Joëlle Zask nous confie avoir toujours été frappée "par le fait que les raisons que nous invoquons pour nous autoriser à détruire la nature sont les mêmes que celles qui nous autoriseraient soi-disant à détruire les humains". Par exemple, nous dit-elle, "la destruction des forêts et des peuples qui y vivent sont strictement corrélatives". De même pour "la destruction de la santé des sols et de la paysannerie traditionnelle". Partant de ce constat, elle s’efforce d’éviter le découplage qu’on voit souvent entre ce qui relèverait de la nature d’une part et d’autre part du monde humain. Elle prête toutefois attention au fait de ne pas gommer les différences et les spécificités de chaque évènement.
Sa méthode consiste à travailler à partir de signes avant-coureurs comme des situations qui l’inquiètent, l’interrogent, la désespèrent parfois. Certaines de ses intuitions se révèlent très mauvaises, d’autres sont fructueuses et vont devenir le point de départ d’une enquête. Celle-ci peut être livresque ou mobiliser des interlocuteurs, des déplacements, une attention aiguë portée à son environnement. Ainsi, son essai Se réunir est né lorsqu’elle a participé à une Nuit debout, Place de la République à Paris (ndlr, Nuit Debout, est un ensemble de manifestations sur des places publiques, principalement en France, ayant commencé le 31 mars 2016 à la suite d’une manifestation contre la loi Travail).
J’ai eu le sentiment d’être rejetée par cette place qui pourtant avait été désignée pour être le site d’une revitalisation démocratique, cela a été le point de ce départ de ce livre. En interrogeant les gens autour de moi, je me suis aperçue que nous partagions tous à peu près cette expérience. D’une certaine façon, le fait de leur poser la question leur donnait la possibilité d’exprimer un certain inconfort qui était jusque-là non-dit, voire tout à fait inconscient. C’est cette inconscience qui m’interroge.
C’est cette même inconscience que la philosophe interroge à propos des mégafeux de forêts : "Je me suis rendue dans une forêt qui avait été dévastée par les feux de 2017 dans le Var. Là, j’ai eu un choc et je me suis dit : "un feu de cette ampleur ce n’est pas normal". Mon travail consiste à partir de ces expériences inaugurales et à me demander pourquoi elles ne sont pas l’expérience de tout un chacun. Par exemple, qu’est-ce qui fait que les mégafeux ne sont apparus dans les rapports du GIEC qu’il y a deux ans ? Qu’est-ce qui fait, dans toute cette stratification de nos organismes de nos connaissances et dans les processus de diffusion et de transmission de ces connaissances, qu’on n’a pas pris conscience du phénomène de mégafeu plus tôt ?"
Joëlle Zask fustige la segmentation de nos connaissances, la hiérarchie dont nous sommes tributaires, que ce soit dans le domaine scientifique, politique, etc. Elle constate que le mégafeu n’est apparu comme tel que lorsqu’on a croisé des témoignages et des compétences, à la fois ceux de riverains, d’éleveurs, de paysans, de chimistes, de géologues, …
L’institutionnalisation de l’expertise qui apparaît dans les années 20 est tributaire de l’idée qu’on va trouver en la personne de l’expert un savoir absolu, qu’il pourra répondre à toutes les questions et aura la bonne manière de se les poser, or ce n’est absolument pas le cas ! La science est commune ou alors ce n’est pas de la science, elle ne peut pas se trouver logée dans une seule institution, un seul personnage, personne n’a ce genre de pouvoir !
À la compartimentation des compétences et des savoirs, Joëlle Zask propose de substituer plutôt une démocratie participative qui pourrait prendre racine dans un lieu public, comme un jardin partagé…