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Japon: sanctions contre le harcèlement moral des femmes au travail

Durcissement des sanctions en cas de harcèlement moral des femmes enceintes ou des jeunes mères de famille sur le lieu de travail

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Au Japon, 40% des femmes enceintes ou de retour de congé de maternité se disent victimes de harcèlement moral et 60% des femmes enceintes quittent leur emploi avant même le début de leur congé de maternité, tellement on leur mène la vie dure dans leur entreprise du fait de leur grossesse.

Concrètement, cela veut dire :

-des réflexions culpabilisantes sur le fait que leur congé de maternité nuit au bon fonctionnement du service, donne encore plus de travail aux collègues, donc complique la vie à tout le monde.

-des jugements moralisateurs, aussi : très fréquents par exemple quand la femme enceinte n'est pas mariée.

-des demandes d'horaires de travail aménagés qui sont refusées. Ou, à l'inverse, ces femmes sont reléguées, contre leur gré, à des postes subalternes, avec réductions de salaire à la clé

-ou alors, carrément, le chantage à l'emploi. C'est l'abandon du projet de maternité, ou la perspective d'être licenciée.

Toutes ces pratiques donnent lieu à 4000 plaintes en justice par an. Donc chaque jour, 10 Japonaises traînent leur employeur devant les tribunaux pour harcèlement moral. Et c'est un chiffre qui n'arrête pas d'augmenter, année après année.))

Comment explique-t-on cela ?

La dureté du monde de l'entreprise. Au Japon, les journées de travail sont extrêmement longues : 12 à 15 heures par jour, en général. Une telle pression rend souvent le climat pesant: un employé sur quatre dit souffrir de harcèlement moral. Et ce sont surtout les femmes qui en sont victimes parce que, dans ce pays où les hommes travaillent énormément et prennent très rarement un congé de paternité, ce sont elles qui s'occupent des enfants. Donc, quand elles ont un emploi, avec la plupart du temps une charge de travail énorme, c'est souvent source de tensions avec l'employeur. Une Japonaise sur deux ne reprend pas son emploi après son congé de maternité. Parce cette double casquette de mère de famille et d'employée débordée, c'est très compliqué à gérer.

Pour ne rien arranger, la moitié des Japonaises qui travaillent ont un emploi précaire. Or, c'est surtout là qu'il y a du harcèlement moral au travail, beaucoup plus que dans les emplois réguliers - qui sont souvent l'apanage des hommes.

Donc, là encore, les femmes sont pénalisées.

Ce harcèlement moral si répandu, cela dit des choses sur, plus globalement, la manière dont la femme est considérée au Japon ?

 

 

En tout cas, dans ce pays plus qu'ailleurs, la quasi-totalité des chefs d'entreprises sont des hommes. Cela vaut d'ailleurs aussi pour les dirigeants politiques. Et, en ce qui concerne la perception générale des femmes, 40% des sondés, deux sexes confondus, considèrent que leur place, c'est à la maison. Donc : lui au boulot, jusqu'à pas d'heure, et elle à la maison - a fortiori si elle est enceinte.

Le problème, c'est que cette vision très patriarcale des choses, ce n'est pas bon pour l'économie. Le Japon connaît une très grave pénurie de main d'oeuvre : il n'y a pas assez de jeunes qui rentrent sur le marché du travail pour remplacer les vieux qui partent à la retraite. Du coup, les entreprises n'arrivent pas à recruter : 60% sont en sous-effectifs.

Donc il faut à tout prix que les femmes ne quittent plus en masse leur travail à cause du harcèlement moral. Parce que cela aggrave encore cette pénurie de main d'oeuvre. C'est pourquoi, avec cette réforme, le gouvernement veut faire en sorte que les femmes ayant un emploi s'y sentent bien, au point de choisir de le garder même pendant le début de leur grossesse ou après leur accouchement.

En plus, derrière tout cela, il y a un autre enjeu qui est vital, pour le Japon.

Un enjeu démographique.

C'est le pays du monde qui a le taux de natalité le plus bas. Ce qui explique pourquoi, année après année, sa population vieillit et diminue.

La seule façon de s'en sortir, c'est que les Japonaises fassent plus d'enfants.

D'où la volonté des autorités de lever tous les obstacles qui les en dissuadent, notamment les obstacles professionnels.

 

Bernard Delattre

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