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Jean-Pascal van Ypersele (UCLouvain) : "Je suis écoféministe"

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Par Johanne Montay

2022, l’année du climat déboussolé. L’année d’une énième COP, la 27e Conférence des Parties des Nations unies sur le changement climatique. C’est dans ce contexte et dans le cadre de notre série de rétrospectives de l’année 2022 que nous avons invité le climatologue Jean-Pascal van Ypersele (UCLouvain), avec aussi un œil sur 2023, qui sera pour lui l’année de sa candidature (et de son élection ?) à la Présidence du GIEC, le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat.

Quel est l’événement qui vous a le plus touché cette année ?

Je pense que c’était fin février, pendant la première réunion plénière du GIEC de cette année, qui était consacrée à la finalisation de la deuxième partie du 6e rapport, le volume qui concerne les impacts des changements climatiques et l’adaptation. Le 24 février, c’était le début de la guerre, de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Il y avait une déléguée ukrainienne qui était là – en visioconférence, de Kiev - c’était la cheffe de délégation, Svitlana Krakovska, qui a très courageusement continué à faire son travail. C’est assez extraordinaire… Elle a fait une déclaration vers la fin de la plénière, en relation avec ce qui venait de se passer dans son pays et auquel tout le monde s’attendait depuis quelques heures. J’ai trouvé extrêmement fort ce qu’elle a dit. D’abord, le fait qu’elle continuait son travail de scientifique, parce qu’elle estimait que ce que le GIEC faisait était essentiel pour le futur de l’humanité et du monde, mais aussi le lien qu’elle faisait avec la nécessité de sortir des combustibles fossiles. Elle l’a dit tout de suite : ce moment-là, c’est une guerre qui est liée en partie à notre dépendance aux combustibles fossiles et il faut absolument en sortir d’autant plus vite. Ça, je trouvais que c’était très, très marquant.

La scientifique Svitlana Krakovska, représentante ukrainienne au GIEC
La scientifique Svitlana Krakovska, représentante ukrainienne au GIEC © Tous droits réservés

A votre avis, est-on à un moment charnière ?

Il faut faire attention quand on répond oui à une question comme celle-là. Il y a sans doute eu tellement d’autres moments où on a eu envie de dire "c’est un tournant". Mais je pense que du point de vue de l’environnement, on est dans un grand tournant. Parce qu’on se rend compte qu’on commence à toucher les limites dans tellement de domaines. Pas seulement le climat, c’est aussi l’utilisation des ressources, la pollution chimique… Il faut absolument qu’on fasse ce tournant pour ne pas heurter le mur qui est devant nous et contre lequel tellement de gens vont souffrir si on ne freine pas et qu’on ne tourne pas, qu’on ne prend pas un autre chemin.

Je crois qu’on peut dire qu’on est à un grand tournant.

Qu’est-ce qui fait, à votre avis, qu’avec tout ce qu’on sait, on fait de petits pas, mais il n’y a pas ce basculement ?

C’est tellement facile de continuer comme on a toujours fait. La force de l’habitude est très forte. La force de l’intérêt à court terme. Il y a tellement de personnes et d’entreprises qui ont comme seul horizon le bénéfice qu’elles vont faire à la fin du mois, ou de l’année, les dividendes qu’elles vont donner à leurs actionnaires, etc., en oubliant que ne regarder qu’à court terme, c’est presque toujours scier la branche sur laquelle nous sommes toutes et tous assis ensemble, en quelque sorte. On est dans cette petite planète, la seule planète habitable du système solaire. On n’est pas trop près du soleil, on n’est pas trop loin… Vénus : + 500 degrés C, trop près du soleil ; Jupiter, Saturne : trop loin, -200 degrés Celsius, on est juste à la bonne distance.

On a toutes les ressources qu’il faut et on est en train de tout ficher en l’air parce qu’on a trop de personnes, d’institutions qui ne pensent qu’au court terme, à leurs profits propres sans s’occuper des autres ni du long terme.

Êtes-vous optimiste, pessimiste ou réaliste pour l’avenir ?

J’ai sans doute la chance d’avoir un naturel optimiste mais c’est l’optimisme de la volonté. C’est en étant convaincu que l’on peut agir, qu’on a toutes les connaissances pour faire beaucoup mieux que ce qu’on a fait jusqu’à présent pour assurer un avenir bien plus rose à tout le monde à la surface de la planète et pas seulement à quelques privilégiés. Je suis optimiste pour cette raison-là, mais aussi pour une autre raison. C’est qu’en fait, le pessimisme est lié à un cercle vicieux, très vicieux en fait. Une fois qu’on est pessimiste et qu’on se dit que c’est fichu, que l’on n’y arrivera pas etc., forcément, on ne fait plus rien. On se démobilise et alors, ça ne peut aller qu’encore plus mal. C’est un choix d’être optimiste.

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Je suis un écoféministe.

Sur son pull, deux pins. L’un est aux couleurs des 17 Objectifs de développement durable des Nations unies et affiche 1,5 degré, la limite fixée au réchauffement climatique ; l’autre, "gender equality", l’égalité de genre. Deux enjeux entre lesquels notre invité établit un lien direct.

Absolument, je pense que bien souvent, les attitudes des humains qui ne respectent pas les autres, et en particulier les femmes, sont très similaires à l’attitude que malheureusement, trop d’humains ont par rapport à la nature, par rapport aux autres êtres vivants avec lesquels nous partageons cette petite planète fragile. Je crois qu’il y a bien des similitudes, et bien souvent, les gens qui sont machistes, sexistes, sont aussi très peu respectueux de l’environnement.

Diriez-vous que vous êtes un écoféministe ?

Oui, absolument. Je n’ai aucune difficulté à revendiquer cette appellation, si on veut bien me l’accorder […] Il y a très longtemps que le respect des femmes est quelque chose qui me semble essentiel. C’est la moitié de l’humanité. Je ne comprends pas comment l’on peut ne pas estimer que c’est essentiel. Maintenant, ici, à l’UCLouvain, ce qui s’est passé, dans le contexte de cette sensibilité que j’ai toujours eue, c’est que j’ai rencontré, l’ayant invitée dans un de mes cours, la professeure Nieberding, biologiste, il y a quelques années, déjà. Petit à petit, on a fait connaissance et elle a commencé à m’expliquer ce qu’elle subissait dans son entourage professionnel et j’ai ouvert de grands yeux, parce que c’était parfois des situations de harcèlement, soit moral, soit sexuel, de la part de personnes que je connaissais, parfois. Et j’observais aussi que la manière dont l’institution, ses autorités hiérarchiques et le système UCLouvain, y compris les plus hautes autorités de l’UCLouvain géraient, ou géraient mal ces situations, contribuait en fait au harcèlement lui-même. Je ne pouvais pas laisser passer ça, parce que c’était quelqu’un que je connaissais, parce que c’était dans l’institut dont je fais partie au sens large, l’institut Earth and Life, la Terre et la Vie, et donc, je devais parler et prendre position. Pour moi, c’était une évidence.

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Si vous aviez un vœu à formuler pour 2023 ? Ce serait lequel ?

C’est que nous allions enfin, avec la collaboration de toutes celles et de tous ceux qui sont prêts à aller dans cette direction-là, vers un monde qui soit à la fois plus juste, plus respectueux de tous les êtres vivants et avec un meilleur équilibre par rapport à la nature, en général. Et je pense que c’est possible. Ce serait vraiment dans l’intérêt de tout le monde d’aller dans cette direction-là.

Le politique ne vous a jamais sollicité pour porter ce message vers l’action ?

Si, si, bien sûr… J’ai reçu plusieurs propositions, de différents partis, d’ailleurs. Mais j’ai toujours dit que je pensais que mon action était plus efficace, en tout cas pour le moment, en restant à l’interface sciences - politique où je suis depuis très longtemps et où j’espère encore rester quelques années, puisque je me présente à la présidence du GIEC. Le gouvernement fédéral a décidé le 28 octobre de me soutenir officiellement. Je vais essayer de devenir le président du GIEC en juillet 2023 et donc, si ça marche, si je suis élu, si j’ai à peu près les 80 voix de pays nécessaires, je continuerai à faire mon travail de cette manière-là, mais pas dans la politique partisane.

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