Un premier album, c’est un peu comme un hall d’entrée : une fois qu’on a passé la porte, on ne peut plus vraiment rebrousser chemin. C’est en tout cas ce que pensent les quatre lascars de JAKOMO, qui il y a pile deux semaines levaient le voile sur leur premier disque studio, Lobby. À l’occasion de cette fameuse sortie, je me suis installée à la terrasse d’un café pour papoter musique, amitié, inspiration et pédales à effet avec Julien Tanghe, guitariste et chanteur du groupe.
Salut Julien ! Votre premier album Lobby sort dans quelques jours. Comment est-ce que tu te sens ?
Excité, surtout. On est super enthousiasmés à l’idée de sortir l’album prochainement et puis d’aller le présenter live à l’AB. C’est vraiment cool, c’est un peu comme si on commençait l’année avec de la positive energy. Surtout après deux trois ans de moments un peu plus calmes, où on n’est pas beaucoup sortis de notre local de répète (rires). Ça fait quelques semaines qu’on se prépare à jouer live, et c’est chouette de répéter à nouveau dans cette optique-là. C’est vraiment chouette de redécouvrir les morceaux !
JAKOMO existe depuis plusieurs années. Peux-tu m’en dire un peu plus sur la genèse du projet ? Quelle est la dynamique au sein du groupe ?
JAKOMO, c’est un projet que j’ai créé il y a quelques années. J’avais des maquettes, je voulais faire de la musique. Je m’amusais dans ma chambre à faire mes enregistrements, puis j’ai commencé à vouloir jouer live. J’ai eu envie de jouer avec un set up variable : appeler mes potes, voir qui était dispo pour un concert, etc. On a fait quelques concerts avec une team un peu variable, mais assez vite avec le guitariste on s’est fort soudés et on a commencé à pas mal jouer ensemble. Au fur et à mesure, on s’est créé une équipe soudée, on est devenu plus un groupe qu’un projet solo. On a joué avec une team assez fixe pendant deux trois ans, et on a sorti notre premier EP, Fastbreak. C’était encore mes compos, mais on les travaillait beaucoup à quatre dans notre local de répète. L’idée originale émanait toujours de moi, mais chacun y amenait vraiment de sa personne. C’était une chouette balance de personnalités. Le nouvel album, on l’a écrit avec un autre batteur. Là, on a vraiment plus composé à quatre. Les idées de base viennent toujours de moi, mais pas uniquement : il y a des compos qui émanent vraiment de Wout, le guitariste. Ça c’est un peu la nouveauté de l’album : des idées originales de sa part qu’on a retravaillées tous les quatre. C’est bien plus coloré que ce qu’on a fait dans le passé étant donné qu’il y a une tête créative en plus. Ça se ressent, et pour moi c’est aussi très chouette de jouer des morceaux qui n’ont pas été composés dans ma chambre, mais que lui a composés. On remarque quand même que c’est une manière de composer qui est différente, et ça enrichit aussi ma perspective en tant que musicien. Lobby, c’est vraiment le résultat d’un travail collectif, dans le local de répète (…) Au niveau organisation, on est de plus en plus soudés comme un groupe. Avant, c’était surtout moi qui décidait des choses, puis je disais aux autres ce que je voulais faire. Au fil des années, on s’est vraiment rapprochés d’un point de vue amical mais aussi professionnel. On prend les décisions ensemble, on réfléchit ensemble (à trois donc, parce que le batteur a fait l’album avec nous mais il n’est plus impliqué dans le groupe, on a un autre batteur pour le live). On est surtout contents de s’être trouvés d’un point de vue amical et professionnel. C’est quelque chose que je n’avais pas vraiment calculé de base. Moi je voulais juste faire de la musique. Finalement, j’ai trouvé des partenaires qui étaient aussi motivés que moi, ce qui a fait qu’aujourd’hui quand on parle de JAKOMO, on parle d’un groupe.
Comment est-ce que vous vous êtes rencontrés ?
Wout, celui que je connais depuis le plus longtemps, je le connais du basket ! On faisait du basket ensemble et assez vite on s’est rendu compte qu’on avait une passion commune pour la musique. On allait voir des petits concerts ensemble. Lors d’un concert de Whitney à l’AB en 2016, je lui ai demandé “tiens, est-ce que t’as pas envie d’une fois venir jouer mes démos juste pour le fun ?”. C’est comme ça qu’on a commencé, et ça s’est bien passé. Assez rapidement, Wout a pris le lead au niveau visuel. De base il est architecte, et là il fait des études de narration en image. Pour l’album, il a commencé à expérimenter avec de la terre glaise. Il est un peu sorti de sa zone de confort : en plus des dessins et des peintures, il s’est mis à modeler, avec ses mains, des choses en trois dimensions. L’artwork de l’album, c’est tout à fait ça. Il fait aussi certains de nos clips.
Vous avez l’air d’avoir trouvé une bonne dynamique. Si je ne me trompe pas, c’est aussi la première fois que vous sortez quelque chose via un label, On The Level. Comment cette collab est-elle née ?
C’est la première fois avec On The Level, oui. C’est un ami à nous qui, il y a un petit temps, nous avait proposé de travailler avec lui. C’est un jeune gars de notre âge qui est passionné de musique. Il a organisé des concerts à Gand, il a fait des stages dans des salles, etc. Il avait envie de se lancer dans le management, il a vraiment envie de soutenir les artistes à sa manière. Donc de base, c’est “seulement” un manager. C’est après un an qu’il s’est dit “tiens, pourquoi ne pas faire un label aussi ?”. Donc On The Level, c’est un jeune label qui vient vraiment d’un jeune passionné comme nous. Je ne pense pas qu’on puisse dire que ça a impacté notre musique en soi, mais par contre ça impacte vraiment la manière dont on approche les choses d’un point de vue organisationnel : ça facilite beaucoup de choses. Le premier EP, on l’avait sorti sur Etiquette Records, notre propre label. C’était une sorte de collectif qu’on avait créé avec des potes. On avait sorti quelques chouettes trucs, mais on a arrêté parce qu’on sentait que c’était un peu compliqué de tout gérer à la fois.
Le premier album, c’est une étape particulière dans la vie d’un groupe. Pour toi, qu’est-ce que représente ce disque ?
Ce que je vais dire n’est sans doute pas très bankable, mais pour moi, il y a une petite touche négative liée à cette sortie. On a créé l’album dans une période assez compliquée pour moi. Donc, je pense que Lobby sera toujours rattaché à une période pas super cool pour moi. Par contre, c’est aussi — et surtout — le symbole de notre amitié. On en est sortis plus soudés. Lobby, c’est le produit de cette amitié qui pour moi a beaucoup de valeur et qui aboutit avec deux très chouettes concerts à l’AB. Quelque part, ça symbolise peut-être plus que cette période pas dingue : c’est surtout le symbole de cette amitié qui a beaucoup de valeur et qui m’a permis de tenir le coup.
Cet aspect plus sombre de cette période, est-ce que tu en as parlé dans tes morceaux ? Ou justement, est-ce que tu as préféré considérer la musique comme un échappatoire ?
J’ai l’impression que le contenu des chansons est toujours un peu abstrait. Il y a bien sur des paroles, mais on trouve toujours des manières poétiques de dire qu’on ne se sent pas très bien ou qu’on est mélancolique. Je pense que les morceaux évoluent en fonction de notre dynamique commune, et de l’état dans lequel je suis. Si on se retrouve à faire les cons, il y aura d’office une petite légèreté dans les chansons. Je ressens plutôt les choses en termes de vibes et d’énergies. Pour moi, je pense que c’est plutôt un échappatoire et une manière supplémentaire de gérer ces émotions de la vie de tous les jours. J’en parlais avec mon coloc qui me demandait pourquoi et dans quelles conditions j’écrivais : j’ai remarqué que souvent, je suis assez productif quand ça commence à aller mieux. Dans la plupart des cas, c’est après une période “pas dingue” que j’arrive à placer les choses. Personnellement, la musique m’a toujours aidé à placer les choses. J’ai parfois du mal à comprendre mes propres émotions, je suis toujours très lent dans l’analyse. Je pense que mon intelligence émotionnelle n’est pas super développée, notamment par rapport aux autres. La musique, c’est un outil qui m’aide à cadrer, à canaliser, à comprendre ce genre de choses. De ce point de vue là, c’est très introspectif comme musique. Et c’est aussi un moyen pour moi de mieux comprendre les autres.
Et que les autres te comprennent mieux ?
Ça, je ne sais pas (rires). Je pense qu’avec le groupe, on commence à vraiment bien se connaître. Quelque part, ils comprennent parfois un peu mon mood quand je viens avec des idées. Moi je trouve ça aussi intéressant que ça reste assez abstrait. J’espère que les personnes qui écouteront l’album pourront plutôt se retrouver dans des vibes et des émotions. Pour l’un c’est peut-être une rupture amoureuse, pour l’autre c’est peut-être une difficulté professionnelle, ou justement, un truc plus joyeux. Ce qui est chouette, c’est de placer ça dans différents contextes et différentes personnalités. Chacun peut avoir sa propre grille de lecture.
Disorder
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Le disque propose d’ailleurs cette ouverture-là : on passe d’un mood très rock avec des guitares noisy à des morceaux plus acoustiques et instrumentaux. Ils semble y avoir un cote hybride auquel JAKOMO ne nous avait pas nécessairement habitué·es avant.
Merci beaucoup ! Jusqu’ici, c’est toujours moi qui ai chanté. Sur Lobby, il y a aussi Wout qui chante. Par exemple, sur “Sexdroom”, c’est lui. Il y a beaucoup de gens qui n’étaient pas au courant, comme ma maman qui m’a dit “tiens, ta voix est un peu différente là-dessus” (rires). Pour les gens qui nous suivent depuis quelques années, c’est une chouette surprise. Voir Wout qui chante et qui s’affirme vraiment sur scène, c’est super. C’est un gros challenge pour lui évidemment aussi, mais on découvre une nouvelle facette de sa personne. C’est super intéressant. En tant que collègue et ami, ça me fait plaisir de le voir évoluer comme ça. Il est passé du petit pote timide du basket à ça ! Je trouve ça très valorisant pour le projet et pour moi-même en tant qu’être humain que de pouvoir partager ça avec lui et de nous voir évoluer ensemble.
Vous avez l’air d’avoir une relation très saine, vous parvenez à prendre votre place. Tu mentionnais le fait qu’écrire te permettait de canaliser tes émotions. Est-ce que c’est à ce moment la que tu vient l’inspiration ? D’où vient l’inspiration ?
Je pense. J’ai l’impression que chez moi, le processus de prendre ma guitare en main et d’essayer des trucs, c’est justement en parallèle avec le processus mental de “OK, je me reprends. J’ai envie de faire des choses”. Dans ce sens-là, l’inspiration est liée à ce regain d’énergie, ce regain d’envie. Je ne suis pas trop du style à forcer les choses. Ça peut m’arriver de ne pas faire de guitare pendant un mois parce que je n’en ai pas envie.
Parlons de votre musique : où est-ce que tu situes l’identité sonique du groupe ?
On a beaucoup eu la connotation “happy-sunny-good vibes” de l’indie pop-rock, mais aussi un côté un peu plus nerveux qui émanait de nos prestations live. On a beaucoup joué sur cette polarité. Je pense que c’est toujours un peu le cas, mais on est un peu moins binaires dans le sens où on découvre un peu des émotions moins black and white, avec parfois plus de complexité. On a pas mal de choses assez dissonantes dans le nouvel album, des choses qu’on a osées faire pour la première fois. On va dans une vibe qui est plus “malaisante”, qui reflète le parcours qu’on a eu et que beaucoup de gens ont vécu ces dernières années. On est tous dans une transition vers l’âge adulte. Quand on a sorti le premier EP, on faisait justement allusion à cette fameuse transition, dans un monde un peu fou où c’est difficile de trouver son identité. Pour Lobby, on est dans l’avant chambre. On entre dans le monde adulte, comme si c’était un hôtel. On est dans la première chambre et c’est un peu le bordel (rires). On ne sait pas trop ce qui se passe mais il n’y a pas de marche-arrière possible. There’s no way back !
Quelles ont été vos influences lors de la composition de ce disque ?
On a toujours un peu peur de citer des noms. On n’essaye pas de se distancier de nos influences mais on essaye de les rendre un peu plus riches, et d’incorporer plus d’influences qu’auparavant dans notre musique. On nous a souvent comparés à Mac DeMarco, King Krule, etc. Les noms faciles à trouver (rires). Après, on les a beaucoup écoutés : ce sont des influences qui se retrouveront toujours dans notre musique. Pareil pour Homeshake. Mais cette fois-ci, on a essayé d’aller chercher des influences ailleurs, dans la musique R&B live par exemple. Ce n’est peut-être pas une évidence, mais on avait envie de quelque chose de plus groovy. Pour un autre article, Wout avait cité Nelly Furtado comme influence, ou encore Pharrell Williams. Ce sont des artistes auxquels on ne pense pas forcément quand on pense à JAKOMO, est pourtant quand on traine ensemble, c’est ce qu’on écoute. Quand on mange, on écoute Destiny’s Child, du cheesy R&B des années nonante (rires). Pour le reste, on a aussi essayé d’aller chercher des influences plus dans le monde de la psyché. On ne s’est pas limités à l’indie pop-rock typique à la Mac DeMarco, Boy Pablo ou encore King Krule.
Quelles sont les éléments caractéristiques du son JAKOMO ?
Dans notre musique, on utilise beaucoup de reverb et de chorus. Mais justement, moins qu’avant. On s’est distanciés de notre côté dreampop. Il y a un petit temps, on a fait une session de coaching-arrangements avec Lucien Fraipont alias Robbing Millions, qui est d’ailleurs une de mes inspirations. C’est une des raisons pour lesquelles j’avais envie de faire de la musique, cette qualité un peu intemporelle qu’ont les sons plus clean. Le chorus, la reverb, c’est très temporel. C’est presque l’algorithme YouTube 2015-2020 (rires). Parfois, c’est très cool, mais parfois une bonne mélodie peut être très bien avec la chaleur de l’ampli. Avec Lobby, on a essayé de chercher ce caractère plus intemporel, moins stylisé (…) Cette vision “less is more”, on a essayé de l’incorporer dans notre processus créatif, surtout dans le rendu live. C’est aussi un principe que notre ingé son met beaucoup en valeur : bien chanter, jouer ensemble, avoir un bon son bien clean. Il ne faut pas souvent plus.
Est-ce qu’il y a un morceau de l’album que tu apprécies particulièrement ?
J’ai deux morceaux favoris. Le premier c’est “Wastelands”, c’est le premier morceau qu’on a écrit. Il a beaucoup évolué : je l’ai sorti en solo pour un film que j’ai fait avec ma copine, avec des drums électroniques, d’autres paroles, etc. Pour moi, ce morceau reflète bien notre parcours en tant que groupe, et avec notre producteur Michiel De Maeseneer (qui a notamment travaillé avec Sylvie Kreusch et Balthazar). C’est un très chouette morceau ! Il est un peu bizarre, c’est le premier morceau qu’on écrit en 7/8. C’était très difficile de le jouer, donc musicalement c’était aussi un challenge. Ça coche un peu toutes les cases : musicalement intéressant, belle représentation de notre amitié. Mon deuxième morceau préféré c’est “Wear”, c’est Wout qui l’a écrit. Je le trouve très beau. Sur ce morceau, j’ai pris un autre rôle que d’habitude : j’étais plutôt arrangeur que compositeur. D’ailleurs sur la version studio, je ne chante pas et je ne fais pas la guitare lead. C’était très intéressant de jouer avec cette autre approche. Et surtout, ce morceau me rappelle à quel point la manière dont Wout se livre au projet est belle. Il se met à poil dans cette chanson (rires). En live, c’est très cool à jouer aussi.
Pour notre plus grand plaisir, JAKOMO présenteront leur premier album Lobby à l’Ancienne Belgique les 23 et 24 mars prochains. Une double date qui, si ce n’est déjà fait, devrait se retrouver illico dans vos agendas. Allez, on s’y voit ?