Judo

Judo: 3 ans et demi après son malaise cardiaque, Benjamin Harmegnies dirige son propre restaurant, "Big Ben Theory"!

Benjamin Harmegnies reste un colosse, les épaules et les biceps nous rappellent son passé de judoka de haut niveau, mais une fois le tablier enfilé, il devient le chef du "Big Ben Theory". D'un art martial à l'art culinaire, il a franchi le pas!

© Samuël Grulois - RTBF

Appelez ça une résurrection. Une renaissance. Un renouveau. Une sacrée aventure, en tout cas. Celle d’un colosse de 130 kilos qui a défié la mort avant de la mettre ippon. Benjamin Harmegnies était promis à un bel avenir sur les tatamis. Six fois champion de Belgique de judo des plus de 100 kilos, le Hennuyer rêvait de Mondiaux et de Jeux Olympiques. Mais le 28 avril 2018, à Tel Aviv, deux petites heures après sa défaite au premier tour contre le Bosnien Harun Sadikovic et alors qu'il assistait dans les gradins à la finale européenne de son pote Toma Nikiforov, son cœur s'est arrêté. Ramené à la vie grâce à l'intervention efficace des secours sur place, Benjamin a vite compris que le sport de haut niveau était fini pour lui.

Après une longue période de revalidation (NDLR : On lui a implanté deux stents pour maintenir l’artère ouverte), après quelques mois de logique déprime, le solide gaillard s’est ressaisi. À même pas 30 ans, il était hors de question de se morfondre. Comme l'a écrit maître Jigoro Kano, l'inventeur du judo : "On ne juge pas un homme sur le nombre de fois qu'il tombe mais sur le nombre de fois qu'il se relève !" L'Hornutois s'est donc relevé. À côté de son emploi à l’École Royale Militaire à Bruxelles, où il donne des cours de self-défense, il a ouvert, à La Bouverie, dans l'entité de Frameries, un restaurant Street Food’, baptisé " Big Ben Theory ", où nous l’avons retrouvé, sans judogi mais avec un beau tablier !

Au rez-de-chaussée, le resto style " architecture industrielle ". À l’étage, le nid douillet où il vit désormais avec sa compagne polonaise Daria Pogorzelec, elle aussi championne de judo (NDLR : 7ème des Jeux Olympiques 2012 et 2016 en -78 kilos), et Cezare, le bébé né l’été dernier.

Judokas, militaires, carnivores, végans, végétariens, amateurs d’arts martiaux, de bonne bouffe et… d’histoires inspirantes, cette interview est faite pour vous !

Benjamin Harmegnies devant le tableau des suggestions "Big Ben Theory". Poulet à la broche, boulette aux épices libanaises, chausson aux épinards, croquette de halloumi, gyros de boeuf, falafel... c'est ça le 'Street Food'.
Benjamin Harmegnies devant le tableau des suggestions "Big Ben Theory". Poulet à la broche, boulette aux épices libanaises, chausson aux épinards, croquette de halloumi, gyros de boeuf, falafel... c'est ça le 'Street Food'. © Samuël Grulois - RTBF

Benjamin, que vous vient-il à l’esprit quand j’évoque ce terrible 28 avril 2018 ?

" Ce n’était pas la plus belle journée de ma vie ! J’ai eu de la chance que le staff de l’équipe réagisse vite et bien au moment de mon malaise, ce qui m’a permis d’être encore là aujourd’hui. J’ai presque tourné la page. C’est forcément toujours un peu présent dans la tête, il faut s’en souvenir, mais je vis avec, et je vis d’ailleurs très bien avec. "

Mon cœur a pris ‘cher’ ce jour-là !

Prenons d’abord des nouvelles de votre santé : comment allez-vous trois et demi plus tard ?

" Mon cœur a pris ‘cher’ ce jour-là ! Je n’ai évidemment pas réussi à totalement lâcher le sport… Je continuer de m’entraîner. Et lors de ma dernière visite chez le cardiologue, c’était plus positif que négatif, avec de légères mais réelles améliorations. Je ne fais plus beaucoup de judo mais je me suis lancé dans le jiu-jitsu brésilien. J’ai même ouvert un petit club à La Bouverie, le " Beast-Art Team "et je participe à des petites compétitions pour m’amuser. Ce n’est plus du haut niveau mais je le fais pour le fun. "

Vous avez donc dû faire le deuil du sport de haut niveau. Quand les médecins vous ont annoncé que votre carrière sportive était terminée, quelle a été votre réaction ? Ce n’était pas évident à accepter, j’imagine…

" Ce n’était vraiment pas facile ! D’autant plus que je sortais déjà d’une période assez compliquée avec ma non-sélection pour les Jeux Olympiques de Rio. C’était dur à croire. Mais bon, je n’avais de toute façon pas le choix… même si au moment de mon malaise, je pensais que je souffrais seulement d’une grosse grippe ! Je m’étais donc dit que ça allait passer. Vous savez, ce genre de débilités que se disent les sportifs de haut niveau pour se voiler la face. Mais à un moment, ça ne passe plus ! En fait, j’ai rarement eu de telles douleurs… "

Le positif dans votre malheur, c’est que vous avez toujours eu deux passions : le judo et… la cuisine ! Ce qui vous a permis de rebondir avec un nouveau projet.

" C’est vrai que j’ai toujours eu ces deux passions. Quand j’étais plus jeune, j’ai suivi pendant quatre ans les cours à l’École hôtelière provinciale de Namur. Quand j’ai terminé mon cursus, j’ai dû prendre une décision : judo ou cuisine ? Sachant qu’on ne peut faire du sport de haut niveau toute sa vie, j’ai logiquement opté pour les tatamis avec, dans un coin de la tête, l’idée de revenir à mes premières amours une fois ma carrière sportive terminée. Après mon accident cardiaque à l’Euro, un de mes meilleurs amis, un ex-copain de classe à l’école hôtelière qui gère désormais plusieurs restaurants à Bruxelles, m’a proposé, histoire de me changer les idées et de retrouver les automatismes en cuisine, d’aller bosser avec lui. On dit souvent que ça ne s’oublie pas mais c’est comme le vélo, il faut repratiquer un petit peu sous peine de vite tomber ! Il m’a donc transmis quelques trucs qui m’ont aidé pour lancer mon projet. À cause des nombreux travaux à réaliser dans le bâtiment, à cause aussi de la crise sanitaire, ça a pris plus de temps que prévu. Quel bonheur lors de l’ouverture officielle le 11 juin 2021 !

C’est quoi le ‘Street Food’ ?

" En résumant, le ‘Street Food’ est un mix entre le ‘Fast Food’ et le resto. C’est de la nourriture rapide qu’on peut manger en rue (NDLR : Traduit de l’anglais, cela veut bel et bien dire ‘Nourriture de rue’) comme celle des ‘Fast Food’ mais avec une vraie qualité de restaurant. Nous, nous travaillons avec des produits frais, des produits faits maison mais à des prix abordables comme les produits ‘Fast Food’. Le ‘Street Food’, c’est donc du ‘Fast Food’ amélioré ! "

Privilégiez plutôt notre mayo pesto. Ou alors, notre andalouse revisitée, notre curry oignons rissolés, notre sauce à l’ail ou notre sauce pimentée… Toutes nos sauces sont bonnes. Il n’y a pas de mauvais choix !

Benjamin Harmegnies a été sacré six fois de champion de Belgique des lourds. Il a également décroché une dizaine de médailles dans les tournois "Grand Prix" et "World Cup".
Benjamin Harmegnies a été sacré six fois de champion de Belgique des lourds. Il a également décroché une dizaine de médailles dans les tournois "Grand Prix" et "World Cup". © Eric Lalmand - BELGA

Nous réalisons cette interview au beau milieu de votre restaurant. Que me conseillez-vous sur votre carte ?

" Dans notre concept, la carte change régulièrement. En ce moment, nous mettons en avant la broche-poulet ! "

Avec des frites ?

" D’office ! C’est la valeur sûre ! " (Il rigole)

On peut rajouter de la mayo ?

" Oui mais en évitant la mayonnaise classique. Privilégiez plutôt notre mayo pesto. Ou alors, notre andalouse revisitée, notre curry oignons rissolés, notre sauce à l’ail ou notre sauce pimentée… Toutes nos sauces sont bonnes. Il n’y a pas de mauvais choix ! "

Big Ben Theory se trouvait dans le Top-100 des meilleurs restaurants du pays publié dans la " Black Food Edition " du " Vif l’Express "! C’est comme pour le Guide Michelin, quelqu’un est venu manger chez nous, anonymement, et nous n’avons rien remarqué. Dans ce contexte, un tel retour c’est vraiment chouette !

Vous avez récemment obtenu une première reconnaissance du monde professionnel. Fier ?

" Évidemment ! C’était une incroyable surprise. Un jour, je reçois dans ma boîte-aux-lettres un magazine auquel je prête à peine attention. C’était un " Vif Weekend " spécial " Black Food Edition ". Je le feuillette distraitement et je vois un article sur Philippe Etchebest, un autre sur le chef Mauro Colagreco dont l’établissement a été élu meilleur resto du monde, et puis j’aperçois soudain entre deux pages un p’tit papier qui m’annonce que je suis cité dans le magazine ! C’est donc avec beaucoup d’excitation que j’ai directement tout refeuilleté et, effectivement, " Big Ben Theory " se trouvait dans le Top-100 des meilleurs restaurants de Wallonie ! * C’est comme pour le Guide Michelin, quelqu’un est venu manger chez nous, anonymement, et nous n’avons rien remarqué. Dans ce contexte, un tel retour c’est vraiment chouette ! "

*Voici un extrait de ce qu’on peut y lire : " 'Big Ben Theory' redore le blason du snack à frites d’inspiration orientale. Au centre du tableau noir, on trouve un inédit ‘rollo’, soit une gourmandise en forme de galette de pain fourrée de crudités dans laquelle on insère au choix gyros de poulet, brochette de poulet, falafel ou halloumi (…). L’accompagnement ? Il ne fait pas dans la dentelle puisqu’il s’agit de frites… Mais elles sont aussi délicieuses que peu grasses (…). "

Vous évoquiez Philippe Etchebest. Petite boutade… Pas de besoin de lui ? Pas de cauchemar en cuisine ici ?

(Il éclate de rire) " Non, non, pas de cauchemar en cuisine pour l’instant ! Mais j’avoue que je serais très heureux de l’accueillir dans ma cuisine pour recevoir quelques conseils. "

Je vois des étoiles dans vos yeux quand vous parlez de cuisine. Quand vous étiez judoka de haut niveau, vous aviez la chance, au contraire de vos équipiers de club ou en équipe nationale, de ne pas devoir faire attention à votre poids puisque vous combattiez chez les lourds…

" C’est clair que je n’avais pas à me plaindre… même si j’évitais de manger des frites avant les compétitions ! "

On me surnommait… " Big Ben " sur les tatamis. Quant au mot " theory ", il vient de mes nombreux voyages à l’étranger. A chaque fois que je découvre un autre pays, une autre culture, je garde plein d’idées que je remets à ma sauce pour en faire… la ‘théorie de Big Ben’ !

Quelle fierté pour "Big Ben" Harmegnies de poser devant la vitrine de son restaurant "Big Ben Theory" à la Bouverie!
Quelle fierté pour "Big Ben" Harmegnies de poser devant la vitrine de son restaurant "Big Ben Theory" à la Bouverie! © Samuël Grulois - RTBF

D’où vient le nom de votre établissement ?

" Les gens me le demandent souvent. Beaucoup croient que ça vient de la série télévisée " The Big Bang Theory ". C’est en partie vraie mais le nom vient surtout de… moi, puisqu’on me surnommait… " Big Ben " sur les tatamis. Quant au mot " theory ", il vient de mes nombreux voyages à l’étranger. A chaque fois que je découvre un autre pays, une autre culture, je garde plein d’idées que je remets à ma sauce pour en faire… la ‘théorie de Big Ben’ ! "

Vous n’avez hélas jamais pu réaliser votre rêve olympique. Mais on a l’impression que vous êtes en plein rêve ici…

" Tout-à-fait ! Vous savez, c’est un projet qui m’a pris pas loin de deux ans et demi. Et là, les gens adhèrent au concept. On poursuit donc nos efforts avec les fournisseurs locaux comme la Brasserie du Borinage. On veut proposer quelque chose de différent. "

Votre agenda explose. Du lundi au vendredi, vous bossez à l’École Royale Militaire, à Bruxelles.  Et à partir du vendredi soir, vous gérez votre restaurant. Vous arrive-t-il de souffler un peu ?

" Pas vraiment. C’est un défaut lié à ma vie précédente, quand j’étais judoka élite et que je voyageais partout tout le temps. C’est difficile pour moi de me poser même si j’ai eu le bonheur il y a peu de devenir papa, ce qui devrait me pousser à me calmer. Mais pas tout de suite ! "

À l’armée, on m’appelle Caporal. Ici, on m’appelle… chef !

Une déco "industrielle", une cuisine moderne et un chef cuistot passionné et très fier d'avoir été cité dans la "Black Food Edition" du "Vif Weekend"!
Une déco "industrielle", une cuisine moderne et un chef cuistot passionné et très fier d'avoir été cité dans la "Black Food Edition" du "Vif Weekend"! © Samuël Grulois - RTBF

Quand je suis arrivé, je vous ai dit " Benjamin, malgré l’arrêt de votre carrière, vous gardez la ligne ! ". Mais vous n’aviez pas l’air d’accord…

" Pendant le premier confinement, j’avais perdu une dizaine de kilos et j’étais redescendu autour des 120. Mais avec ma paternité, avec le stress du resto, j’ai repris un peu. Ma chance, c’est que je n’ai pas faim quand je cuisine même si, inévitablement, il y a parfois une p’tite frite qui se perd à droite ou à gauche. J’essaie de faire attention mais mon problème, c’est que je m’entraîne beaucoup moins qu’avant et que mes heures de repas sont souvent décalées. Souper à 23 heures n’est jamais idéal. C’est un des aspects que je devrai améliorer dans le futur. "

Quel est votre grade à l’armée ?

" Caporal. "

Et donc ici, en cuisine, on vous appelle caporal ou… chef ?

" Chef ! "

D’un art martial à l’art culinaire, Benjamin Harmegnies a franchi le pas avec succès.

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