La nouvelle Première ministre italienne Giorgia Meloni a présenté ce mardi matin son programme de gouvernement au parlement, un mois jour pour jour après la victoire historique de son parti post-fasciste Fratelli d’Italia aux législatives. Europe, défense, immigration, chômage, environnement : la première femme à arriver à ce poste en Italie a fait un tour d’horizon ambitieux des défis qui attendent son équipe, jurant n’avoir aucun lien avec le fascisme et confirmant son ancrage à l’Europe et au monde occidental. Elle assure aussi que l'Italie continuera à soutenir l'Ukraine. La nouvelle Première ne cache pas que l'année qui vient sera difficile pour l'Italie, elle envisage donc d'augmenter l'aide aux familles.
Après les multiples remerciements à ses soutiens, au peuple italien, aux femmes qui lui ont ouvert la voie, à son prédécesseur Mario Draghi, au chef de l’Etat Sergio Mattarella et même au Pape, ce qui lui a valu une salve d’applaudissements appuyée, la nouvelle Première ministre a voulu rassurer.
Fascisme : une mise au point
Sur ses valeurs politiques, qu’elle décrit comme de "droite démocratique", pour faire taire les critiques qui rappellent le pedigree fasciste de son parti, elle nie catégoriquement mardi toute "sympathie" avec le fascisme.
"Je n’ai jamais eu de sympathie ou de proximité vis-à-vis des régimes antidémocratiques. Pour aucun régime, fascisme compris", a-t-elle affirmé devant la Chambre des députés.
A l’opposé, celle qui se décrit comme un "underdog", un challenger qui doit renverser toutes les prédictions pour réussir, se fait chantre de la liberté et de la justice : "Nous voulons libérer les meilleures énergies de ce pays et garantir un avenir de plus grande liberté, de justice, de bien-être étant. Si pour cela nous devrons embêter des potentats ou faire des choix qui ne peuvent être partagés immédiatement par certains citoyens, nous ne reculerons pas car nous ne manquons pas de courage. Nous tiendrons les engagements pris avec les citoyens".
Profession de foi européenne
Dans la foulée, convoquant la mémoire de Saint-Benoît, brandissant la "civilisation occidentale" et ses "valeurs judéo-chrétiennes", Giorgia Meloni a livré une profession de foi européenne et atlantiste : elle veut ainsi fermement ancrer l’Italie au cœur de l’Union européenne et de l’Otan. L’Italie fait "pleinement partie de l’Europe et du monde occidental", a-t-elle affirmé avec force devant les députés. "Nous ne voulons pas freiner et saboter l’Union européenne mais qu’elle soit plus efficace".
"L’Italie va respecter les règles" européennes, poursuit-elle, même si Rome veut aussi "contribuer à changer celles qui ne fonctionnent pas". L’Union est "une maison commune des peuples européens pour affronter les défis que les Etats membres peuvent difficilement affronter seuls", a-t-elle ajouté.
Deuxième mise au point : atlantiste convaincue et soutien de l’Ukraine
Giorgia Meloni, qui compte dans sa coalition des partenaires prorussses, notamment le chef de Ligue Matteo Salvini et le leader de Forza Italia Silvio Berlusconi, a promis que l’Italie resterait "un partenaire fiable de l’Otan en soutien à l’Ukraine qui s’oppose à l’agression de la Russie", ce qui lui a valu de nouveaux applaudissements.
"Céder au chantage (du président russe Vladimir) Poutine sur l’énergie ne résoudrait pas le problème, cela l’aggraverait ouvrant la voie à de nouvelles prétentions et chantages et de futures augmentations (du prix) de l’énergie encore plus importantes que celles que nous avons connues ces derniers mois", a-t-elle estimé.
Adoptant un ton combatif, Giorgia Meloni a déclaré que sa coalition de droite nationaliste ferait entendre sa voix en Europe et n’avait pas à être placée sous la surveillance des autres pays européens.
Economie : du volontarisme face aux vrais défis
Les nombreux défis qui attendent son gouvernement sont essentiellement économiques, à commencer par l’inflation et la dette publique. Paradoxalement, alors que son parti avait campé dans une opposition frontale au gouvernement de Mario Draghi, son programme s’inscrit dans la continuité de celui de l’ex-chef de la Banque centrale européenne, au moins dans le domaine économique.
L’inflation a augmenté de 8,9% sur un an en septembre et l’Italie a été particulièrement touchée par la crise énergétique en raison de sa dépendance aux importations de gaz russe.
La Première ministre s’est engagée en "priorité" à "renforcer les mesures de soutien aux ménages et entreprises, aussi bien pour les factures énergétiques que pour le carburant". "Un engagement financier qui drainera grande partie des ressources disponibles".
Sa démarche vise à rassurer aussi bien les marchés que ses partenaires européens de façon à ne passer à côté d’aucune aide, prêt ou subvention, européenne, indispensable pour un pays dont la dette atteint 150% du PIB, soit le ratio le plus élevé de la zone euro après la Grèce, et qui devrait entrer en récession en 2023, selon les prévisions du Fonds monétaire international.
Outre une réforme des retraites, d’importantes aides aux ménages et entreprises, un taux d’imposition unique de 15%, le programme du gouvernement comprend aussi la construction d’un pont controversé au coût faramineux entre la Sicile et la Botte italienne.
Malgré ces limitations budgétaires, Giorgia Meloni entend donner un boost au Sud de l’Italie, plus touché par la crise et le chômage : "Je suis convaincue que ce tournant est aussi la meilleure occasion de remettre la question méridionale au centre de l’agenda italien. Le Sud n’est plus considéré comme un problème mais comme une opportunité de développement pour toute la nation. Nous travaillerons dur pour combler un déficit infrastructurel inacceptable, éliminer les inégalités, créer des emplois, assurer la sécurité sociale et améliorer la qualité de vie. Nous devons pouvoir mettre un terme à cette supercherie par laquelle le Sud exporte de la main-d’œuvre, de l’intelligence et des capitaux ".
"Et notre nation, en particulier le Sud, est le paradis des énergies renouvelables, avec son soleil, son vent, la chaleur de la terre, ses marées et ses fleuves. Un patrimoine d’énergies vertes trop souvent bloqué par la bureaucratie et des veto incompréhensibles. En somme, j’en suis convaincue, l’Italie, avec un peu de courage et un esprit pratique, puisse sortir de cette crise plus forte et plus autonome qu’avant".
La nouvelle Première ministre a récité un credo très libéral, appelant à moins de règles, plus claires, et à laisser l’entreprise entreprendre. Elle promet aussi une trêve fiscale, associée à plus de lutte contre l’évasion fiscale.
Selon elle, la pauvreté ne se combat pas. La solution ne consiste pas dans l’accompagnement ou le revenu universel mais bien dans le travail, martèle-t-elle. C’est donc un enterrement de première classe pour le "revenu de citoyenneté", un revenu minimum pour les plus pauvres instauré en 2019 à l’instigation du Mouvement 5 Etoiles (ex-antisystème).
Pas de libéralisation du cannabis, arrêt de l’immigration illégale
Sur les sujets de société, comme prévu, le gouvernement Meloni prend des positions conservatrices : pas de libéralisation du cannabis, par exemple.
La nouvelle cheffe du gouvernement italien entend aussi "arrêter les départs illégaux" d’Afrique vers la péninsule. "Ce gouvernement veut arrêter les départs illégaux (d’Afrique) et briser le trafic d’êtres humains" en Méditerranée, a-t-elle dit lors de son discours. "Peut-être que la chose la plus importante" à faire est "d’éliminer les causes qui poussent les migrants, surtout les plus jeunes, à abandonner leur terre, leurs racines culturelles, leur famille pour chercher une vie meilleure en Europe". "Nous n’avons nullement l’intention de remettre en cause le droit d’asile pour ceux qui fuient les guerres et les persécutions. Tout ce que nous voulons faire en matière d’immigration, c’est empêcher les passeurs de faire la sélection pour entrer en Italie".
En revanche, Giorgia Meloni dit ne pas vouloir toucher à la loi autorisant l’avortement. Elle promet aussi de faire en sorte que l’Italie soit prête à mieux affronter les pandémies sans pratiquer les interdictions ou obligations bureaucratiques.
Le discours de Giorgia Meloni sera suivi d’un vote de confiance, mardi soir à la Chambre des députés et mercredi au Sénat.