La couleur des idées

Jeff Kowatch, artiste peintre : "j’ai besoin de garder une énergie haute quand je travaille"

Karen Toroysan et Jeff Kowatch dans l’atelier de ce dernier

© Menno de Jong

Par Tania Markovic via

Ce samedi dans la couleur des idées, Pascale Seys reçoit l’artiste peintre californien Jeff Kowatch dont on peut actuellement admirer le travail à la Galerie la Forest Divonne, à Saint-Gilles, dans une magnifique demeure Art nouveau convertie en galerie d’art. Un véritable écrin pour les œuvres de Jeff Kowatch où le blanc étincelant des murs fait ressortir d’autant mieux l’explosion de couleurs des toiles dont irradie une étonnante lumière. Ces tableaux sont accrochés dans le cadre d’une exposition collective intitulée L’Œuvre au corps qui réunit des artistes dont les pratiques semblent, en apparence du moins, s’opposer… D’un côté la cuisine, absolument ancrée dans le quotidien et, par essence, éphémère ; de l’autre l’art plastique dont les productions sont conçues traditionnellement pour durer. Pour cette rencontre entre le goût et la vue, la scénographe culinaire belge Alexandra Swenden a formé des couples : Christophe Hardiquest, chef du restaurant Bon Bon**, est associé à Rachel Labastie, artiste plasticienne française. Nicolas Decloedt, chef du restaurant Humus & Hortense*, à l’artiste plasticienne anversoise Tinka Pittoors. Enfin, Karen Torosyan, chef du restaurant Bozar*, forme un duo avec Jeff Kowatch, peintre en reconstruction dont la démarche, depuis 2018, n’a cessé d’évoluer. Alors qu’il élaborait auparavant ses toiles à partir d’un sujet, "pour éviter de tomber dans le décoratif", il inverse maintenant le processus, donnant libre cours à son expression sur le support avec une analyse du sujet a posteriori, une fois le tableau terminé.

Jeff Kowatch, Stairway to the Moon, oil on linen, 200 x 150 cm, 2018
Jeff Kowatch, Stairway to the Moon, oil on linen, 200 x 150 cm, 2018 © DR

Vivre comme on peint, peindre comme on vit

L’œuvre et la vie de Jeff Kowatch (mais les deux semblent chez lui ne faire qu’un tant sa vie est au service de son art) sont au croisement de plusieurs histoires : celle du Vieux Continent où il vit depuis près de vingt ans et de l’immense Amérique où il est né. La technique qu’utilise Jeff Kowatch lui fut enseignée par un marchand de peinture de Brooklyn qui l’a pris sous son aile, lui apprenant notamment à fabriquer son medium lui-même, à savoir de l’huile de lin épaissie au soleil selon la vieille technique de Rembrandt. Dans l’œuvre de Kowatch, les techniques de glacis des maîtres flamands sont donc mises au service de la grande abstraction américaine. Sa toile monumentale Christ Leaving Brussels figure en bonne place au Musées Royaux des Beaux-Arts, écho à L’entrée du Christ à Bruxelles, de James Ensor, exposée au Getty de Los Angeles : un lien de plus entre l’Amérique et l’Europe. De son pays d’origine, il aime les films dont certains, à l’instar du film choral New York Stories, joueront un rôle essentiel dans son parcours, permettant le déclic pour que l’artiste s’émancipe de son maître. De la culture européenne, il aime le théâtre (Tchekhov), la musique (Stravinsky, Beethoven, …), la philosophie (Nietzsche), la littérature ("Don Quichotte c’est la Bible", nous confiera-t-il.) … Toutes ses références nourrissent au jour le jour son travail comme autant de nuances de couleurs sur sa palette. Sa sphère d’influence s’étend jusqu’à l’Asie. Pendant quinze ans, il a pratiqué le Zen assidûment, à raison de quatre heures par jour. En l’écoutant nous parler de ses divers centres d’intérêt et pratiques, on a l’impression d’une sorte de quête spirituelle, d’une cohérence dans la multitude. Jeff Kowatch se qualifie lui-même de "maniaque". Quoi qu’il fasse (apprendre la cuisine, le théâtre, pratiquer la méditation, peindre), il le fait en déployant un trésor d’énergie et en y mettant toute son âme. Une puissante mise en mouvement qui se ressent dans son œuvre. Le peintre nous confie avoir besoin "d’être à la fois dans la terre et dans le mystère". Grand, mince, élégant, il dégage quelque chose de l’ordre du moine bouddhiste (bien que l’on sente en lui un "je-ne-sais-quoi" de tourmenté), personnage ascétique qui, malgré ses multiples activités, trouve chaque jour le temps d’aller nager. On l’imagine se jetant dans l’eau à corps perdu, laissé exsangue par le poids du travail accompli, cherchant un bain purificateur. Nager pour ne pas penser. Répéter les mêmes gestes. Jeff Kowatch a besoin de la répétition, au cœur de son travail, notamment à travers ses "gribouillages". "Répéter le geste une cinquantaine de fois pour donner de la profondeur", nous dit-il. Il revient au zen, "construit sur la répétition pour libérer l’esprit". Son mantra. Ainsi, dans son atelier, tout est bien organisé car il ne veut pas avoir à réfléchir, il souhaite "que tout soit sous sa main". Il conclut : "Avec les contraintes, la liberté va sortir et aussi l’inconnu". Il revient ainsi à sa définition de l’art qui nécessite trois choses : la matière, le sujet, l’inconnu. Tout est lié.

Retrouvez l’intégralité de l’entretien mené par Pascale Seys, à écouter ci-dessous ce samedi 21 mai dès 11 heures.

Informations pratiques

L’Œuvre au corps, une exposition collective à la Galerie la Forest Divonne, du 19 mai au 18 juin 2022. La Galerie La Forest Divonne s’associe à Swenden Studio à Bruxelles et à Paris pour créer une expérience sensorielle unique, à travers la rencontre de l’art et du goût ! Pour cette collaboration la Galerie La Forest Divonne et Swenden Studio joignent leur domaine d’expertise respectif, les arts plastiques pour l’un et la gastronomie pour l’autre, autour d’un concept inédit réunissant six artistes internationaux et six grands chefs étoilés.

La collaboration des chefs et des artistes sera déclinée en deux volets, dans les deux galeries et dans ces six restaurants d’exception.
D’une part, les chefs inviteront les artistes à aménager une partie de leur restaurant, et s’inspireront de l’œuvre de l’artiste qui leur est associé pour créer une expérience culinaire unique qui sera déclinée en repas dans le restaurant. Le public pourra réserver des places pour vivre cette expérience culinaire et artistique à la table des artistes.
D’autre part, tout au long du projet les deux galeries exposeront chacune les trois artistes associés au projet dans leur ville, au sein d’une exposition collective permettant au public de s’imprégner des œuvres qui auront tant inspiré les chefs.
De surcroît, certains chefs proposeront au public de découvrir dans les galeries, une fois par semaine, un avant-goût des saveurs phares conçues pour leurs restaurants, sous la forme d’une épice, d’un thé ou encore d’une bouchée.

Site web : L’Œuvre au corps – Galerie La Forest Divonne

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