Jo Lernout et Pol Hauspie: 3 ans fermes pour faux en écriture

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Par RTBF

Le système de nombreuses sociétés annexes autour de Lernout&Hauspie était pour le moins partiellement frauduleux : voilà le coeur de l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Gand ce lundi. La société de technologie de reconnaissance vocale fondée en 1987 avait connu une belle croissance avant de faire failllite au moment de l'éclatement de la bulle des nouvelles technologies à la fin des années 1990.

Des milliers d'investisseurs, notamment flamands, avaient été grugés dans ce scandale souvent comparé à celui de la faillite fin 2001 de la société américaine de courtage en électricité Enron.

Pour les 17 prévenus pour lesquels les poursuites pénales ont été déclarées recevables, l'ensemble des préventions ont été parcourues une à une par la Cour. Huit des vingt prévenus sont condamnés. Devant une salle pleine à craquer; la Cour a reconnu coupables Jo Lernout et Pol Hauspie de la plupart des chefs d'accusation portés contre eux : de faux dans les comptes annuels, d'usage de faux, de faux en écritures et de manipulation de cours. La prévention d'émission frauduleuse d'actions a par contre été déclarée irrecevable. La cour a également diminué la plupart des montants concernés par la fraude.

Ils sont condamnés à cinq ans de prison dont trois fermes. L'ancien directeur financier Nico Willaert et l'ancien CEO Gaston Bastiaens risquaient aussi jusqu'à cinq ans de prison. Ces deux anciens dirigeants de L&H, ont également été reconnus coupables de quasiment les mêmes préventions : soit notamment faux dans les comptes annuels, usage de faux et faux en écritures.

Réactions mitigées

Jo Lernout s'est montré déçu. "J'ai pris une gifle", a-t-il indiqué. "Cela nous apprendra à devenir entrepreneurs en Belgique. Je n'ai pas fraudé intentionnellement", a-t-il poursuivi, clamant son innocence.

L'avocat de Jo Lernout, Luc Gheyssens, a pour sa part indiqué que le combat se poursuivait. "Nous allons nous consulter, la décision appartient au client. Nous pouvons introduire un pourvoi en cassation endéans les quinze jours, mais il me faudra des mois pour lire les 2.100 pages de l'arrêt", a-t-il expliqué. Frank Marneffe, l'avocat de Nico Willaert, était en revanche relativement satisfait de l'arrêt et ne pense pas se pourvoir en cassation. "Ce qui est important, c'est que l'arrêt précise que la société n'a pas été fondée avec l'intention de frauder", selon l'avocat de Nico Willaert. Pol Hauspie a, quant à lui, évité tout contact avec les médias, empruntant une sortie de secours pour quitter le palais de justice. Gaston Bastiaens a pour sa part refusé tout commentaire.

A partir de 1999, des fraudes

Les LCD (Language Development Company's) ont été fondées au sein de L&H ou de ses filiales à partir du deuxième trimestre 1999 avec pour but de gonfler artificiellement le chiffre d'affaires de la société, a estimé la Cour.

Par contre son arrêt ne suit pas l'avis du ministère public qui estimait que ces LDC étaient depuis le début, avant le deuxième trimestre 1999, destinées à la fraude. Au départ, les contrats de licences ont été observés, dit la Cour, on était encore à la recherche d'investisseurs. Mais à partir de cette date, il est devenu clair que Jo Lernout, Paul Hauspie et Nico Willaert ne trouveraient plus d'investisseurs.

"La seule conclusion possible est que les contrats ont été seulement conclus pour les mettre en évidence au niveau des chiffres trimestriels". La Cour a ainsi indiqué que la LDC arménienne avait été créée au cours du quatrième trimestre de 1999 alors qu'on savait à l'avance qu'elle n'était pas viable.

Dexia et KPMG acquittés

Dexia a été acquittée. La Cour d'appel de Gand n'avait pas écarté les poursuites contre la banque : son inculpation n'est pas tardive, contrairement à ce qu'elle avait argumenté. Pour rappel Dexia avait racheté en 2001 la banque Artesia, accusée d'avoir accordé à la société des crédits sans tenir compte de sa situation financière.

KPMG qui était chargé de valider les comptes de Lernout & Hauspie, était aussi sur le bancs des accusés, mais le bureau d'audit a finalement été acquitté.

Le droit au procès équitable violé : poursuites irrecevables

Pour la Cour, Patrick De Schrijver et Philip Beernaert, poursuivis au pénal dans l'affaire Lernout & Hauspie, ont été inculpés manifestement tardivement. "Le droit à un procès équitable a été violé de manière irrévocable et par conséquent, les poursuites pénales sont irrecevables", a indiqué la cour d'appel de Gand. Pour la même raison, les poursuites à l'encontre de Christophe Lammar ont également été déclarées irrecevables.

Patrick De Schrijver et Philip Beernaert étaient poursuivis comme auteur ou coauteur pour faux en écriture dans les comptes annuels, faux dans des contrats de licence, pour manipulations boursières, pour délit d'émission et pour irrégularités techniques dans les comptes annuels. La période infractionnelle s'étend de 1997-2000. "L'enquête pénale a commencé à la fin de 2000, lorsque deux prévenus ont été entendus à plusieurs reprises comme témoins. Ces deux personnes n'ont été inculpées que le 28 mars 2006 alors qu'environ trois mois plus tard, soit le 26 juin 2006, l'instruction était transférée au ministère public".

"C'était alors pour eux (les deux prévenus, ndlr) impossible, pour le temps restant, de réclamer une enquête supplémentaire à décharge", a déclaré le tribunal. Dans ce bref laps de temps, ils devaient passer en revue 300 fardes. "En outre, il était impossible avant le début de la procédure d'examiner le fond du dossier pénal. Dix ans après les faits, une enquête ne peut plus être menée légalement."

Pour Christophe Lammar, son inculpation fût également tardive, selon la cour. Le tribunal a également déclaré irrecevables les poursuites pénales à son encontre.

Les poursuites à l'encontre de Philippe Vermeulen, l'ancien CEO du fonds d'investissement FLV Fund sont aussi déclarées irrecevables. Philippe Vermeulen va réclamer des dommages et intérêts à l'Etat belge. "Il existe encore des droits dans ce pays", a-t-il réagi. "Mais ce que j'ai vécu est fou, ce que j'ai enduré est extrêmement lourd. Je n'ai pas obtenu l'occasion de me défendre. Que quelqu'un puisse vivre cela dans ce pays est inimaginable. J'ai perdu cinq ans de ma vie".

"Je ne manquerai pas de réclamer des dommages et intérêts. J'en fais avant tout une question de principe. Pas seulement pour moi mais pour chaque citoyen qui peut ainsi être inculpé sans pouvoir se défendre de manière convenable. Dans un Etat de droit, on ne peut pas violer les droits de la défense de façon aussi flagrante", a-t-il ajouté.

Philippe Vermeulen regrette toutefois d'avoir été acquitté à la suite d'erreurs de procédure et non sur base de preuves. "Mais je n'ai pas reçu l'opportunité de me défendre convenablement. Je maintiens que je n'ai fondamentalement commis aucune faute. J'ai investi de bonne foi", a-t-il insisté.

De son côté, Me Kristiaan Vandenbussche, qui défendait aussi Christophe Lammar estime que l'acquittement de Philippe Vermeulen est "une victoire pour le capital-risque en Belgique. Ce n'est pas parce que mes clients entretenaient une relation professionnelle avec Jo Lernout et Pol Hauspie qu'ils étaient impliqués dans la fraude. Au contraire, ils n'en avaient pas la moindre connaissance. La cour d'appel l'a entièrement confirmé".

2100 pages

Le président de la première chambre de la cour d'appel de Gand, Robert Pieters, a commencé lundi peu après 9h la lecture de l'arrêt, qui fait au total 2100 pages. Seuls les quatre principaux accusés et Philippe Vermeulen sont présents, les autres étant représentés par leurs avocats.

Avant le début de l'audience, Jo Lernout et Pol Hauspie s'étaient assis côte à côte sur le banc des accusés et se sont parlé. Nico Willaert et Gaston Bastiaens sont également présents. Tous les autres accusés, à l'exception de Philippe Vermeulen, sont représentés par leurs avocats.

A la demande des avocats, le président se limite à la partie de l'arrêt disponible, à la question de la culpabilité et de la peine. La motivation de l'arrêt sera rendue plus tard.

Les milliers de clients lésés pourront ensuite tenter de récupérer leur argent ultérieurement au civil, la cour d'appel ayant décidé de scinder les volets civil et pénal.

Depuis 8h du matin, quelques personnes lésées ont pris place dans la salle d'audience. Deminor et Test-Achats, qui défendent les intérêts de leurs membres, ont demandé à ceux-ci de rester chez eux.

Pour Bernard Thuysbaert de chez Deminor, le dossier est plus que complet : "La cour d'appel a vraiment eu le souci de motiver, de justifier, de documenter chaque point et c'est vrai que pour l'instant, je suis assez impressionnée par la qualité de l'arrêt. On voit bien qu'ils ont mis 20 mois mais que c'est 20 mois qui ont vraiment servi à travailler d'arrache-pied à constituer quelque chose qui tient la route".

Beaucoup de clients floués en veulent à Philippe Bodson qui aurait pu sauver l'entreprise de la faillite. Une éventuelle condamnation de Dexia et de KPMG au ouvrirait la voix à une éventuelle indemnisation des épargnants.

RTBF avec Belga

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