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Jayda G : on a parlé musique et environnement avec la nouvelle reine des dancefloors

© Nabil Elderkin

Par Guillaume Scheunders via

Trois ans après Both Of Us, le tube qui l’a propulsée vers les plus grandes scènes de la planète et qui lui aura valu une belle nomination aux Grammy’s, Jayda G revient en ce début d’été avec un second album studio sur Ninja Tune, Guy. Une épopée house marquée de quelques chapitres pop, sans cesse teintée des influences R&B, soul et funk qui rythment sa musique depuis toujours. Quelques jours avant son passage remarqué au Core Festival, elle nous a accordé une interview pour discuter de son album, de sa vie de DJ, mais aussi de son engagement pour l’environnement.

Bonjour Jayda ! Tu arrives aujourd’hui avec ton nouvel album, Guy, qui emprunte ton nom de famille, mais surtout celui de ton père, que tu voulais mettre en avant ici ?

Jayda G : Exactement. Mon père est décédé lorsque j’avais dix ans. Il a été malade pendant cinq ans avant de mourir et pendant cette période, il a décidé de s’enregistrer racontant sa vie. Il a donc laissé derrière lui onze heures de vidéos pour notre famille. J’ai toujours su que ces cassettes existaient, mais c’est seulement il y a quelques années que j’ai pensé à les utiliser pour faire de la musique. Il a fallu attendre la pandémie pour que j’aie le temps et l’énergie de décider quoi faire avec.

C’est une histoire digne d’un film ! Et pourquoi a-t-il décidé de se filmer de la sorte ? Il voulait vous laisser un héritage de sa vie ?

: Oui. Je pense qu’il a voulu être attentionné car il savait que j’étais très jeune et que je ne le connaîtrais pas plus tard dans ma vie. Il voulait donc me donner le plus possible de lui-même, sachant qu’il n’allait pas vivre très longtemps. Ça m’a permis de comprendre et d’apprendre sur mon père avec une perspective incroyable, vraiment enrichissante et empouvoirante et j’ai appris énormément sur moi-même dans ce processus.

J’aime danser, chanter, prétendre que je suis dans ma propre chambre et que personne n’est autour. Je pense que lorsque tu montres ce type de vulnérabilité, que ce soit en mixant, à travers ma musique ou mes interviews, ça donne la possibilité aux autres de faire de même

Ce n’était pas trop difficile de partager cette intimité avec le monde par le biais de ton album ?
: Pas vraiment. Il y a beaucoup de raisons à cette décision. L’une est que les histoires que je trouve les plus inspirantes sont celles où tu te sens le·la plus vulnérable. La vulnérabilité permet aux gens de se connecter. Et tout le monde veut se connecter, c’est une condition humaine. C’était le but principal de cet album. Aussi, presque toute ma famille travaille dans le milieu artistique et a connu le processus d’utiliser ces enregistrements de manière artistique. Par exemple, mon frère, Sol Guy, a réalisé un film appelé The Death Of My Two Fathers, sorti en 2021. Je savais que s’il pouvait le faire, je pouvais le faire aussi.

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Je voulais davantage chanter sur cet album

Pour parler un peu de ton album, on sent toujours l’influence constante de R&B, de soul, de funk et de house, mais on retrouve une dimension un peu plus pop que sur tes précédentes sorties. Il y avait peut-être une volonté de rendre l’album plus abordable ?

: Il y a en effet un aspect pop plus présent dans cet album, tout en gardant bien un pied dans la dance music, car c’est ce que je fais et ce que je mixe. C’était plus que simplement rendre l’album plus abordable. Je voulais par exemple que ma mère puisse aimer l’écouter, qu’il puisse convenir au plus grand nombre. C’était vraiment amusant à essayer, car honnêtement, j’adore apprendre, essayer de nouvelles choses, repousser mes limites. Et c’est ce que j’ai fait avec cet album sur tous les aspects.

On sent que tu as voulu mettre un peu plus ta voix en avant sur celui-ci également ?

: Oui. J’ai commencé à chanter un peu ici et là sur mes productions depuis un moment. Mais les parties vocales étaient toujours en retrait des parties instrumentales. C’est à partir de la sortie du single Both Of Us que j’ai commencé à explorer ma voix. Je voulais davantage chanter sur cet album car il parle de mon père et ça avait tout son sens que ce soit moi qui chante dessus. Pendant la pandémie, j’ai suivi un coaching vocal pour mieux chanter et apprendre à utiliser ma voix. Et je suis toujours très loin de là où je voudrais être, j’ai une marge d’amélioration énorme.

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Il y a quelque chose qui marque chez toi, c’est ton expressivité lors de tes DJ sets qui crée une réelle connexion entre ton public et toi. Est-ce que tu donnes de l’importance au langage corporel lors d’un mix ou c’est innocent ?

: L’une des choses les plus importantes lorsque je mixe, c’est d’être la première à ressentir et aimer la musique. Je m’exprime suivant les morceaux, j’aime danser, chanter, prétendre que je suis dans ma propre chambre et que personne n’est autour. Je pense que lorsque tu montres ce type de vulnérabilité, que ce soit en mixant, à travers ma musique ou mes interviews, ça donne la possibilité aux autres de faire de même. Donc si je m’amuse, si je danse, il y a plus de chance pour que les gens en face de moi s’amusent aussi. Mais personnellement, je ne le fais pas dans un but bien précis, je le fais parce que c’est mon caractère.

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Jayda, en plus d’être DJ, tu as un diplôme de biologiste marine et tu t’impliques dans la cause environnementale. Tu as lancé tes “JMG Talks” il y a quelques années, parlé à une COP et plus tard cette année, tu sortiras le documentaire Blue Carbon. Est-ce que tu sais nous en dire quelques mots ?

: Blue Carbon est un terme utilisé pour parler des écosystèmes aquatiques et côtiers qui capturent le carbone dans l’atmosphère et le stockent. Ces écosystèmes sont, entre autres, la mangrove, les champs de joncs de mer ou les prés salés. Ils sont tellement utiles pour combattre le changement climatique qu’ils semblent être la solution dont la race humaine a besoin. Le film débute en expliquant le rôle de ces écosystèmes, puis montre rapidement les personnes connectées à ceux-ci. Et on se rend compte que c’est presque plus une question de justice sociale qu’une question environnementale. L’enjeu est dans l’écart entre les personnes qui causent le changement climatique et ceux qui en ressentent les effets. Et très vite on se rend compte que le problème se trouve dans les systèmes en place dans le monde occidental, et comment ceux-ci ne sont pas taillés pour tout le monde. Il explique comment on peut trouver différentes solutions à cette approche. J’espère que ça pourra inspirer des gens victimes d’autres problèmes de justice sociale à essayer de changer le système. Je suis vraiment fière de ce film.

Je suis DJ, je voyage pour gagner ma vie et j’ai également une empreinte carbone conséquente, je n’essaie absolument pas de nier ça. Je ne suis pas meilleure que n’importe qui.

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En tant que DJ, est-ce que tu essayes de repenser la façon dont fonctionne l’industrie musicale, vis-à-vis de l’environnement et des empreintes carbones ?

: Je pense que l’industrie de la musique est la partie immergée de l’iceberg en termes de changement climatique. Évidemment, les tournées et les festivals ont une empreinte carbone énorme. Moi je suis DJ, je voyage pour gagner ma vie et j’ai également une empreinte carbone conséquente, je n’essaie absolument pas de nier ça. Je ne suis pas meilleure que n’importe qui. Le problème est que la manière dont nous vivons et interagissons avec l’environnement n’est pas viable. On ne travaille pas avec l’environnement, on travaille contre lui, on exploite ses ressources sans les remplacer. C’est ce que nous devons changer pour travailler avec notre environnement, avec la nature, d’une manière durable. Ça commence par regarder le système, la façon dont il fonctionne. Les systèmes en place sont construits pour un type de personnes spécifique. Il n’est pas fait pour moi, ni pour un Sénégalais, ni pour un Vietnamien. Et on n’aura pas de solutions aux problèmes si on continue à poser les questions importantes à ce même type de personnes en boucle. C’est ce que j’ai voulu faire avec le documentaire, poser des questions différentes à des gens différents sur comment contrer le réchauffement climatique et promouvoir l’environnement. Et c’est quelque chose qui s’applique aussi à l’industrie musicale.

Tu as parlé lors d’une COP, est-ce que tu penses que de par ta position, ta parole a pu avoir un effet lors de ces conférences ?

: Je n’ai parlé qu’à un petit événement. Le tournage du film n’avait même pas encore démarré. Ce serait intéressant d’y aller maintenant que le film est terminé. Lorsque j’ai parlé, j’ai interviewé de jeunes activistes féminines d’une vingtaine d’années, toutes activistes en termes de changement climatique. C’était vraiment inspirant car ce sont les personnes qui seront vraiment victimes du réchauffement climatique. Elles étaient toutes impliquées, posaient des questions intéressantes et cherchaient les meilleures réponses. Et je pense que c’est de là que viendront les solutions, ce n’est pas en posant des questions à des personnes qui ont vécu dans ce monde en vivant d’une manière identique depuis toujours.

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