Depuis fin juillet, l’orage gronde à Blizzard. La mythique société de développement et d’édition de jeux vidéo américaine est accusée de promouvoir une culture du harcèlement sexuel et de discrimination envers ses employées femmes. Énième scandale sexiste dans l’industrie du jeu vidéo. Les mentalités changent-elles vraiment ?
"Ça a un furieux air de déjà-vu. Les affaires de sexisme dans le jeu vidéo, c’est des serpents de mer". Isabelle Collet est chercheuse à l’Université de Genève sur les questions de genre dans la technologie. Elle n’est pas surprise par la plainte déposée contre le studio Activision Blizzard pour culture de harcèlement sexuel et pratiques discriminatoires envers les femmes.
La société américaine développe et édite des jeux vidéo bien connus, tels que Call of Duty ou World of Warcraft. Licenciements faciles, ambiance de boys’ club, évaluations négatives en cas de congé maternité… Les 20% d’employées femmes de l’entreprise seraient moins bien traités que leurs collègues masculins. La plainte a été publiée par une agence de l’Etat de Californie. Elle détaille également des faits de harcèlement sexuel impunis. Suite à sa publication le 20 juillet, de nombreux employés manifestent : ils critiquent la réaction de l’entreprise et estiment que l’éditeur n’a pas pris la mesure de la gravité des accusations.
Pour Isabelle Collet, le scandale Blizzard, c’est la suite du mouvement Metoo dans le jeu vidéo. "Les directions n’ont pas encore compris le sérieux de l’affaire parce que, comme d’habitude, on commence par nier, minimiser".
Un milieu de "gros pistolets, voitures et filles à forte poitrine"
La chercheuse pointe deux obstacles à la prise de conscience du sexisme dans les industries du jeu vidéo : un système de cooptation qui dessert les femmes et un manque de femmes dans les postes stratégiques. Dans le secteur du numérique, un système d’entre-soi, "entre copains", est très présent continue l’universitaire. "On choisit les gens qui nous ressemblent et l’un des critères premiers est : ‘on est du même sexe et on a vécu les mêmes expériences ensemble’". Ce système nuit à la diversité de sexe et d’ethnicité et favorise un fonctionnement en vase clos.
Plus l’informatique a rapporté de l’argent et assuré des métiers, moins il y a eu de femmes explique Isabelle Collet. A l’origine, le jeu vidéo n’était pas considéré comme une activité dite ‘masculine’. "Tetris, on ne peut pas dire que c’est un jeu qui glorifie les valeurs viriles". L’industrie du jeu vidéo a un moment décidé de se concentrer sur un public masculin car il a été estimé que celui-ci était plus prometteur et plus prompt à dépenser son argent.
Une partie du jeu vidéo dit ‘féminin’ a été abandonné à la société Mattel, fabricant de Barbie, qui a "tout peint en rose et produit des jeux vidéo intellectuellement très pauvres". Bien qu’il y ait eu de grandes créatrices de jeu d’aventure dès les débuts du secteur, il y a eu historiquement une masculinisation du jeu vidéo, en glorifiant des attributs considérés virils. "Gros muscles, gros pistolets, voitures et filles à forte poitrine", liste la chercheuse.
Une certaine fatalité s’est installée, qui a ensuite justifié une culture virile et laissé croire que le milieu du jeu vidéo est fondamentalement masculin. "Mais l’univers geek, ce n’est pas que Conan le Barbare". Ce type de jeux est peut-être celui qui rapporte le plus aux studios, mais cela laisse de côté toute une partie de l’industrie. On voit du changement aujourd’hui : les créateurs de jeux vidéo se sont rendus compte qu’ils passaient à côté de la moitié des acheteurs potentiels. Les jeux se diversifient et on voit de plus en plus de personnages féminins apparaître. "Aujourd’hui dans quasiment tous les jeux tu peux incarner un homme ou une femme", confirme Manonolita, une jeune streameuse carolorégienne. L’univers gaming se diversifie, mais un problème persiste : la féminisation du métier.
Où sont les femmes ?
Manonolita est streameuse depuis cinq ans sur Twitch, une plateforme de streaming de vidéo. La gameuse se filme en jouant en direct à différents jeux.
Cette année, elle a été victime de harcèlement pendant plusieurs mois. Un déferlement de commentaires sexistes, de menace de viol et de menaces de mort. Pour la joueuse, le sexisme dans l’industrie du jeu vidéo est un cercle vicieux. Beaucoup de femmes ne se tournent plus vers ces études par crainte de devoir faire face à un milieu sexiste, mais alors "s’il y a peu de femmes qui font ce genre d’étude, il y a peu de femmes qui vont rejoindre ce type d’entreprises et du coup forcément, le secteur reste masculin", et la mentalité d’entre-soi viril perdure. "On est de plus en plus de femmes à s’investir dans le gaming et dans le développement. Quand il y aura 50% de femmes, là ça changera la donne". Les femmes sont également très tôt orientées vers d'autres filières d'étude, à causes des préjugés.