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Joséphine Baker au Panthéon: de la ceinture de bananes à la Résistance, portrait d'une femme libre

Joséphine Baker reçoit la Légion d’Honneur et la Croix de Guerre, le 19 août 1961

© AFP

Par Africa Gordillo

Ce mardi 30 novembre, Joséphine Baker entre au Panthéon, ce mausolée situé au cœur du Quartier Latin à Paris voué à rendre hommage aux grands hommes et femmes ayant marqué l’histoire de France. Le corps de la légende de la Revue nègre restera toutefois au cimetière marin de Monaco où elle est enterrée, selon la volonté de sa famille. Joséphine Baker, une femme libre, qu’il serait injuste de réduire à une ceinture de bananes, est ainsi honorée.

Une femme de tempérament

Joséphine Baker à la clarinette, 1926

Quand elle épouse son premier mari à Saint Louis, dans l’Etat américain du Missouri en 1919, Joséphine Baker n’a que treize ans. Elle ne porte d’ailleurs pas encore son nom de scène. Freda Josephine McDonald grandit dans un Etat où les lois Jim Crow, instituant la ségrégation raciale, sont en vigueur.

Comme beaucoup de ses contemporains noirs ou métisses, Freda Josephine McDonald est pauvre. Elle fouine dans les poubelles des Blancs pour se nourrir. La pauvreté n’est pas la seule ombre au tableau : son mariage, marqué par la violence conjugale, dure à peine un an. Josephine fracasse une bouteille sur la tête de son mari et devient danseuse.

Après son divorce, elle épouse Willie Baker dont elle gardera le nom alors que sa carrière commence à décoller aux Etats-Unis. Elle se produit dans la première revue noire de Broadway. Le succès est au rendez-vous et c’est là qu’elle est repérée par Caroline Dudley, l’imprésario de la "Revue Nègre" qui se prépare à Paris. La jeune femme traverse l’Atlantique avec les musiciens noirs de l’orchestre, fraîchement engagés eux aussi, parmi lesquels figure un certain Sidney Bechet.

Joséphine Baker danse le charleston (archives INA)

Bien plus qu’une ceinture de bananes

Josephine Baker dans la Revue Nègre, aux Folies Bergères à Paris, avec sa célèbre ceinture de bananes

Josephine Baker est alors choisie comme meneuse de revue. Elle se produira au début et à la fin de la Revue Nègre, au théâtre des Champs Elysées en 1925. La salle est comble pour la première où elle se déhanche, danse le charleston et apparaît les seins nus, une ceinture de plume autour de la taille, accompagnée d’un jazz-band.

Le spectacle révèle le jazz et la culture afro-américaine au public parisien. La revue fait scandale… et attire la foule. Très vite, Joséphine Baker emporte la Revue Nègre aux Folies Bergères, troquant les plumes pour la ceinture de bananes, celle qui restera dans les mémoires.

C’est en 1930 que Josephine Baker chante ses deux amours, chanson culte dans laquelle elle déclare son amour pour son pays et Paris : "Ce qui m’ensorcelle, c’est Paris, Paris tout entier", chante-t-elle. Il faudrait aussi y lire sa bisexualité, son amour pour les hommes et les femmes. On lui prête notamment des liaisons avec Colette voire Frida Kahlo.

Joséphine Baker interprète "J’ai deux amours" (archives INA)

Nationalité française

Deux jours après leur mariage, Josephine Baker danse avec son mari Jean Lion, dans un gala de bienfaisance

Le 30 novembre 1937, Josephine Baker épouse un industriel français et juif en troisièmes noces, Jean Lion, de son vrai nom Jean Lévy (elle se mariera à cinq reprises en tout). Son mariage lui permet d’acquérir la nationalité française. Hitler est au pouvoir en Allemagne depuis 4 ans déjà et l’histoire prend un tour dramatique. La chanteuse et danseuse de music-hall combat l’antisémitisme et propose ses services à la France.

Osez, Joséphine

Josephine Baker est recrutée par les Renseignements français en 1939

Quand la France déclare la guerre à l’Allemagne après l’invasion de la Pologne à l’automne 1939, Joséphine Baker est recrutée par les Renseignements. Elle fournit des informations sur les mouvements de troupes qu’elle recueille auprès de plusieurs ambassades. Joséphine Baker sait piloter un avion et pour masquer son engagement dans le contre-espionnage, elle rejoint les infirmières pilotes secouristes de l’air et accueille des réfugiés de la Croix Rouge.

Lors de ses voyages au Portugal, en Espagne, en Algérie ou au Maroc, elle continue à défendre la cause de la France libre. Elle recueille des informations et transmet des messages. Certains sont écrits à l’encre sympathique sur ses partitions, voire attachés par une épingle à nourrice dans son soutien-gorge. Elle abritera aussi des résistants dans son château des Milandes, en Dordogne.

Elle a combattu l’occupation allemande au sein de la Résistance pendant toute la guerre. Quelques semaines à peine avant le débarquement allié sur les côtes normandes, Joséphine Baker intègre officiellement l’armée de l’air et devient sous-lieutenant. Elle reviendra en France libérée à l’automne et sera décorée pour son action auprès de l’armée de l’air et du renseignement français.

La lutte pour les droits civiques

Mais le combat de cette femme dont on retient aussi le sourire ne s’arrête pas là. Après avoir vécu dans sa chair l’iniquité de la ségrégation raciale, c’est dans son pays de naissance qu’elle part défendre l’émancipation des noirs. Elle participera ainsi à la marche des droits civiques en 1963, aux côtés de Martin Luther King et se mobilisera à maintes reprises, jusqu’à être menacée par les suprémacistes blancs du Klu Klux Klan.

Les lois Jim Crow fondatrices de la ségrégation raciale seront abolies en 1964 par la loi sur les droits civils (Civil Act Rights). Une année plus tard, le président américain Lyndon Johnson signera la loi qui interdit la discrimination raciale dans le droit de vote (Voting Rights Act, 1965). L’histoire est en marche et Josephine Baker y participe.

Joséphine Baker intégrera ses idéaux dans sa sphère privée. Elle donne naissance à un bébé mort-né et souffre d’une grave infection après son accouchement. Une ablation de l’utérus s’impose. Elle dépassera cet épisode douloureux en intégrant ses idéaux dans sa vie, en adoptant douze enfants de nationalités diverses, sa "tribu arc-en-ciel", où l’origine est une force et non une faiblesse.

La fin de Milandes

Joséphine Baker et son ami, le comédien Jean-Claude Brialy.

En 1964, c’est le revers de fortune. Joséphine Baker est criblée de dettes et elle tente de sauver sa propriété de Milandes où vivent ses enfants. Rien n’y fait. Le château est vendu le dixième de sa valeur en 1968, lors d’une vente aux enchères. Joséphine Baker est contrainte de remonter sur les planches pour honorer ses dettes, sous la protection d’un certain Jean-Claude Brialy.

Une autre amie chère, Grace de Monaco, lui offrira une maison à Roquebrune jusqu’à la fin de sa vie. Elles s’étaient connues dans un restaurant de New-York dans les années cinquante alors qu’un garçon refusait de servir Josephine Baker parce qu’elle est noire. Joséphine Baker mourra d’une hémorragie cérébrale en 1975 à l’âge de 68 ans.

Six femmes au Panthéon… et Gisèle Halimi ?

Ce n’est pas parce qu’elle est métisse ou qu’elle est une femme que Joséphine Baker entre au Panthéon ce 30 novembre prochain mais bien parce qu’elle s’est engagée pour la France. Cette Américaine d’origine est ainsi la sixième femme à y faire son entrée, à côté de Sophie Berthelot, Marie Curie, Geneviève Tillion, Geneviève De Gaulle-Anthonioz et Simone Veil.


►►► À lire : Simone Veil et son mari entrent au Panthéon


Six femmes dont l’action pour la France et la mémoire sont honorées, c’est peu alors que 75 personnalités masculines s’y trouvent.

La "panthéonisation" de Joséphine Baker relance par ailleurs le débat en France sur une autre "candidature", celle de l’avocate Gisèle Halimi. Elle est réclamée par les féministes, des intellectuels, des hommes et des femmes politiques mais refusée par le président français Emmanuel Macron.

Selon l’Elysée, l’avocate s’est engagée pour l’indépendance de l’Algérie, ce qui pourrait cliver la société française. Les soutiens de Gisèle Halimi ne l’entendent pas de cette oreille.

Décès de Gisèle Halimi

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