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#Investigation sur l’aide à la jeunesse : des placements parfois trop longs

Aide à la jeunesse, enfance en danger

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Par Anne-Cécile Huwart via

En Fédération Wallonie-Bruxelles, près de 6500 enfants vivent en famille d’accueil ou en institution. Si dans de nombreux cas, ces placements sont justifiés, il arrive que certains parents qui avaient besoin d’une aide temporaire se trouvent éloignés de leur enfant pendant plusieurs années. #Investigation a rencontré plusieurs parents qui vivent ou ont vécu cette situation.

L’éloignement en dernier recours

En Fédération Wallonie-Bruxelles, l’Aide à la jeunesse prend en charge chaque année 40.000 enfants. Parmi eux, 3700 sont placés en famille d’accueil et 3000 en hébergement résidentiel. Environ 2600 jeunes sont encore hébergés dans des internats scolaires, des hôpitaux ou encore des institutions du secteur du handicap.

Éloigner un jeune de sa famille constitue en principe le dernier recours. S’il faut malgré tout écarter un enfant de son milieu d’origine, parce qu’il y serait en danger, la famille élargie est privilégiée. La famille d’accueil et le centre d’hébergement ne sont envisagés que lorsqu’il n’y a plus d’autres solutions possibles. Et, en principe toujours, cet éloignement doit être le plus court possible. C’est ce que prévoient la Convention internationale des droits de l’enfant et le Code Madrane, le décret qui régit l’Aide à la jeunesse en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Les principaux motifs de placement sont la toxicomanie ou l’alcoolisme d’un des parents, des limites intellectuelles ou une maladie mentale, ou encore (des soupçons) d’actes de négligence ou de maltraitance. La plupart des enfants placés sont issus de familles précarisées dont les parents vivent de revenus de remplacement.

D’autres solutions envisageables

Dans la majorité des situations, le placement permet à l’enfant d’éviter de la souffrance au sein de son foyer. Mais certains sont éloignés de leur famille alors que d’autres solutions étaient envisageables. C’est le cas d’Alexandre, né en 2006. Jusqu’à ses 10 ans, il vit avec ses parents en garde partagée. Très bon élève, bien dans ses baskets, il fréquente des mouvements de jeunesse et des clubs sportifs. Dans ses bulletins scolaires, les commentaires des enseignants sont élogieux. Seule ombre au tableau : sa mère souffre de graves problèmes physiques et psychologiques. Cette famille est suivie par le Service d’Aide à la Jeunesse depuis plusieurs années. Des mesures d’aide ont été préconisées mais jamais concrètement mises en place.

Puis, il y eut ce 28 avril 2016. Ce soir-là, Alexandre loge chez sa maman. Il se plaint d’un mal de tête. À la place d’un antidouleur, elle lui donne un anxiolytique prescrit pour elle. Elle réalise son erreur et appelle les secours, qui arrivent en même temps que la police. La mère est arrêtée pour tentative d’empoisonnement. Alexandre est emmené à l’hôpital. La dose avalée n’était heureusement pas dangereuse ; l’enfant n’a pas dû subir de lavage d’estomac.

Alexis, son père, n’était pas présent au moment des faits. Les parents vivent séparément ; le tribunal de la Famille leur imposait une garde partagée, avec un hébergement principal pour le père. Au terme de l’hospitalisation de l’enfant, celui-ci pense pouvoir récupérer son fils. Mais Alexandre est confié à une famille d’accueil, chez son oncle paternel, puis en institution. Les parents n’ont plus pu voir leur fils pendant de nombreux mois. Les contacts sont d’abord réduits à quelques minutes par téléphone par semaine, puis de manière encadrée en Espace-Rencontre. "C’était très gênant pour moi de recevoir des conseils d’éducation par de jeunes personnes sans doute même pas elles-mêmes parents, explique Alexis. D’autant que ma manière d’éduquer mon fils n’était pas en cause à la base, cela n’avait rien à voir avec les faits."

Depuis le début, Alexis se bat pour récupérer son fils. Mais plus il introduit des recours en justice, plus il est écarté de son enfant. Pour mettre un terme à ce rapport de force, les deux parents finiront même par être déchus de leurs droits parentaux. Cette mesure extrême ne s’applique en principe qu’en cas d’abus d’autorité, de viol, de séquestration ou d’abandon. Rien de tout cela ici…

Je n’avais rien à faire dans ce centre aussi longtemps. On m’a volé mon enfance.

Et en mai 2022, à la suite d’une plainte pour coups et blessures déposée par Alexandre contre un membre du personnel du centre, l’adolescent est soudain rendu à ses parents, pourtant déchus de leurs droits. Après 6 ans de placement, l’adolescent est donc rentré chez lui. Il se dit en colère : "On devait juste calmer les choses, comprendre ce qu’il s’était passé, puis me remettre à mon père, explique Alexandre. Il n’était même pas là au moment des faits ! Je n’avais rien à faire dans ce centre aussi longtemps. On m’a volé mon enfance."

Une aide temporaire qui se transforme en éloignement pendant trois ans et demi

Nathanaël, 11 ans, a lui aussi subi un placement de longue durée. Sa mère ne demandait pourtant qu’une aide temporaire. Nathalie a connu des problèmes de santé et de logement. La prise d’un médicament en était la cause : le Rivotril, prescrit pour des personnes épileptiques ou atteintes du syndrome des jambes sans repos. Ce dont Nathalie ne souffre pas. "J’avais suivi la prescription du médecin, explique Nathalie. C’était une erreur. Je n’aurais pas dû." En janvier 2019, elle prend sa voiture en pleine nuit et subit un accident. "Le médicament m’avait fait perdre toute notion de réalité." À la suite de cela, Nathanaël a été placé, d’abord chez sa tante puis en institution.

Ils ont voulu l’inscrire dans un établissement pour enfants psychotiques, alors qu’il ne souffre d’aucune maladie mentale.

L’arrêt du médicament marque l’arrêt des problèmes. Nathalie trouve rapidement un logement confortable et de la stabilité. Pourtant, Nathanaël restera éloigné d’elle pendant trois ans et demi. Et sans les efforts de cette maman pour récupérer son fils, il y serait probablement resté jusqu’à sa majorité. "Ils ont voulu l’inscrire dans un établissement pour enfants psychotiques, alors qu’il ne souffre d’aucune maladie mentale ! Heureusement j’ai pu m’y opposer. J’ai eu peur, très peur."

Pas de budget pour l’accompagnement des parents

Les parents d’Alexandre et Nathanaël ont eu la possibilité de se battre pour retrouver leur enfant. Beaucoup n’en ont pas la force ni les moyens. Et les centres d’hébergement n’en disposent pas non plus pour travailler le retour en famille, si celui-ci est envisageable. Aucun budget ne leur est alloué pour ce que l’on appelle la double mesure : lorsqu’un enfant est placé, un accompagnement parental doit être mené en parallèle. C’est l’une des raisons qui explique que seul 1% des enfants placés sur du moyen ou sur du long terme sont dans un projet de retour. Cette politique budgétaire va donc à l’encontre du Code Madrane et de la Convention internationale des droits de l’enfant. "Le Décret Madrane a été voté en 2018, explique Serge Léonard, avocat spécialisé en Droits de l’enfant. Un an plus tard, en 2019, un arrêté a fixé les moyens alloués à un centre lorsqu’un enfant est placé… Et il ne prévoit rien pour la double-mesure. Or, ces centres déjà surchargés manquent de moyens et d’équipes spécialisées pour travailler avec les parents."

Le faible pourcentage des situations de double-mesure témoigne, selon moi, d’une utilisation rationnelle et pertinente des ressources disponibles.

Interpellée à ce sujet au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, en mars 2022, la ministre Valérie Glatigny assumait ce choix de ne pas appliquer la double-mesure : "Le parent doit être partenaire de l’accueil de son enfant par les services résidentiels. Il est important de ne pas multiplier les intervenants autour d’un enfant et d’une famille. Le faible pourcentage des situations de double-mesure témoigne, selon moi, d’une utilisation rationnelle et pertinente des ressources disponibles."

La double-mesure pourrait pourtant permettre de réduire la durée de certains placements. D’après l’administration de l’Aide à la jeunesse, ceux-ci durent en moyenne trois ans. Or, une année de placement coûte 58.000 euros par jeune chaque année.

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