" Je me suis fait tout petit " de Georges Brassens, une chanson de 1956 qui démarre par un aveu :
" Je n'avais jamais ôté mon chapeau. Devant personne. Maintenant je rampe et je fais le beau. Quand elle me sonne. J'étais chien méchant, elle me fait manger. Dans sa menotte. J'avais des dents d'loup. Je les ai changées. Pour des quenottes. J'étais dur à cuire. Elle m'a converti. Je subis sa loi, je file tout doux. "
Enlever son chapeau devant quelqu’un, c’est une marque de politesse. De respect. Le fait de ne jamais le faire, c’est revendiquer ses mauvaises manières – c’est tout Brassens. Renoncer à ses mauvaises manières, pour Brassens, c’est une fleur qu’on ne fait pas à n’importe qui… Il faut vraiment en valoir la peine. C’est donc l’histoire d’un macho qui devient le chienchien à sa mémère et qui lui bouffe dans la main. Et qui s’écrase.
La preuve : " Je m'suis fait tout p'tit devant une poupée. Qui ferme les yeux quand on la couche. Je m'suis fait tout p'tit devant une poupée. Qui fait Maman quand on la touche. "
Avec ici, et c’est toute la subtilité du texte, un mouvement de balancier entre les rôles de dominant et de dominé. Quand il est debout, c’est elle qui le domine. Quand elle est couchée, c’est l’inverse : elle devient une poupée, elle devient un objet. Elle ferme les yeux quand on la couche. Elle fait maman quand on la touche…
" Je me suis fait tout petit " est une chanson sur le sado-masochisme de l’amour qui donne la vraie définition du sado-masochisme. C’est souvent le masochiste (dans ce cas-ci, c’est lui – il rampe, il obéit à sa loi, il devient un chien, un larbin – quand elle lui sonne) qui mène le jeu et guide le sadique (en l’occurrence ici, c’est elle – qui abdique pour donner du plaisir au masochiste – et donc se couche et accepte qu’on la touche).
Alors, cette interprétation d’ordre érotique pourrait ne pas tenir debout si on se laissait guider ou distraire par le vocabulaire qui renvoie à l’univers physique des enfants : menotte, quenotte et plus loin, dents de lait et même poupée… On pourrait croire qu’en fait c’est un homme qui succombe aux charmes de son enfant, de sa petite fille… Il n’en est rien car si on poursuit dans le texte, l’angle sado-masochiste s’ouvre un peu plus encore lorsque le héros évoque des " bras en croix " et même carrément " un supplice " :
" Tous les somnambules. Tous les mages m'ont, Dit sans malice. Qu'en ses bras en croix, je subirai mon dernier supplice. "
Et il poursuit : " Il en est de pires. Il en est d'meilleurs. Mais à tout prendre. Qu'on se pende ici. Qu'on se pende ailleurs. S'il faut se pendre. "
Et ici, il parle de l’abdication finale, de l’estocade : se " pendre " ici fait référence à la " corde au cou " - c’est-à-dire au mariage. Preuve s’il en est qu’on n’a pas affaire à un papa poule raide dingue de son bébé, mais d’un homme, un ex-coureur (" j’avais des dents de loup ") qui s’est fait avoir par le mariage. Ce qui n’a jamais été le cas dans la vie de Georges Brassens puisque, si on sait que la poupée de la chanson renvoie à Püpchen (petite poupée en allemand), qui était le surnom de sa compagne de toujours – Joha Heyman – Brassens n’a jamais épousé Püpchen pendant les 35 ans où ils ont vécu ensemble. Enfin, vécu ensemble, pas vraiment puisqu’ils n’ont jamais habité le même toit…
" Je me suis fait tout petit devant une poupée " est aussi un texte intéressant car il offre une vision de la femme par Brassens qui n’est pas toujours des plus flatteuses… La chanson date de 1956 et Brassens compare la femme à une poupée qu’on touche et qu’on couche.
Si on ne prend que quelques chansons connues de Brassens, la femme est traitée de " Une jolie fleur dans une peau d'vache ". Et plus loin : " Elle n’avait pas l’esprit plus grand qu’un dé à coudre. Mais pour l’amour, on ne demande pas aux filles d’avoir inventé la poudre. "
Puis, la femme est aussi décrite comme un être faible et simple dans " Brave Margot ".
Margot, fille simple du village et objet d’exhibition puisque tous les gars du village viennent pour la mâter…
On a aussi de la " putain " et de la " salope " dans " P... de toi ".
On a aussi une ode aux emmerdeuses dans la bien nommée " Misogynie à part "
Et puis, toutes ces femmes qui sont là pour provoquer un afflux de sang dans les corps spongieux comme " Fernande ".
Écoutez " Je me suis fait tout petit " de Georges Brassens :