Regions

"Je suis qualifié et disponible, mais je ne trouve pas d’emploi" : focus sur le chômage subi

Qu'est-ce que le chômage subi ? (par M. Warland)

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Par Maïté Warland

Les chômeurs de longue durée représentent, selon le Forem, 90.000 personnes en Wallonie, soit 44% de la totalité des demandeurs d’emploi. À Bruxelles, les chiffres sont sensiblement les mêmes, avec 47% de chômeurs longue durée. Ce constat incite certains politiques à demander des mesures, parmi lesquelles pousser les demandeurs d’emploi vers un métier en pénurie ou encore sanctionner les chômeurs dans le temps.

Selon les associations de terrain, ces idées ne vont pas dans le bon sens : "C’est l’inverse de ce qu’il faudrait faire", nous explique Christine Mahy, secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté, "Il faudrait réfléchir au marché du travail, voir comment le marché du travail doit progresser également. Si des personnes correspondent aux métiers en pénurie et qu’elles le souhaitent c’est très bien. Mais pour d’autres, ce n’est pas ce qui va correspondre. Aller vers un accablement et une stigmatisation c’est le contraire de ce qu’il faut faire. La stigmatisation conduit à renforcer la vision selon laquelle les personnes précarisées seraient responsables des crises que nous vivons. Ce n’est pas le cas."

Pour Christine Mahy, il faut aussi parler du chômage subi des personnes : "Il y a des personnes en Belgique qui sont victimes de chômage subi. Ce sont des personnes qui se sont fait licencier par exemple et qui ne retrouvent pas d’emploi à cause de leur âge ou de leur formation de base. Le chômage subi, ce sont aussi des personnes qui voudraient reprendre le travail mais n’y arrivent pas parce que leurs conditions d’existence ne leur permettent pas".

"Par exemple lorsqu’elles n’ont pas de voiture et qu’il faut faire des horaires dissociés sans transports en commun. Ou encore, pour des mamans solos qui n’ont pas de garderie pour leurs enfants, de place dans les crèches. Et puis le chômage subi c’est aussi des emplois qui ne rapportent pas assez. Certaines personnes acceptent un travail pour finalement gagner la même chose, ou moins, que si elles étaient restées au chômage. C’est ça le chômage subi."

"La société pense qu’on profite"

Les réalités de terrain décrites par Christine Mahy coïncident avec la réalité de Kamal. À 49 ans, cet ouvrier qualifié avec une spécialisation de soudure passe ses journées à chercher un emploi, c’est devant une agence intérim de Charleroi, où il vient déposer son CV que nous le rencontrons :"Ça fait deux ans que je recherche un emploi. Je cherche tout le temps : intérim, Forem, internet… Mais on me répond qu’il n’y a pas de travail pour moi. Pas ici à Charleroi, il faudrait que je puisse faire 60 kilomètres pour aller travailler. Je n’ai pas de voiture. Ça me ferme des portes mais je n’ai pas les moyens pour l’instant d’avoir un véhicule et tous les frais qui vont avec. Si j’avais un travail, j’aurais les moyens, c’est un cercle vicieux en fait."

Kamal est blessé par la manière dont il est perçu : "La société pense qu’on profite. On ne profite pas, on cherche ! Je suis obligé de rester enfermé chez moi, ça me pèse psychologiquement. Quand je travaille, je suis heureux, je produis quelque chose, je suis fatigué en fin de journée. Ça fait deux ans que je suis enfermé, c’est difficile."

Jusqu’à mes 55 ans, j’ai cherché du boulot comme si j’en avais 30, mais les employeurs voyaient bien mon âge.

Pour Anne, le constat est tout aussi amer, après 10 ans de recherches, cette maman solo de 59 ans dépend désormais de la mutuelle : "J’ai eu un enfant qui avait des problèmes de santé. Les employeurs avaient peur de m’embaucher et que je doive m’excuser du travail pour m’occuper de mon fils. J’ai aussi eu le problème du permis de conduire. Et puis, ces dernières années, j’avais des refus qui étaient très clairs, j’étais trop âgée pour tel ou tel boulot. On ne voulait pas de quelqu’un au-dessus de 45 ans, on avait peur que j’ai mal au dos et des problèmes de santé. Jusqu’à mes 55 ans, j’ai cherché du boulot comme si j’en avais 30, mais les employeurs voyaient bien mon âge. En février 2020, après des années de recherches où je prouvais que je ne restais pas inactive, je me suis retrouvée avec 1069 euros par mois, pour mes deux enfants et moi. "

Aujourd’hui, Anne est à la mutuelle, ses recherches infructueuses ont eu un impact sur sa santé mentale et physique :"Ces années ont eu une influence importante sur ma santé. Psychologiquement, c’est très dur. On est juste pas intégré dans la société."

Le vécu d’Anne et de Kamal rejoint les résultats de l’enquête de Marc Zune, chercheur à l’Institut d’analyse du changement dans l’histoire et les sociétés contemporaines de l’UCLouvain. L’enquête date de 2017 et portait sur les exclus du chômage. Les chercheurs concluaient alors à un échec "sans appel" de la politique d’activation de la recherche d’emploi pour cette catégorie de demandeurs d’emploi.

"La situation d’aujourd’hui est assez similaire", explique-t-il, "à l’époque, le gouvernement avait décidé d’exclure les chômeurs et il y a eu un effet sur le court terme. La menace faisait que certains sortaient du chômage mais ce que nous avons constaté c’est qu’ils revenaient aussi très vite parce qu’ils n’arrivaient à trouver qu’un emploi précaire ou instable."

Il faut dire à ces personnes qu’elles ne sont pas toujours responsables, que les employeurs le sont aussi.

En ce qui concerne la santé mentale et physique qu’Anne décrite dans son témoignage : "Ce témoignage me semble pertinent", ajoute Marc Zune, "vivre en tant que chômeur ce sont des relations qui s’envolent, des liens sociaux et des activités sociales qui disparaissent. On s’intéresse finalement très peu à ce que le chômage fait sur la vie des personnes. Ils perdent peu à peu confiance en eux, se referment, ont du mal à convaincre en entretien."

Marc Zune propose aux politiques d’autres approches : "D’abord, il faudrait un discours beaucoup plus large et prégnant pour condamner les discriminations à l’embauche. Il faut dire à ces personnes qu’elles ne sont pas toujours responsables, que les employeurs aussi le sont. Nous sommes aujourd’hui encore dans un marché du travail qui discrimine et met de côté toute une série de personnes tout à fait capables de travailler et qui veulent travailler."

"Ensuite, il faut aussi réfléchir à une autre manière d’encadrer les chômeurs. Il faut rapprocher les personnes de l’emploi avec des méthodes d’intermédiation. Des mesures existent mais elles ne sont pas systématisées. Notamment parce que certains considèrent que ce serait "prendre la main" des chômeurs. C’est dommage. Cette méthode passerait aussi par un accompagnement plus global et personnalisé des chômeurs. "

Et les jeunes ?

Les jeunes font partie également des chiffres importants des demandeurs d’emploi. En Wallonie, les 18-25 ans représentent 19% des demandeurs d’emploi, à Bruxelles ils sont 10%. Ils ne sont pas encore des chômeurs longue durée mais ils ont déjà du mal à trouver un premier boulot.

Seruan a 26 ans, il est à la recherche d’un emploi depuis 5 mois après un premier contrat arrivé à terme :" C’est compliqué, la crise est là, c’est ce qu’on nous dit. Le fait d’être au chômage n’est pas un choix pour moi. Je fais mon possible pour m’adapter dans la société. Je postule, je vais au Forem chercher des conseils, des idées de formations. Je pense au tourisme ou à l’informatique notamment. Mais ce n’est pas évident. Je suis jeune, et les employeurs me jugent sur mon expérience. Mais j’en ai peu… Alors ils ne me rappellent pas, pourtant tout s’apprend."

"Moi, j’ai postulé dans les transports en commun mais je n’ai pas été prise parce que je ne parle pas le néerlandais", explique Mélanie, 29 ans. Cette vendeuse s’est fait une raison, elle ne trouvera pas ou très peu d’offres d’embauche pour sa formation de base, elle réfléchit donc à se réorienter : "Je suis une personne qui recherche, je ne suis pas dans un état végétatif, mais je ne trouve pas. Alors les attaques contre les chômeurs, je trouve ça aberrant."

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma... Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Articles recommandés pour vous