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Judith Kiddo, just kidding ? Plus vraiment

© Diego Mitrugno

Par Diane Theunissen via

L’heure a sonné ! Un EP, quelques singles et une flambée de concerts sous le bras, Judith Kiddo revient en grandes pompes avec un premier album hybride et touchant, le superbe Ready To Heal. Par le biais de 9 titres à la croisée entre synth-pop et hart rock, l’artiste bruxelloise se livre à cœur ouvert, bien décidée à enfoncer la porte de l’introspection. Un opus surprenant, profond, nostalgique et libérateur qui, sans prétention aucune, retrace l’évolution d’une artiste en pleine éclosion.

© Diego Mitrugno

Coucou Judith ! En écoutant ton album, j’étais très heureuse de voir que tu continues à mélanger le français et l’anglais de façon aussi assumée. Quelles sont les raisons d’un tel choix ?

Tout d’abord, merci de dire que ça ne te dérange pas. J’ai senti cette injonction à devoir choisir, mais en fait je ne vois pas trop où est le problème. La raison pour laquelle j’ai choisi de ne pas choisir, c’est que j’avais l’impression de ne pas pouvoir faire autrement : le français c’est ma languie maternelle, j’adore chanter en français. Mais l’anglais, c’est la langue de la pop et la langue dans laquelle j’ai appris des dizaines de milliers de chansons avant de me décider à faire les miennes. Du coup, instinctivement, c’est l’anglais qui vient quand j’écris. Et puis, j’adore cette langue ! En secondaire, j’avais une bande de copains dont l’un était anglais. On se parlait tous en anglais, on trouvait ça hyper cool (rires). J’adorais cette langue, je rêvais même d’aller vivre à Londres quand j’étais plus jeune (…) Mais c’est vrai que j’ai déjà senti que cette dualité pouvait poser problème ou question : dès que tu veux faire un truc plus vendeur, on te dit “il faudrait que tu traduises toutes tes paroles en français”. Même si l’exercice de traduction aurait été intéressant, je me suis dit “je ne vais pas faire ça. Choisir c’est renoncer, et je ne vais pas renoncer à mes passions” (rires). 

Tu décris ta musique comme un mélange de synth pop et hart rock. Comment es-tu parvenue à modeler ton identité sonique ? Quelle est la patte “Judith Kiddo” ?

Quand j’ai commencé à écrire, j’avais l’aide de Lulu [aka Lucien Fraipont] à la prod. C’était déjà tellement énorme pour moi de me lancer dans ce rêve de chanteuse — qui était un peu vertigineux —, j’ai passé beaucoup de temps à observer comment faire les choses. Ce qui est sûr, c’est qu’en partant de compositions guitares-voix, il y a forcement quelque chose de très organique qui se dégage. Il y a aussi des beats évidemment, que j’ai faits vraiment au hasard en fouillant sur Logic Pro. J’aime bien aller chercher des sons qu’on a moins l’habitude d’entendre dans la pop, un peu comme des inspirations à la Caroline Polachek qui, à un moment, va te sortir une cornemuse en plein morceau. Ma musique, c’est un mélange d’électro-pop, de guitares et de sons que je souhaite un peu organiques.

Ta collaboration avec Lucien Fraipont a l’air d’avoir porté ses fruits ! 

C’est moi qui squattais beaucoup ses trucs (rires). Je n’ai pas beaucoup de matériel : j’ai une bonne guitare, mon clavier midi, mon programme et deux trois petits synthés dont j’ai oublié le nom mais qui sont trop rigolos. On a vraiment pimpé la prod ensemble avec Lulu. Lors de la conception du premier EP, j’étais plus en mode observation. L’album, on était vraiment ensemble dans la même pièce à le faire. 

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Tu as été nettement plus impliquée dans la production cette fois-ci. Est-ce un exercice qui te plait ?

Oui, mais j’ai mis du temps à aimer parce que… j’ai peur des ordinateurs (rires). En plus, c’est vrai : ordinateur, programme, il faut que je prenne sur moi et que je me concentre pour me dire que ce n’est pas si compliqué, que je vais y arriver. Finalement, il n’y a pas besoin d’être ultra geek ! J’ai mis le temps mais je commence à comprendre un peu plus tout ça et ça me fait du bien : je n’ai pas envie de dépendre de quelqu’un d’autre pour ça. Le prochain album que je ferai, j’aimerais vraiment le produire moi-même. J’apprends vraiment en faisant. Du coup, je me suis aussi inscrite à des cours, etc pour acquérir plus d’indépendance et me rendre compte de tout ce qui est possible de faire. C’est ahurissant quand tu commences à creuser, quand tu vois tout ce qui existe en termes de sons dans les ordinateurs (waw, les plug-ins) !

La guitare est particulièrement présente sur Ready To Heal. Est-ce ton instrument de prédilection ?

J’ai une guitare depuis très longtemps, sur laquelle je jouais très peu jusqu’à ce que je me mette à composer. En gros, elle trainait un peu dans un coin, c’était plus de la décoration qu’autre chose. Quand je me suis décidée à composer, c’était le seul instrument dont je savais jouer donc c’est ça qui est venu comme une base, qui est ensuite restée tout le long. Du coup, je joue de manière très simple. 

J’ai été particulièrement surprise par le riff de guitare qu’on retrouve sur “Only Loves Me When I Cry”. Il y a un côté décalé, tu vas au-delà de ce qu’on attend. Est-ce que l’effet de surprise fait partie de tes choix artistiques ? 

Très bonne question (rires). J’aime cultiver la spontanéité et l’accident, cela dit j’ai aussi l’impression que ça vient un peu tout seul. Mais je fais attention à cultiver ça. Je cultive l’accident, ça parait paradoxal mais c’est ce que j’essaye de faire. Il y a des dizaines de maquettes que je n’ai finalement pas gardées, parce que c’était trop : il n’y avait pas la petite nuance qui fait que c’est un peu plus qu’un truc pop, qu’un truc lisse. 

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On constate une différence importante entre ton premier EP Petit Chien et ton album Ready to Heal, notamment en écoutant “Mal Barre”. C’est plus frontal, plus subtil. Est-ce que tu as eu envie d’aller plus loin, tant dans la recherche de sonorités que dans la portée de tes textes ?

C’est très bien vu, j’ai voulu plus ouvrir mon coeur avec Ready To Heal. Je ne pense pas que je n’étais pas sincère dans Petit Chien, mais c’était un peu une collection de tous les sujets qui me passaient par la tête de façon spontanée. Je parlais de mon chien, je parlais du fait d’être fauchée en tant qu’artiste, je parlais déjà d’homosexualité mais de manière un peu déguisée dans "Fly Away", etc. Pour l’album, j’ai un peu flippé au niveau des paroles parce que j’avais l’impression d’avoir déjà tout dit. Mais au bout d’un moment, j’ai capté que c’était OK de se répéter et de reparler des mêmes choses. Certaines personnes chantent des break-up songs toute leur vie, et en fait les gens ne se désintéressent pas forcément. Je me suis dit “Oh mon dieu, tout le monde a déjà compris de quoi j’allais parler” (rires). Alors qu’on s’en fout ! Du coup, j’aborde les mêmes choses mais plus en profondeur. C’était quand même une période plus intense, il n’y avait pas autant l’insouciance d’écrire ses premières chansons et de découvrir que c’est genre “haha trop fun, je fais des chansons”. Non, maintenant c’est malgré tout devenu un nouveau métier même si j’essaye de cultiver un maximum de légèreté en le faisant. Je veux effectivement dire un peu plus qui je suis, et c’est donc plus intime. Et plus émo (rires). 

L’année dernière, tu m’as dit cette phrase : “Judith Kiddo, c’est comme just kidding”. J’ai l’impression que les choses ont évolué : on reste sur des paroles accrocheuses, mais il semble y avoir une prise de position plus importante que sur tes projets précédents. Est-ce que cet ancrage te fait du bien ?

Ouais, grave. J’ai conscience que c’était aussi un risque à prendre : si tu regardes “Pour Quelques Dollars”, c’est aussi ma chanson qui a le plus marché parce que c’est ce qui rentre le moins en profondeur dans ma vraie vie. Mais j’ai zéro regret par rapport à ça parce que je peux me dire que dans ma vie, j’ai écrit un album où j’ai mis tout ce que je suis — ou en tout cas une bonne partie de ce que je suis — et que j’ai donné accès à une vulnérabilité qui est peut-être moins bankable mais plus intéressante. C’est assez courageux, et je pense que c’est le plus beau cadeau qu’on peut se faire à soi-même en tant qu’artiste. En tout cas, je souhaite à tout artiste d’oser dire ce qu’il ou elle a à dire et de ne pas penser aux likes (rires). 

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Il y a neuf morceaux sur cet album. Peux-tu me parler d’une chanson qui te touche particulièrement ? 

“Mal Barre” je l’aime vraiment bien, mais on en a déjà parlé. Il y a aussi la chanson sur mon frère, c’est la numéro 4 (rires). C’est “Hagen”. C’est vraiment un sujet sensible mais pour lequel je suis restée assez sobre et discrète. Mon frère a eu des difficultés psychiatriques pendant plusieurs années et c’est encore un peu difficile mais il se bat hyper fort et on a une relation assez magique qui tourne aussi beaucoup autour de la musique. C’est un super guitariste de jazz, quand j’étais petite je l’admirais beaucoup pour ça. On a été séparés pendant 10 ans et quand on s’est retrouvés c’était vraiment pour faire de la musique ensemble, je faisais vraiment juste les choeurs de son band, Lucien jouait dans son band aussi. Il y a toute une histoire autour de la musique de mon frère et toute une histoire de famille assez lourde. Je pense que c’est impossible à discerner dans les paroles, mais c’est pas grave. Si j’ai encore envie de parler de ça, j’en parlerai autrement jusqu’à ce que ça sorte de manière plus claire. En tout cas, là ça m’a inspiré le refrain que je trouve le plus beau au niveau de la mélodie. Et je suis contente d’avoir pu rendre ce mini-hommage à mon frère qui a vraiment eu beaucoup de mal. 

Tu le disais toi-même, tu te dévoiles mais tu y vas à tâtons. Tu as ouvert la porte, et c’est déjà pas mal ! Tu offres aux gens une grille de lecture infinie. Est-ce que c’est de la musique que tu fais pour toi, ou de la musique que tu fais pour les autres ?

Vraiment, les deux. Je pense que les choses dont je parle, plein d’autres personnes les ont vécues. Si ça peut les aider à guérir de ces mêmes choses, c’est génial. Pour moi c’est le but suprême de l’art, c’est de mettre du baume au cœur. J’ai l’impression que la musique m’a vraiment aidé à survivre. Quand j’étais enfant, le fait de chanter me faisait du bien. J’écoutais que de la pop, genre des hits mais des bons hits (rires). Quand Bjork chantait à la radio, waw ! J’ai des souvenirs de sons vraiment incroyables. La “bonne pop” m’a un peu sauvé la vie, même si c’est un peu drama de dire ça.

Ton album s’appelle Ready To Heal, tout comme la chanson-titre du disque. Où en es-tu dans cette guérison ? 

On l’aura compris : sur ce disque, les paroles sont plus intenses. Je me dévoile un peu, mais le plus important, c’est de garder de la lumière dans tout ça. J’espère que c’est ce qui me caractérise aussi. Dans la vie, il y a des choses bien dark mais il y a toujours une lumière qui passe. J’espère que c’est aussi ce que véhicule ma musique. Dans cette chanson-là, c’est totalement ce qui ressort. Tous les morceaux parlent de choses dont j’ai du guérir d’une manière ou d’une autre et du coup, ça a ouvert la porte à cette guérison. Tandis que certains sujets sont déjà quasiment guéris — comme mon rapport aux relations hétéro-toxiques que j’aborde dans “Only Loves Me When I Cry” —, d’autres le sont beaucoup moins. Parfois, c’est tout juste. J’espère vraiment que ça pourra donner du courage à d’autres gens. 

Tu auras 33 ans cette année. Est-ce que le passage de la trentaine t’a aidé à mieux  comprendre ton cheminement de vie ?

Complètement. Quand je regarde les années de ma vingtaine je me dis “waw, c’était un gros bordel”. Là j’ai fait un gros tri. Sortir cet album, c’est la cerise sur la dernière caisse du tri (rires). 

© Diego Mitrugno

Pour fêter la sortie de ce premier album en bonne et due forme, Judith Kiddo sera à l’Ancienne Belgique le 23 février prochain. Tenez-vous prêt·e·s, cette meuf-là n’a pas fini de vous étonner.

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