Les Grenades

Jeux paralympiques : comment les médias marquent des points

L'athlète belge Joyce Lefevre lors des Jeux Paralympiques de 2016.

© Belga

Mardi 24 août 2021, les Jeux paralympiques d'été ont démarré à Tokyo. Des sportifs et sportives en situation de handicap physique, visuel ou mental du monde entier vont s’affronter pendant deux semaines. Les athlètes sont dans les startings blocks, mais les médias, eux, le sont-ils ?

"Je crois que j’en ai marre […] car se congratuler, se dire qu’on fait du bon travail, alors pas un seul journaliste français […] n’était présent aux derniers championnats du monde de paraathlétique (sport n°1 paralympique) à Dubaï, en dit long sur nos intentions". L’année dernière, Arnaud Assoumani, un champion paralympique français s’est insurgé contre le journal sportif l’Equipe et le manque de visibilité des Jeux paralympiques. Alors que les conséquences du report des Jeux olympiques avaient été analysées dans tous les médias français, celles des Jeux paralympiques ont été reprises dans peu d’articles. La couverture médiatique des Jeux paralympiques est historiquement moins importante que celle des Jeux olympiques. Mais pourquoi une telle différence de médiatisation ?

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Géraldine Letz est chercheuse en sciences de l'information et de la communication à l’université de Lorraine. Elle est spécialisée sur la question du sport et du handicap. Selon l’universitaire, la visibilité réduite des Jeux paralympiques s’explique en partie par leur émergence tardive.

La première session s’est, en effet, tenue à Rome en 1960. Un suivi médiatique s’est ensuite progressivement mis en place, mais de manière sporadique. C’est à partir des années 2010 que les médias commencent à porter un réel intérêt aux Jeux paralympiques. Davantage de moyens sont mis en œuvre pour relayer l’actualité des Jeux.


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Deuxième frein à la visibilité médiatique de l’événement : l’aspect économique, explique Géraldine Letz. Les Jeux olympiques et paralympique s’inscrivent dans une logique de sport spectacle, par conséquent, les médias investissent de l’argent et attendent qu’il y ait un retour sur investissement. Les industries médiatiques craignent un désintérêt du public, du fait du manque de connaissance sur certaines disciplines ou du manque de connaissance sur le handicap. Pour la chercheuse, la problématique centrale des médias est : "Comment mettre en avant des corps qui ne répondent pas aux moules normatifs de la société ?". L’enjeu est de permettre une visibilité "accessible et compréhensible par tous".

Trouver l’angle juste 

Autre enjeu médiatique : mettre en scène et filmer les personnes en situation de handicap sans tomber dans le pathos. "Lorsqu’on voit des reportages à la télévision, ça peut vite aller dans le pathos si le handicap fait suite à un accident", détaille l’universitaire. Pour les Jeux de Londres en 2012, le Royaume-Uni a décidé de filer la métaphore du super-héros. Avec la chaîne publique Channel 4, le pays a organisé une campagne de publicité massive sur la thématique “Meet the Superhumans”.

En 2016, le modèle est repris pour les Jeux de Rio en ajoutant une ouverture sur la vie quotidienne. Pour la chercheuse, l’objectif est de montrer "que l’approche capacitaire n’est pas seulement dans le stade, mais que l'athlète est une personne comme une autre".

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Le fait de montrer les athlètes et de les identifier avec cette étiquette de héros permet de créer un modèle compréhensible par tous. "On connait tous un super-héros ou une super-héroïne et on sait ce que ça cache derrière, sur les blessures et la vie stigmatisée". Mais la métaphore est ambigüe : elle permet certes une identification du public aux athlètes, cependant cela réduit les sportifs en situation de handicaps à ce statut. "Les athlètes avec qui j’ai discuté ne se considèrent pas comme des super-héros. Ils veulent être considérés comme des athlètes à part entière. Comme les athlètes valides, ils s’entraînent dur, sans forcément avoir les mêmes moyens derrière". 

Guillaume Gobert, le porte-parole du Belgian paralympic commitee (BPC) pointe également du doigt une couverture parfois inégalitaire des sportifs. "On voit que si l’athlète n’est pas connu, beaucoup dépend de son histoire : d’où il a eu son handicap etc. Si l’histoire n’est pas très spectaculaire, il est vite moins intéressant".

Le communicant se souvient de Marieke Vervoort. "L’athlète avait une histoire particulière, et donc des performances qui n'étaient peut-être pas importantes pour elle étaient médiatisées comme si elle avait gagné le championnat du monde". Le BPC prépare et envoie les athlètes aux Jeux paralympiques, aux compétitions internationales et aux championnats du monde. L’organisation s’est aussi fixée comme objectif de visibiliser le handisport en Belgique, afin que "toute personne en situation de handicap puisse pratiquer un sport à son niveau et inspirer autour de lui ou elle".


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Une visibilité accrue

En 2012, alors que les Jeux olympiques sont largement diffusés, les Jeux paralympiques fin août attirent moins les caméras. De nombreuses contestations éclatent et dénoncent le manque de couverture médiatique. "La cérémonie d’ouverture et de clôture ainsi qu’un match de cécifoot avaient été les seules diffusions sur France Télévision", précise Géraldine Letz. Pour les Jeux suivants à Rio, il y a un effort médiatique. Plusieurs centaines d’heures des Jeux sont diffusées sur la chaîne publique française.

On n’est plus pris comme des handisportifs, on est pris pour des sportifs

En Belgique, les Jeux ont commencé à être suivis à partir des Jeux de Londres, retrace Guillaume Gobert. Aujourd’hui, il remarque une vraie évolution dans la couverture des Jeux. Les moyens mis en place augmentent : on envoie davantage de journalistes. "On voit une très grande différence entre Londres [...] et Tokyo. La dernière update, c’est qu’on aura huit équipes de télévision à Tokyo".

Les dispositifs mis en place par les médias aussi ont évolué. " La RTBF va faire des directs chaque jour, pendant plusieurs heures. La VRT prépare plusieurs directs en télévision et en ligne. [...] Ils font beaucoup plus qu’avant". Le porte-parole remarque également une meilleure médiatisation du handisport en dehors des périodes de Jeux. Bien qu’en télévision, cela soit encore rare, de plus en plus de directs en ligne diffusent des compétitions de handisport.

Joachim Gérard, est classé troisième au ranking mondial de tennis en chaise. En août, il participera aux Jeux paralympiques pour la quatrième fois. Avoir de la visibilité médiatique est primordial pour l’athlète. "C’est un cercle vertueux. Ça me permet d’avoir des sponsors, les sponsors permettent d’avoir de l’argent, l’argent permet d’avoir des résultats et les résultats permettent d’avoir de la médiatisation".

Comment mettre en avant des corps qui ne répondent pas aux moules normatifs de la société ?

Mais ce même cercle peut devenir vicieux : sans médiatisation, il y a un accès plus difficile aux sponsors. Il a observé l’évolution de sa couverture médiatique et celle du handisport. "On n’est plus pris comme des handisportifs, on est pris pour des sportifs. On voit le changement dans les médias mais aussi dans le regard des spectateurs". Satisfait de sa médiatisation, il déplore tout de même un manque d’intérêt pour le handisport plus largement. "Je pense que la couverture médiatique pourrait être beaucoup plus répandue à d’autres athlètes qui ont d’aussi bons ou de meilleurs résultats que moi. Sur ce point, je suis déçu. La médiatisation s’arrête à un ou deux sportifs, alors que tous le mériteraient". 

Joachim Gérard, joueur de tennis en chaise, participe à ses 4èmes Jeux Paralympiques à Tokyo
Joachim Gérard, joueur de tennis en chaise, participe à ses 4èmes Jeux Paralympiques à Tokyo © Tous droits réservés

Et les femmes ?

Une étude de l’UNESCO en 2018 révèle qu’en sport, les femmes ne reçoivent que 4% de la couverture médiatique. Les Jeux olympiques est l’un des rares moments où les sportives valides font la une. Mais quelle une !

Le rapport montre également que leur médiatisation est stéréotypée et sexiste. Les articles se focalisent sur leur apparence et leur vie privée. Ils valorisent le physique des sportives au détriment de leurs performances. Cette couverture complique l’héroïsation de ces athlètes. Les termes les plus souvent associés aux sportives valides dans les médias sont "âgée", "enceinte" ou "mariée", selon une étude de Cambridge de 2016 sur les médias anglophones. Quant aux hommes, ce sont les termes "fort", "grand" ou "rapide".

On joue encore un peu sur les clichés attachés au corps féminin. On joue sur l’érotisation du corps féminin, sur la féminité. L’image de la mère aussi. Les articles et les photos vont s’attacher à ça

Les para-athlètes féminine cumulent les problématiques médiatiques liés à leur statut de femme, ainsi que ceux liés à leur statut d’athlète en situation de handicap. A l’instar des athlètes paralympiques hommes, ces sportives sont sujettes à une visibilité médiatique moindre ; et comme les athlètes valides femmes, elles rencontrent une couverture médiatique centrée sur leur vie quotidienne et leur physique.

Pour Géraldine Letz, "on joue encore un peu sur les clichés attachés au corps féminin. On joue sur l’érotisation du corps féminin, sur la féminité. L’image de la mère aussi. Les articles et les photos vont s’attacher à ça. Pour beaucoup d’athlètes avec prothèse, on est dans la mise avant de la féminité. Dans les photos, la prothèse est soit façonnée de façon artistique ou soit gommé par la mise en scène".

La chercheuse a étudié le cas de Marie-Amélie Lefur, para-athlète et aujourd’hui présidente du Comité paralympique et sportif français. Elle explique que la sportive "avait un tatouage papillon sur le ventre et de nombreuses photos étaient centrées sur ça". Mais l’universitaire convient que l’érotisation de l’athlète est moins présente depuis les Jeux de Tokyo.

© Tous droits réservés

Catherine Vanden Perre est productrice dans la section sport de la RTBF. Elle explique qu’en termes de couverture médiatique, effectivement le média "est un peu en déficit de diversité. On couvre cérémonie d’ouverture, de clôture et des directs, mais il faut avouer qu’il y a peu de femmes dans les élites paralympiques. Celle qui a le plus de chance de médaille, c’est Michèle George et elle évidemment on va couvrir". Deux directs sont prévus pour la cavalière handisport.

Au total, 32 athlètes belges prendront part à ces Jeux paralympiques 2020 durant une semaine et demie. Et la première médaille a été décrochée pour la Belgique ce jeudi  : dans le contre-la-montre (1000 mètres) en tandem pour les malvoyantes, Griet Hoet et sa pilote Anneleen Monsieur décroche le bronze en cyclisme sur piste.

Une logique d’entraide 

Une meilleure visibilité du handisport est primordiale parce que le sport est "vecteur d’intégration", conclut Géraldine Letz. Cela permet de faire une place dans la société à des personnes stigmatisées ou mises à part. 

Le BPC voit les Jeux paralympiques comme une vitrine. C’est l’occasion pour les athlètes de changer la perception des personnes en situations de handicap. L’objectif n’est pas de faire rivaliser Jeux olympiques et paralympiques. Géraldine Letz affirme que l’idée est "de jouir du statut des Jeux olympiques, pour avoir la même dynamique aux jeux paralympiques". On remarque en Belgique que les sports populaires chez les valides pendant les Jeux olympiques, comme l’athlétisme ou le cyclisme, sont des sports de plus en plus suivis au niveau paralympique. 

Le porte-parole du BPC va plus loin. "Les sports valides aident à développer le sport pour tous et le sport paralympique de haut niveau. […] L’inclusion est devenue importante au niveau du sport valide. Dans la politique et dans les structures, il y a de plus en plus une intégration du handisport. Par conséquent, il y a de plus en plus de possibilités pour les personnes en situation de handicap de trouver un sport qu’elles aiment, près de chez eux".

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Cet article a été écrit dans le cadre d'un stage au sein des Grenades-RTBF.

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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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