldérisation de terres modifie les courants marins et déplace d’énormes quantités de sédiments, qui se déposent sur le récif corallien, asphyxié. Perturbé par la température de l’eau qui augmente et la sédimentation, une partie de ce patrimoine océanographique est désormais en état de mort avancé. Le rôle des coraux est pourtant primordial, car ils servent de protections naturelles aux côtes, amortissant la houle. Si les coraux meurent, les côtes deviennent plus vulnérables à l’érosion et à la submersion.

En voulant se protéger contre la montée des eaux, le pays créé en réalité une situation peut-être plus grave encore. Un paradoxe.

New York : le chantier pharaonique

Le réchauffement climatique ne menace pas uniquement les petits états insulaires. La montée des eaux concerne les plus grandes cités du globe : Londres, Djakarta, Shanghai, Tokyo, Le Cap, Miami, New York

"The Big Apple" est une cité traumatisée par l’ouragan Sandy de 2012. Un évènement qui a coûté la vie à 48 personnes et provoqué des milliards de dollars de dégâts. À certains endroits, l’eau est montée à plus de 4 mètres de hauteurs.

Quel rapport avec l’eau qui monte ? " Le rapport entre l’élévation du niveau de la mer et les ouragans est simple ", explique Ben Strauss, fondateur de Climate Central. " Les ouragans provoquent une onde de tempête et poussent l’eau sur le rivage, créant ainsi une inondation. Si le niveau de la mer est plus haut, la rampe de lancement de l’inondation est aussi plus haute. En réalité, aujourd’hui, chaque inondation côtière est plus grave et provoque plus de dégâts en raison de l’élévation des niveaux de la mer, dont l’homme est le responsable ".

New York et ses 8,5 millions d’habitants sont entourés par les eaux. C’est particulièrement le cas de l’île de Manhattan, coincée entre l’océan Atlantique, L’Hudson River et l’East River. Pour éviter de nouvelles catastrophes, la ville s’est dotée d’un plan colossal à plus de 20 milliards de dollars. Son but : protéger une partie des 836 kilomètres du littoral grâce à des digues et des murs anti-inondations. Un chantier titanesque, baptisé le " big U ", en raison de sa forme, et notamment pensé par l’architecte néerlandais Matthijs Bouw. " Une grande partie du bas de Manhattan est à basse altitude. Il s’agit par exemple, de terres poldérisées sur les eaux, qui risquent d’être inondées par l’élévation du niveau de la mer, mais aussi par l’augmentation de ce que l’on appelle les ondes de tempête, comme les ouragans. Avec le Big U, nous ne nous contentons pas de créer un projet d’infrastructure qui empêche l’eau d’entrer, mais nous essayons de l’intégrer à la communauté. La construction de ces projets n’est pas tant pour ici et maintenant. C’est pour la période où cela ça va empirer, ce qui va vraiment commencer dans une vingtaine d’années".

Problème, le projet du " Big U " divise une partie des New-Yorkais. Notamment l’un de ses chantiers les plus ambitieux : le rehaussement du parc d’East River. Un chantier titanesque qui prévoit d’élever cet espace vert de trois mètres. Des travaux qui créent les tensions au sein de la population. Entre riverains impatients d’avoir enfin des protections côtières capables de les protéger et les amoureux de l’écologie, mécontents de voir ce parc populaire disparaître.

Aux États-Unis, comme ailleurs, on se prépare au pire : on construit des digues, des barrages, des murs anti-tempête. On crée des îles artificielles. Reste qu’à l’heure actuelle, aucune projection, aucun ingénieur, aucun scientifique n’est capable d’affirmer que ces mesures deviendront des solutions sur le long terme.

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