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#Investigation : on a testé la fiabilité du certificat PEB, un même logement reçoit 5 scores différents

PEB, la performance embarrassante des bâtiments

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PEB pour Performance Énergétique des Bâtiments. 3 lettres qui n’avaient aucun impact sur nos vies. Aujourd’hui, la donne a complètement changé. Le certificat PEB impacte le prix des logements et les crédits hypothécaires. Depuis novembre, il fixe aussi l’indexation des loyers et demain, il servira d’outil réglementaire pour contraindre les propriétaires à améliorer la consommation énergétique de leur habitation. Nous y reviendrons plus loin.

L’équipe d’#Investigation de la RTBF s’est donc penchée sur la fiabilité de ce bulletin énergétique. Un peu comme les étiquettes énergie des appareils électroménagers, il va du label A en vert pour les logements économes au label G en rouge pour les passoires énergétiques. Il mesure la quantité d’énergie nécessaire pour chauffer un bâtiment y compris pour l’eau chaude sanitaire.

La Performance Erronée du Bâtiment

Cette carte d’identité énergétique de nos logements est décriée par le Syndicat national des Propriétaires et des Copropriétaires (SNPC). Le Président de la section régionale de Bruxelles Capitale, Éric Mathay, a rebaptisé dans différents médias la PEB : " Pour nous, ça signifie performance erronée du bâtiment ". Le SNPC va déposer prochainement un recours devant la Cour constitutionnelle. Il veut annuler cette nouvelle disposition qui lie l’indexation des loyers au certificat PEB.

Lors de son interview, Éric Mathay nous fait une confidence qui ressemble à un défi : " Vous demandez à plusieurs certificateurs énergétiques de venir examiner votre logement et je mets ma main au feu que vous aurez 3 résultats différents ". Une phrase qui n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Nous allons le prendre au mot.

5 certificateurs, 5 résultats

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Nous allons faire venir 5 certificateurs différents pour expertiser un même appartement en Région bruxelloise. Il s’agit d’un rez-de-chaussée d’une maison deux façades.

Ce logement a néanmoins deux atouts : son propriétaire a isolé le plafond de la cave. Un isolant visible dont on peut mesurer l’épaisseur sur place. Ensuite, cet appartement partage avec le triplex au-dessus de lui une installation photovoltaïque qui diminuera sa consommation énergétique.

Son propriétaire a conservé toutes les factures et toutes les attestations. Le même dossier de preuves acceptables sera présenté à chaque certificateur PEB. Histoire de les placer dans des conditions parfaitement identiques.

© RTBF

Le résultat est sans appel. Le logement va obtenir 5 scores différents : 179, 216, 242, 243 et 264 kWh. Entre le pire et le meilleur, il y a un label complet de différence. On passe de E- à D. En termes de consommation énergétique, ça fait une différence de 47%.

L’expérience met en évidence des différences importantes d’encodage dans :

  1. Les surfaces des logements. Certains encodent 73 m². D’autres, 54m². Soit une différence de 35% qui peut avoir un impact non négligeable sur le résultat final.
  2. La longueur des conduites de distribution de l’eau chaude sanitaire. Certains notent : "inférieure à 1 m". D’autres : "entre 5 et 15 m". Plus la distance est longue, plus le logement sera énergivore.
  3. La puissance de l’installation photovoltaïque. Sur l’attestation de conformité, il est clairement noté 4,940 kWc. Trois certificateurs vont l’encoder correctement. Les deux autres vont encoder des valeurs erronées de 2,586 kWc et de 3,898 kWc.
  4. L’épaisseur de l’isolant du plafond cave. Certains notent 8 cm partout. D’autres, 10 cm. En réalité, c’est un mélange des deux. Un certificateur plus consciencieux prendra soin de mesurer l’épaisseur réelle dans chaque pièce de la cave.
  5. La transmission thermique des châssis : sur la façade avant, il s’agit de nouveaux châssis double vitrage placés en 2019 (facture à l’appui). À l’arrière, ils datent d’avant 2000. Certains certificateurs vont encoder tous les châssis comme étant des châssis performants d’après 2000. Or, ce n’est pas le cas. La valeur U qui mesure la transmission de chaleur au travers du châssis ne sera pas toujours encodée de manière identique d’un professionnel à l’autre.

L’expérience sous la loupe de Test Achats

Philippe Mercier, Expert en Énergie chez Test Achats
Philippe Mercier, Expert en Énergie chez Test Achats © RTBF

Les 5 certificats établis par nos soins coexistent sur le registre des certificats PEB de Bruxelles Environnement. Un nouveau certificat PEB n’écrase pas l’ancien. Ce qui permet au propriétaire de faire son shopping et de choisir le meilleur.

Nous avons fait analyser les résultats de notre expérience par Test Achats. " On est presque à 50% de différence sur le score d’un appartement au rez-de-chaussée. On sait qu’en 2050, on voudrait que les logements se rénovent et qu’on devrait pouvoir progresser de 30 à 50%. Ça sous-entendrait qu’il faudrait changer de certificateurs plutôt que d’investir dans son logement. On n’est pas du tout dans quelque chose d’acceptable ", commente Philippe Mercier, Expert en Énergie de l’association de consommateurs.

Nous avons également mené l’expérience sur le triplex au-dessus de l’appartement du rez-de-chaussée. Deux certificateurs accordaient un label D alors que les 3 autres décernaient un E. Encore un label complet d’écart. La différence de consommation était de 36% entre le pire et le meilleur. La tendance se confirme.

C’est encore de trop. On est bien d’accord

L’équipe d’#Investigation a présenté les résultats de son expérience à Alain Maron, le Ministre bruxellois de l’Énergie. Il ne nie pas le problème : " Ici, il y a une échelle d’écart entre le pire et le meilleur. C’est encore de trop. On est bien d’accord. Ça signifie que le travail n’a pas été fait de manière suffisamment fine. C’est vrai que sur le métrage d’un bien, a priori, les chiffres devraient être les mêmes ".

L’Ecologiste reconnaît qu’il faudra encore investir dans la formation, les logiciels et les contrôles pour minimiser ces différences à l’avenir.

Nous n’étions pas les premiers à réaliser cette expérience. En 2012, Test Achats avait mené un test similaire. Sur Bruxelles, l’association de consommateurs arrivait exactement au même résultat : une différence de 47% entre le pire et le meilleur score obtenu pour un même logement. En 10 ans, le système ne semble pas avoir progressé.

Des problèmes aussi en Wallonie

Des bâtiments qui progressent sans rien faire

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Il ne faudrait pas croire que les problèmes ne se situent qu’à Bruxelles. Alain Meessen, un ingénieur architecte, va nous faire découvrir une bizarrerie du logiciel wallon de certification PEB. Ce Liégeois est certificateur PEB et également auditeur agréé en Wallonie.

Durant ses missions, il s’est rendu compte que les bâtiments progressaient sans rien faire. Il nous fixe rendez-vous dans une rue de Liège (voir vidéo ci-dessus). Il nous attend devant une maison qu’il a auditée récemment. " Ce logement a été certifié en juin 2019. Et le certificateur a donné un label F avec une valeur de 453 kWh. En reprenant le fichier tel quel sans rien changer dans le logiciel actuel de 2022, le bâtiment a bonifié de 16%. Donc, il est passé à 379 kWh et il est monté au label E ".

Pourtant, c’est la même maison dans laquelle il n’y a eu aucuns travaux. Quand le logiciel évolue, les certificats ne sont pas mis à jour automatiquement.

Aucune volonté de mettre à jour

Nicolas Yernaux, le Porte-parole du Service public de Wallonie (SPW), confirme que " […] il n’y a aucune volonté de mettre à jour les certificats PEB automatiquement à chaque évolution de la méthode qui pourrait avoir un impact sur le résultat. L’exemple cité ici illustre un cas où le bâtiment ‘gagne des points’. Je peux comprendre la volonté du propriétaire de vouloir bénéficier de cette ‘amélioration gratuite’. Mais qu’en penserait le propriétaire dans le cas contraire ? Les évolutions de la méthode ne vont pas toujours dans le même sens. "

 

Alain Meessen enfonce le clou. Sur plusieurs années, ce licencié en physique du bâtiment a rédigé plus de 90 remarques qu’il a envoyées au SPW. Il constate notamment que la méthode de calcul wallonne de la PEB est basée " sur une météo d’Uccle qui n’est pas en Wallonie. Cette météo sert pour l’ensemble des logements wallons, sans tenir compte des variations locales ". En clair, une maison à Mons sera mise sur le même pied qu’un logement à Saint-Vith alors que les températures moyennes sont différentes. Les données météo utilisées datent également d’une époque plus lointaine " sur la période 1950-1980 ".

Un petit exemple pour mieux comprendre : le certificat PEB part du principe que vous chauffez toutes les pièces de votre habitation à 18 °C toute l’année. Selon les données météo utilisées par le logiciel wallon, la température du mois de juillet est à 17,6 °C en moyenne. Ce qui veut dire que même en été votre bâtiment consomme théoriquement de l’énergie. Or, inutile de préciser que les températures peuvent être beaucoup plus élevées ces derniers temps. Par conséquent, le chauffage sera réduit à sa plus simple expression.

Pour Alain Meessen, "tous ces problèmes montrent le manque de fiabilité des certificats PEB ".

L’outil a changé

© RTBF

Hier, cela n’avait aucune importance. À l’origine, le certificat PEB était un document purement informatif lors d’une vente ou d’une location d’une habitation. Il permettait de comparer deux biens. Aujourd’hui, l’importance du certificat PEB est de plus en plus grande.

Il a un impact sur la valeur des biens immobiliers. Une étude menée par la KU Leuven en 2019 a démontré que lorsqu’on passait d’un label E à un label B, la valeur moyenne du bien augmentait de 10,9%.

La tendance se confirme et s’amplifie en 2022. Dans son récent baromètre, la Fédération du Notariat mentionne que : " En Wallonie, les maisons moins énergivores (certificat PEB compris entre A et D) ont été vendues en 2022 à un prix moyen de 276.351 euros. Il s’agit donc d’un prix supérieur (+17,3%) au prix moyen des maisons situées en Wallonie (235.615 euros) ". Et les pires labels (E à G) se vendent 15% moins cher que le prix moyen des maisons dans cette région.

Un meilleur crédit avec un bon PEB

Un meilleur crédit avec un bon PEB

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Dans le secteur bancaire, le certificat PEB est aussi devenu incontournable. Un candidat acquéreur est obligé de le fournir lors d’une demande de crédit hypothécaire. Un meilleur taux d’intérêt pourra être proposé au client. " On va octroyer un taux préférentiel sur le crédit hypothécaire à partir du moment où le client va acheter un bien qui affiche maximum 150 kWh/m²/an. Pour la Wallonie, c’est un label B et pour Bruxelles, un label C ", explique François Gengoux, Head of Home and Payments chez Belfius. (Voir un extrait plus large de l’interview en vidéo ci-dessus).

En réalité, cette obligation bancaire émane de la banque nationale. De cette manière, elle peut s’assurer de la bonne santé financière des banques qu’elle régule. " Imaginez qu’une banque n’ait financé que des passoires énergétiques avec un label G. Cette banque en cas de crise aura beaucoup plus de mal à revendre ces biens. Et cette banque pourrait être plus vite amenée à avoir des problèmes de remboursement de la part de ses clients ", ajoute François Gengoux.

Certaines banques obligent déjà aujourd’hui les candidats acquéreurs de logements énergivores à prévoir un budget de rénovation au moment de l’octroi du crédit hypothécaire.

Le certificat PEB impacte les loyers

Depuis le 1er novembre, le certificat PEB est également utilisé pour fixer l’indexation des loyers. Les propriétaires de label F ou G ne peuvent plus indexer leurs locataires. L’indexation est limitée à 50% pour les labels E. Et à 75% pour les labels D (uniquement en Wallonie).

Durant notre enquête, nous avons constaté que cette mesure ne concernait pas les logements sociaux.

Un certificat trop théorique

Le certificat PEB ne colle pas à la réalité

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Des nombreux propriétaires estiment que le certificat PEB surestime les consommations réelles des logements. Michel Breucker est l’un d’eux. En 2006, il rénove deux lofts. Il prend soin de les isoler par l’intérieur. Pas loin de 1500 m² de laine de roche dans toutes les parois. 10 cm sur les murs et 15 dans les plafonds. Il isole le plancher. Il place des protections solaires ainsi qu’une ventilation performante. Il a conservé toutes les preuves acceptables accompagnées de 3000 photos du chantier.

C’est absolument inexplicable

Quand il reçoit le certificat PEB des logements qu’il pense avoir rénovés dans les règles de l’art, c’est la douche froide. " On a eu un label E. C’est catastrophique. Nous avons sur notre certificat 239 kWh /m²/an. Et si on tient compte de nos factures sur plus de 10 ans, on arrive à 66 kWh/m²/an. C’est-à-dire que c’est 3 fois et demie moins. Donc, c’est absolument inexplicable. Le PEB devrait représenter la consommation énergétique du bâtiment ".

Michel Breucker met le doigt sur une réalité. Le certificat PEB est une mesure théorique car, comme nous l’avons écrit plus tôt, il se base sur des hypothèses et ne tient pas compte des habitudes de chauffage des occupants.

En réalité, il oublie pas mal de paramètres comme la nature ou la qualité de pose d’un isolant. Si les plaques d’isolation de votre toiture ne sont pas jointives et qu’il y a des ponts thermiques entre elles, autant dire qu’elles ne servent à rien. Pourtant, le certificat PEB partira du principe que la toiture est isolée si une facture en atteste.

Á épaisseur égale, un isolant en polyuréthane aura toujours une meilleure performance dans le logiciel PEB par rapport à un isolant naturel biosourcé. Pourtant, le polyuréthane est issu des énergies fossiles. Le certificat PEB ne s’occupe que de la performance du matériau sans prendre en compte son énergie " grise " ou si vous préférez son bilan carbone et sa recyclabilité.

On commence à comprendre les limites d’un système conçu initialement pour comparer des logements sur une base théorique. Si on utilise le certificat PEB pour obliger les citoyens à rénover leur logement, c’est une autre paire de manches.

Demain, il va effectivement servir à sanctionner les propriétaires de passoires énergétiques. C’est déjà le cas en Flandre. Depuis le 1er janvier 2023, les nouveaux acquéreurs doivent atteindre le label D dans un délai de 5 ans après l’achat.

En Wallonie et à Bruxelles, les échéances ne sont pas encore clairement fixées au moment où nous écrivons ces lignes. Mais, elles vont arriver bientôt. En Wallonie, on devrait commencer en 2026 avec des tranches de 5 ans comme en Flandre. L’objectif final sera le label A en 2050. À Bruxelles, à partir de 2033, les passoires énergétiques (label F ou G) seront interdites. 10 ans plus tard, tous les logements devront atteindre le label C. Ces dates font l’objet de négociation et devront être validées dans les mois à venir. Mais, on s’oriente vers un outil de plus en plus contraignant.

Il risque de ne pas conduire à des bons résultats

Des professionnels du secteur commencent à sentir une certaine tension qui s’installe sur le marché. " Le certificat PEB n’a pas été développé dans ce sens-là et il risque de ne pas conduire à des bons résultats et de pousser des gens à faire des travaux alors que ce n’est pas légitime par rapport à leurs consommations réelles ", analyse Boris Defays, un certificateur PEB.

Philippe Mercier de Test Achats ajoute que : " Toutes les études le montrent. Plus on a un bâtiment qui est en théorie très énergivore, plus l’occupant va s’adapter et va modifier son comportement pour arriver à maîtriser ses consommations. "

Une question de fond reste en suspens. Pourquoi le citoyen ne pourrait-il pas produire ses factures énergétiques pour démontrer la réalité des consommations de son logement ? Pourquoi le sanctionner si, dans la réalité, son logement n’émet pas beaucoup de gaz à effet de serre ? C’est d’autant plus étonnant que pour les bâtiments publics, on utilise les factures et les consommations réelles pour déterminer le certificat PEB. Force est de constater que ce n’est pas le cas pour les citoyens.

Certes, l’exercice se complique avec un poêle à bois. Mais, cela ne semble pas insurmontable. Un chantier énorme attend le législateur. Il va devoir améliorer la fiabilité du certificat pour qu’il devienne un reflet plus fidèle de la performance énergétique des bâtiments. Sans quoi, il pourrait perdre sa légitimité auprès des citoyens.

 


"PEB : la Performance Embarrassante des Bâtiments", une enquête à voir ce mercredi 8 février à 20h20 dans le magazine #Investigation sur La Une - RTBF.

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