Investigation

#Investigation : Regarder la mort en face - la loi sur l’euthanasie a vingt ans

© Tous droits réservés

Par Alain Vaessen via

Chaque jour en Belgique, huit personnes meurent parce qu’elles l’ont choisi, avec l’assistance d’un médecin. L’accès à cette ultime aide médicale fait toujours aujourd’hui de la Belgique, vingt ans après que la loi l’ait permis, un des rares pays au monde où un tel choix pour sa fin de vie est envisageable.

La question taraudait le corps médical depuis des années et au tournant du siècle, le débat avait fini par s’imposer aux politiques : en quelques mois, à cheval sur 2001 et 2002, trois lois clés ont été discutées et votées. Elles ont bouleversé les relations de chacun avec son médecin, et sa santé : la loi des droits du patient oblige le médecin à informer son patient et à entendre ce qu’il souhaite et ce qu’il accepte pour entretenir ou retrouver sa santé ; la loi sur les soins palliatifs organise des soins de fin de vie et les financent, pour les mourants ; et la loi dépénalisant l’euthanasie autorise celle-ci, sous certaines conditions.

De 260 euthanasies pratiquées la première année, en 2003, on passera progressivement à 950 (en 2010) puis 2000 (en 2015) et un plateau ces dernières années autour de 2400 euthanasies annuelles soit environ un décès sur 45 en Belgique.

Un choix en toute conscience

Les soins palliatifs (en service hospitalier ou à domicile) permettent un accompagnement et une gestion de la douleur. Ils sont largement pratiqués. Mais la possibilité de demander à un médecin le droit de mourir volontairement (l’euthanasie) est donc depuis vingt ans ouvert à tous (y compris au mineurs d’âge, dans de rares cas exceptionnels, depuis 2014).

Les craintes manifestées par les opposants (dès la discussion de la loi) ne se sont pas jusqu’ici vérifiées. L’euthanasie n’est pas devenue un outil de gestion du grand âge permettant d’inciter des anciens à partir. Elle n’a pas non plus banalisé la mort, mêlant au contraire le plus souvent les entourages, familiaux et médicaux, à une décision qui est restée extrême.

La loi est claire : l’euthanasie est un acte individuel, à l’initiative du patient seul, qui doit en formuler personnellement la demande à un médecin (un simple écrit de quelques lignes suffit). Mais cette demande ne sera recevable que si quelques conditions strictes sont remplies : en faire la demande en toute lucidité et conscience, être atteint d’une maladie incurable, souffrir sans plus pouvoir être soulagé, physiquement ou psychiquement.

Ces conditions remplies, la demande d’un patient ne peut être ignorée : si chaque médecin, individuellement, peut renoncer à accompagner un patient dans sa demande d’euthanasie, il ne peut s’opposer à ce que celui-ci s’adresse alors à un confrère y concédant. Un récent ajustement de la loi a privé d’un droit exercé jusque-là par quelques institutions (hospitalières ou de placement) qui s’opposaient à l’euthanasie dans leurs locaux : le médecin seul conserve son droit de conscience l’autorisant à refuser, à titre personnel, d’aider un patient répondant aux conditions légales pour mourir volontairement.

© Tous droits réservés

Une pratique au cœur de notre société

Accompagnée par des médecins de tous âges qui en ont accepté le principe, s’y sont préparés et initiés, la pratique de l’euthanasie s’est au fil des ans affinée. Les entourages (médicaux mais aussi familiaux) sont désormais (quasi) toujours associés au cheminement du patient, de sa décision à l’acte lui-même : une anesthésie suivie d’un arrêt des fonctions vitales.

S’il subsiste aujourd’hui des opposants à l’euthanasie, force est restée à la loi : sa pratique est largement sécurisée. Seuls de rares cas ont entraîné un dépôt de plainte, le plus souvent d’une partie de la famille, ou de membres du personnel hospitalier. Quelques-unes ont été tranchées devant un tribunal, la dernière devant la Cour d’assises de Gand, en 2020. Aucun des trois médecins mis en cause dans ce cas-là n’y a été condamné.

Vingt ans après la dépénalisation de l’euthanasie, la question de sa pratique, et des conditions qui restent imposées, se pose plus que jamais : un million et demi de personnes, en Belgique, ont aujourd’hui plus de 70 ans et elles sont nombreuses à manifester ouvertement leur crainte d’un jour mourir mal, ou dans la souffrance.

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma... Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Tous les sujets de l'article

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous