JO d'hiver - Pékin 2022

JO Tokyo 2020 : Nina Derwael, l'ex-petite agitée à l'assaut de l’Olympe

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A Saint-Trond, le pédopsychiatre sourit. Nico et Marijke Derwael sont venus consulter, ils se font du souci pour leur petite Nina. Durant la séance, la fillette ne cesse de s’agiter, se cachant sous la table, au point de se heurter la tête contre le bois en se redressant trop vite. " Nina est juste une enfant débordant d’énergie " explique le médecin : " Elle a besoin de se dépenser et de reculer ses limites. "

De fait, ses parents n’en sortent plus : Nina est hyperactive, elle fait des crises de colère mémorables, sa mère l’appelle Lapin Duracell. Quand elle perd au jeu de l’oie, Nina claque la porte et s’en va bouder, assise sur le trottoir devant la maison familiale. " Il fallait laisser passer : quand elle était calmée, elle rentrait et retrouvait son sourire et sa sociabilité naturelle " sourit aujourd’hui sa Maman.

C’est décidé : à 6 ans, Nina Derwael intègre le club de gym voisin d’Hasselt et va y canaliser son tonus. Cinq ans plus tard, elle rejoint la Topsportschool de Gand, le centre-élite de la gym en Belgique, sur conseil de son entraîneur à Hasselt : " Placez-là là-bas, son talent est grand, je ne peux plus rien lui apprendre " dit le coach aux parents de la jeune ado.

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" Du haut des armoires… "

Son père est un ex-footballeur du Racing Genk du début des années 90, juste après la fusion Waterschei-Winterslag. Nina a ses repères au pays des studs : la petite Trudonnaire accompagne son grand-père, grand fan du STVV, aux matches au Stayen. Elle aime bien le foot, " surtout pour l’ambiance " (sic). Son amoureux depuis deux années est aussi footballeur pro : formé au Club Bruges, Simon Voet est défenseur central en prêt au PEC Zwolle (Pays-Bas), après voir gratté 9 matches (1 but) au FC Malines l’an passé.

Mais son père n’est pas dupe : " En gym, ma fille bosse beaucoup plus que n’importe quel autre footballeur… " Nico Derwael a appris à canaliser l’énergie de sa gamine : " Petite, elle s’amusait à sauter du haut des armoires et tombait dans mes bras : d’autres fois, je la tenais par les jambes, tête en bas, et elle devait se rattraper sur ses mains ; elle m’en a fait voir de toutes les couleurs… " (rires). Mais Papa et Maman travaillent plein-temps et en sont pas toujours disponibles. Du coup, c’est la grand-mère qui fera les navettes vers les entraînements : à 60 ans passés, Mamy passe… son permis de conduire, juste pour convoyer !

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Mamy au volant

Hasselt d’accord, mais Gand, c’est loin du Pays des Pommes. De plus, c’est en internat. Pas de souci, Nina est de nature autonome : fille unique, elle vit aussi le divorce de ses parents à l’âge de 10 ans. Très tôt, Nina a appris à se débrouiller. En vacances, dès l’arrivée au camping, elle se fait illico des amis : de la semaine, ses parents ne la verront plus. Toujours en cavale.

Pareil à la Topsportschool gantoise : personnalité forte, indépendante, exigeante, perfectionniste et ambitieuse, Nina Derwael est aussi bienveillante et fédératrice. A Gand, elle connaît rapidement tout le monde et, très vite, c’est elle qui s’occupe d’intégrer les nouvelles arrivantes dans le groupe-élite. Un profil de leader, toujours attentif aux autres : dix ans plus tard rien n’a changé, Nina se sent autant concernée par les résultats de l’équipe que par son parcours individuel.

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Façon KDB…

Ses entraîneurs actuels, les Français Marjorie Heuls et Yves Kieffer (NDLA : mis sur la sellette ces derniers mois pour des pratiques jugées extrêmes sur leurs gymnastes), croisent la route de Nina une première fois en 2011, lors du test-event de Glasgow précédant les JO de Londres.

On l’a rencontrée avec sa maman, et c’est là qu’on a vu qu’il y avait un vrai projet et, qu’en plus d’un talent indéniable, c’était une vraie passionnée de gymnastique " explique Kieffer. " On l’avait déjà vue très sûre d’elle en salle, on connaissait son tempérament et son talent aux barres asymétriques. Elle avait la bonne mentalité. C’est quelqu’un de très intelligent dans sa façon de se préparer. " Avant la phrase-clé : " Nina réfléchit plus vite que la moyenne... " Il y aurait donc du Kevin De Bruyne chez la figure de proue de la gymnastique belge...

Passionnée, extravertie et volcanique en dehors des tapis (" souvent même nonchalante et procrastinatrice dans la vie quotidienne " dit-elle d'elle-même...),  Nina Derwael entre en religion dès qu’elle approche ses agrès chéris. Concentrée, méticuleuse, elle ne laisse rien paraître de son stress intérieur. Ce même stress de la perfectionniste qui l’a fait recourir aux services de la psychologue du sport Eva Maenhout (recrutée par Hein Vanhaezebrouck à La Gantoise et lors de son passage à Anderlecht), pour acquérir de la relaxation par la respiration. Des techniques précieuses pour Derwael pour gérer la pression inhérente à son nouveau statut.

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Tbilissi et Rio

Le grand tournant prend la forme d’un double déclic, à seulement douze mois d’intervalle. En juillet 2015 à Tbilissi (Géorgie), au Festival Olympique Européen de la Jeunesse (laboratoire des futures pépites olympiques), Nina rafle tout avec sa copine Axelle Klinckaert : des médailles à tous les agrès !

Je l’avait repérée dès l’école primaire " explique Valérie Van Cauwenberghe, Directrice de la Ligue Flamande et ex-membre de jurys internationaux. " Son énergie, son naturel, sa passion : elle irait très loin ! Nina est perfectionniste, elle a de l’assurance et est très motivée. Depuis toujours, elle sait exactement ce qu’elle veut et trace sa route. Elle gère très bien la pression et conserve sa concentration en toutes circonstances : elle a un mental en béton ! Et puis il y a ce feeling exceptionnel, qui fait qu’elle sent parfaitement tout ce qu’elle accomplit. Après chaque exercice, elle peut même annoncer immédiatement ses points de pénalité : elle n’a pas besoin de jury, elle pourrait se coter elle-même ! "

Le second déclic a lieu à Rio en 2016 – déjà le décor olympique... La toute jeune Nina (16 ans), très discrète au sein du Team Belgium, gratte une 19e place au concours général, loupant de justesse la finale... mais s’illustre déjà aux barres asymétriques, son agrès-fétiche. C’est la plus belle performance de l’histoire gymnique belge aux JO. Mais Nina veut davantage : " Je fais 19e, merci, mais sans une bête chute, je faisais 11e ! " Place à l’ambitieuse, éternelle impatiente. Toujours plus gourmande.

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Le risque à prendre

Cinq ans plus tard, tout a pris une autre dimension. Nina Derwael est double Championne du Monde : la nouvelle égérie des barres. Un mouvement porte même son nom, le Derwael-Fenton. Et pour Tokyo, elle a bossé un exercice encore plus difficile, risqué certes… mais qui rapporte plus gros si elle le passe avec succès. Risque à prendre ou pas ? Nina se décidera juste avant la finale, selon sa grille de confiance du moment. Car Nina est devenue une patronne. " Ce que j’ai réussi, je l’ai réussi… et personne ne pourra me l’enlever : tout ce qui viendra sera du bonus. " La reine du mental est devenu aussi experte en communication.

Il y eut certes l’année Covid : trois quarantaines successives pour Derwael (!), ses coaches mis sur le gril après l’"Affaire"… et donc un surcroît de pression. Mais une réaction de taulière : " Si mes coaches sont écartés, je pars aussi ; les Jeux, ce sera avec eux… ou sans moi ! " La patronne, qu’on vous disait. Elle est très loin, la petite agitée qui galopait sous la table du pédopsychiatre.

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En nippon dans le texte

Derwael a placé la Belgique sur la carte de la gymnastique mondiale… et c’est tout profit aux yeux des jurys : une nation-naine se fait toujours coter plus sévèrement. Sa grande taille lui assure amplitude et élégance. Son âge (21 ans) lui apporte crédit au sortir d’une année marquée par le grand déballage mondial sur les abus aux bébé-gymnastes. Nina se sent plus forte qu'avant le report des Jeux, en 2020... même si la concurrence est plus relevée: une génération de filles un an plus jeune a été admise.

Pour ces Jeux à jauge réduite, à quasi huis-clos, Nina est un juste peu déçue : elle avait préparé tout spécialement des phrases en Japonais pour communier avec les petits fans locaux... Mais quoi qu’il arrive à Tokyo, Nina devrait aller jusqu’au Jeux de Paris 2024. Et après, elle reprendra ses études. De psychologie orientée vers les enfants, paraît-il… Ben tiens.

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