Chronique littérature

Juan Marsé poétise l’enfance des rues

© Christian Bourgeois Editeur

Le livre de cette semaine porte ce joli titre : Heureuses nouvelles sur avions en papier, il est de l’auteur espagnol Juan Marsé et parait aux éditions Christian Bourgois.

C’est un livre publié à titre posthume de l’auteur barcelonais, décédé en 2020, qui mêle subtilement le réalisme de la rue, les souvenirs de l’enfance et la puissance de l’imaginaire.

Nous sommes en été dans le quartier de la Sagrada Familia. Le jeune Bruno, qui vit seul avec sa mère, travaille à la boulangerie pendant ses vacances. En rentrant chez lui, il aperçoit sur le trottoir des dizaines d’avions en papier, avec des mots tracés au crayon rouge. Des mots qu’il ne comprend pas, écrits dans une langue étrangère. Mais sur l’un d’eux, il lit, en espagnol cette fois, "Aujourd’hui, Parc Guëll, goûter pour enfants avec chocolat chaud !"

Qui peut bien lancer ces avions dans la rue ? Il comprend assez vite que c’est la vieille dame, un peu toquée qui habite au-dessus de chez lui. Une Polonaise, une ancienne danseuse, qui vit en compagnie de son perroquet, et des photos en noir et blanc de sa jeunesse, qui tapissent les murs de son appartement.

En traînant les pieds, Bruno l’aide de temps en temps, nettoie la cage du perroquet contre une petite pièce, mais cette fois, elle lui demande d’apporter le plus de journaux possible, pour écrire d’heureuses nouvelles sur ces avions en papier, comme le suggère le titre du roman. Car si on en a tous besoin, les enfants, plus encore. Elle, les adresse aux petits miséreux qu’elle voit — ou croit voir — en bas de chez elle.

Juan Marsé, qui est né en 1933, les a bien connus. Ils étaient ses copains quand lui-même, jeune apprenti de 13 ans, rentrait de l’atelier. C’est avec eux qu’il a appris la puissance des récits qu’on se raconte pour atteindre d’autres rives que celles qui les attendent.

Son style ramassé, coloré, son humour, sa chaleur, viennent de là. En deux phrases, nous avons un personnage avec ses pensées, ses tics de langage, et ses embrouilles aussi trouées que ses savates. C’est à ses petits compagnons de jeu qu’il pense encore, quand il invente cette vieille dame lançant des biscuits par la fenêtre.

Ce sont des images poignantes et pleines de gouaille, comme dans les 400 coups de Truffaut ou Le voleur de bicyclette de De Sica.

C’est que Juan Marsé s’est construit dans un Barcelone pauvre, sous le franquisme, dans un climat pesant, dont il s’échappait par les affiches de cinéma, les histoires et les photos des magazines.

C’est une photo en noir et blanc, encore, qui hante les pages de ce roman, une photo de garçons pieds nus, en haillons, faméliques et seuls. Les gosses du ghetto de Varsovie. Pourtant, ils nous regardent tranquillement, sans attente, avec douceur et sans illusion.

C’est toute la puissance et le charme de ce petit livre, qui nous surprend, en nous parlant au cœur et à l’imagination. Il faut la folie douce d’une vieille dame à l’esprit bien moins déréglé que le monde pour veiller sur ces enfants, les soustraire à la vraie folie, celle des hommes. Juan Marsé nous le souffle dans ce roman : trois choses nous incombent vraiment, les enfants, les personnes fragiles, et la poésie de la vie. Le reste peut attendre.

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