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"Je pourrais te tuer et personne ne dirait rien" : en Afghanistan, les talibans violentent les femmes

Des femmes afghanes marchent en scandant des slogans et en tenant des banderoles lors d’une manifestation pour les droits des femmes à Kaboul, le 16 janvier 2022.

© AFP

Par Camille Wernaers pour Les Grenades

"‘Mauvaise femme […] Les États-Unis ne nous donnent pas d’argent à cause de vous, bande de salopes’ […] Et puis il m’a donné un coup de pied. Le coup était si fort que j’ai eu une blessure au dos, et il m’a aussi mis un coup de pied dans le menton […] Je sens encore la douleur dans ma bouche. J’ai mal dès que je veux parler." Ce témoignage est celui d’une manifestante afghane qui a été arrêtée et incarcérée pendant plusieurs jours. Il a été recueilli par Amnesty International.

L’organisation dénonce dans un rapport ce mercredi 27 juillet la répression "suffocante" des talibans en Afghanistan qui prive "des millions de femmes et de jeunes filles de leur droit de mener une vie libre et épanouissante en sécurité", presque un an après la prise de pouvoir des talibans.

Depuis qu’ils ont pris le contrôle du pays le 15 août 2021, les talibans ont "violé les droits des femmes et des filles à l’éducation, au travail et à la liberté de mouvement", soutient Amnesty qui souligne que chaque détail du quotidien des femmes et des filles est contrôlé et soumis à d’importantes restrictions.

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Détentions arbitraires, disparitions forcées et des actes de torture

Les femmes et les filles du pays ont répondu à cette répression par une vague de manifestations. En réaction, les talibans ont harcelé et brutalisé des manifestantes et les ont soumises à des arrestations et des détentions arbitraires, des disparitions forcées, et des actes de torture physique et psychologique.

Afghanistan : Manifestation de femmes près d'une grande mosquée de Kaboul

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Le 19 janvier 2022 par exemple, les défenseuses des droits humains Tamana Zaryab Paryani et Parwana Ibrahimkhel ont été enlevées chez elles à Kaboul par un groupe d’hommes armés. Trois sœurs de Tamana Zaryab Paryani, la plus jeune âgée de 13 ans, ont également été enlevées.

Quelques instants avant que les hommes entrent dans sa maison, Tamana Paryani a posté une vidéo sur les réseaux sociaux dans laquelle elle identifie les hommes comme des talibans et appelle à l’aide. A la suite de la diffusion de la vidéo, plusieurs porte-parole talibans ont nié leur implication dans les enlèvements.

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Pourtant, en février dernier, Pamana Zaryab Paryani et Parwana Ibrahimkhel ont été libérées avec d’autres militantes féministes afghanes. Elles ont été emprisonnées 27 jours par les talibans parce qu’elles avaient participé, avec une vingtaine d’autres Afghanes, à une manifestation, qui s’est tenue le 16 janvier dans la capitale.

"Un soldat qui marchait à côté de moi m’a frappée sur le sein"

Après que des photos des blessures d’une autre manifestante ont été mises en ligne, deux femmes ont expliqué que les talibans ont développé une nouvelle stratégie afin de les empêcher de montrer leurs blessures en public. L’une d’elles a déclaré à Amnesty International : "Ils nous ont frappées sur les seins et entre les jambes. Ils ont fait cela pour que nous ne puissions pas le montrer au monde. Un soldat qui marchait à côté de moi m’a frappée sur le sein, et il a dit, 'Je pourrais te tuer maintenant, et personne ne dirait rien.' Cela arrivait à chaque fois que nous sortions : on nous insultait – physiquement, verbalement et émotionnellement."

Des manifestantes incarcérées avaient un accès insuffisant à la nourriture, à l’eau, à la ventilation, à des produits d’hygiène et à des soins de santé. Afin d’obtenir leur libération, ces femmes ont été contraintes à signer des déclarations selon lesquelles ni elles ni des membres de leur famille ne manifesteraient plus, ni ne parleraient publiquement de leur expérience en détention.

Selon quatre lanceurs d’alertes travaillant dans des centres de détention dirigés par les talibans, les talibans arrêtent de plus en plus souvent des femmes et des jeunes filles pour des infractions mineures à leurs politiques discriminatoires, telle que la règle leur interdisant d’apparaître en public sans un mahram (chaperon de sexe masculin ; les femmes n’ont plus le droit de voyager plus de 72 km sans être accompagnées d’un mahram). Les femmes arrêtées sont généralement inculpées du "crime" ambigu de "corruption morale".

Une étudiante à l’université, qui a été arrêtée en 2022, a dit à Amnesty International qu’elle avait été menacée et frappée après avoir été arrêtée sur la base de charges liées à l’absence de mahram. Elle a témoigné : "[les membres des talibans] ont commencé à m’administrer des décharges électriques […] sur les épaules, le visage, le cou, partout où ils pouvaient […] Ils me traitaient de prostituée [et] de garce […] Celui qui tenait le pistolet a dit 'Je vais te tuer et personne ne pourra retrouver ton corps.'"

 

Empêchées d’étudier et mariées de force

Le système de protection et de soutien pour les femmes fuyant la violence domestique a été décimé dans le pays, selon Amnesty. En outre, depuis le retour des talibans au pouvoir, les mariages d’enfants, les mariages précoces et les mariages forcés ont fortement progressé en Afghanistan.

Stephanie Sinclair, directrice de Too Young to Wed, une organisation travaillant sur les mariages d’enfants, les mariages précoces et les mariages forcés, observe : "En Afghanistan, tout contribue à favoriser le mariage des enfants. Vous avez un gouvernement patriarcal, la guerre, la pauvreté, la sécheresse, des filles qui ne peuvent plus aller à l’école. Avec tous ces facteurs […] nous savions que les chiffres du mariage des enfants allaient exploser."

Khorsheed (prénom d’emprunt), une femme de 35 ans vivant dans une province du centre de l’Afghanistan, a déclaré à Amnesty International que la crise économique l’a poussée à marier sa fille de 13 ans à un voisin âgé de 30 ans en septembre 2021, en échange d’une "dot" d’un montant de 60.000 afghanis (environ 670 dollars). Elle a expliqué qu’après le mariage de sa fille, elle s’est sentie soulagée, et a ajouté : "Elle n’aura plus faim."

En ce qui concerne l’éducation, les talibans continuent d’empêcher la grande majorité des filles élèves du secondaire d’aller en cours. À l’université, le harcèlement infligé aux étudiantes par les talibans a créé un environnement peu sûr où les étudiantes sont systématiquement désavantagées. Fatima (prénom d’emprunt), 25 ans, enseignante du secondaire officiant dans la province du Nangarhar, a précisé à Amnesty International : "Ces jeunes filles voulaient seulement avoir un avenir, et maintenant elles ne voient aucun futur devant elles."

Brishna (prénom d’emprunt), étudiante de 21 ans à l’université de Kaboul, a déclaré à Amnesty International : "[Les] gardes devant l’université nous crient dessus et disent : "Arrange tes habits, ton foulard […] Pourquoi peut-on voir tes pieds ?" […] [La] personne responsable de notre département est venue en cours et nous a dit "Faites attention – nous ne pouvons vous protéger que lorsque vous êtes dans l’enceinte de la faculté […] Si des talibans essaient de vous faire du mal et de vous harceler, nous ne pourrons pas les en empêcher.'" De nombreuses étudiantes ont désormais soit cessé d’aller en cours, soit décidé de ne pas s’inscrire du tout.

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Ce 26 juillet, un autre rapport, celui-ci de l’ONU, alertait également sur le fait que les progrès en matière d’égalité des sexes et de droits des femmes ont été balayés dans le pays. "L’Afghanistan est le seul pays au monde où les filles n’ont pas le droit d’aller au lycée. Les femmes ne peuvent pas travailler en dehors de la maison, sauf dans quelques secteurs et pour des tâches particulières. Il n’y a pas de femmes ministres, ni même de ministère à la Condition féminine, ce qui supprime de fait le droit des femmes à la participation à la vie politique", dénonce Alison Davidian, représentante adjointe d’ONU Femmes en Afghanistan.

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"Prises ensemble, ces politiques forment un système répressif qui introduit des discriminations à l’égard des femmes et des filles dans presque toutes les facettes de leur vie. Chaque détail de leur quotidien – si elles peuvent aller à l’école, si et comment elles travaillent, si et comment elles sortent de chez elles – est contrôlé et soumis à d’importantes restrictions", s’insurge quant à elle Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International qui en appelle à la communauté internationale pour qu’elle impose des mesures face au comportement des talibans. "Si la communauté internationale s’abstient d’agir, elle abandonnera les femmes et les filles d’Afghanistan, et fragilisera les droits partout ailleurs", selon Agnès Callamard.

L’organisation plaide pour une stratégie robuste pour inciter ces changements. Elle demande notamment des sanctions ciblées ou des interdictions de voyager, par l’intermédiaire d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. Il s’agirait d’obliger les talibans à rendre des comptes pour le traitement réservé aux femmes et aux filles, sans nuire à la population afghane.

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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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