Ça y est ! Après plusieurs mois d’attente, le duo bruxellois JUICY revient en grandes pompes avec un premier album hybride et puissant, Mobile. Par le biais de 13 titres où se mêlent sonorités classiques, arrangements jazzy, beats électroniques et voix autotunées, Sasha Vovk et Julie Rens vont droit au but et nous livrent l’essence même de leur projet : une instrumentation plurielle et réjouissante frappée de plein fouet par une modernité sans limite. Un opus narratif et engagé qui, sans prétention aucune, retrace l’évolution de deux artistes innovantes, entières et complices.
Un album éclectique et sans retenue
“On est hyper fières du résultat, c’est exactement comme ça qu’on entendait le projet,” confesse Sasha le regard pétillant, attablée à la terrasse ensoleillée d’un café. Composé en 2019, Mobile ne colle à aucun style en particulier, et a eu le temps de grandir et d’évoluer. En effet, étant donné le contexte des dernières années, les deux artistes ont décidé de reporter la sortie du disque à plusieurs reprises, et d’attendre le bon moment pour dévoiler leur petite pépite. Elles ont vu juste : ce temps de latence leur a permis de retravailler l’album, et d’y intégrer une matière organique qui le redéfinit entièrement. “En 2019, on avait nos maquettes, tout était produit. On était censées jouer aux Nuits Botanique et le père de Julie, qui est compositeur, avait réarrangé tous les morceaux pour l’orchestre. Comme les Nuits Botanique ont été repoussées deux fois, on a utilisé cette matière et on l’a mise sur l’album. L’album est donc beaucoup plus organique que prévu,” précise Sasha. “On adore la musique classique, et on avait envie d’un truc grandiose,” ajoute Julie.
Pari réussi. Sur Mobile, les chansons défilent en apportant à chaque fois quelque chose de nouveau, une singularité à laquelle on ne s’attend pas. Au fur et à mesure que la track list évolue, les beats électroniques sont balayés par les flûtes et les cordes saccadées, renversées à leur tour par des harmonies jazzy infusées à l’autotune. Fiévreuses, les guitares électriques se succèdent et explosent, alors que sans crier gare, une balade douce-amère prend le relais. Un éclectisme qui coule de source pour les deux protagonistes, sans cesse à l’affut de nouveaux canaux d’expression. “Sur un morceau comme “You Don’t Have to Know” qui est complètement acoustique, on avait envie qu’il y ait ce contraste avec la modernité, d’où l’autotune,” explique Julie. “L’album peut mettre tout le monde d’accord dans le sens où ça reste des chansons pop, il y a aussi des morceaux qui sont un peu plus jazz. Il y a un peu de tout dans le disque. C’est fort chargé musicalement : il y a beaucoup de choses à écouter, ce qui n’est pas du tout la manière dont on fait de la musique mainstream aujourd’hui. Aujourd’hui, on est sur un truc très épuré. Clairement, ce n’est pas ce qu’on a fait,” dit-elle avec une once de dérision.
Une cohésion tangible et bénéfique
En plus des sonorités jazz, soul et hiphop qu’on leur connait, les deux acolytes ont intégré au projet une dimension rock surprenante et libératrice. Agrémentant leur répertoire déjà bien étoffé, cet élément ressort particulièrement sur “Bug In”, l’un des morceaux phares de l’album. “C’est un peu un fantasme, on est super contentes d’avoir pu le mettre sur l’album,” commente Sasha. D’où viennent ces influences ? “Nirvana, Led Zeppelin, on écoute vraiment de tout. Quand on se fait des soirées YouTube en rentrant de concerts, on passe de Rosalía à Ravel et on finit sur Georges Brassens. On n’est pas DJs de ouf,” ajoute Julie en se marrant. “Imagine les transitions toutes pourries (rires),” ajoute Sasha. Une chose est sûre : ces deux-là ne se prennent pas au sérieux, et ça fait du bien.
Force est de constater la complicité qui émane de ce duo. Définies comme "une entité mutante à deux têtes”, Sasha et Julie se complètent, partagent un même sens de l’humour et sont toutes les deux des musiciennes hors pair. “On écrit tout à deux. Julie peut commencer le début d’un morceau et je termine la fin, elle peut faire toute la musique puis je rajoute ma touche. Il y a mille formules possibles mais on fait tout ensemble. On part souvent – enfin tout le temps – en résidence, on s’exclue de nos quotidiens pour écrire,” explique Sasha. Signées depuis quelques mois sur le label bruxellois Capitane Records, les deux chanteuses et musiciennes ont pu s’entourer d’une équipe à l’écoute, qui ne cherche pas à les catégoriser. “Quand tu tiens un projet de façon indépendante, il y a des moments ou t’as plus les épaules pour y croire encore. Cette industrie n’est pas évidente, surtout quand on fait ce qu’on fait : on n’est pas complètement dans du mainstream mais on fait quand même de la pop. Chez Capitane Records, c’est vraiment de l’entraide : on apprend tous ensemble, c’est hyper fluide. On a choisi la bonne équipe et on a attendu le bon moment,” raconte Sasha.
Une narration engagée et évolutive
Sur cet opus, les artistes dressent le portrait d’une société malade et dysfonctionnelle. Au travers de paroles recherchées, elles partagent leurs réflexions, leurs doutes et leurs inquiétudes sans filtres ni concessions et abordent sur chaque morceau un sujet qui les touche de près ou de loin : tandis que “Treffles” met l’accent sur l’addiction aux réseaux sociaux, “Youth” souligne l’évincement et l’invisibilité des femmes lorsqu’elles vieillissent. “L’album reflète les échanges qu’on a entre nous, ainsi qu’avec nos proches. La vieillesse chez les femmes, c’est quelque chose à laquelle on est confrontées parce qu’on vieillit, on grandit,” note Sasha. La plupart des thématiques abordées sont très sombres, mais dument nécessaires. Sur “Love When It’s Getting Bad”, les artistes explorent la violence impitoyable au sein d’un couple et dénonce un féminicide. “Quand on en discutait, on avait tendance à parler de crime passionnel. À force de lire des choses sur le sujet, de s’y intéresser et d’y réfléchir, on s’est rendu compte qu’on était en train de parler de féminicide. Ce sont des positionnements que l’on partage, et pour nous, c’est important d’assumer chaque mot écrit,” commente Julie.
La musique aide-t-elle à communiquer et questionner des thèmes inconfortables ? “C’est un challenge : ce sont des sujets hyper complexes, à résumer en très peu de phrases puisque les chansons sont courtes. Mais on parle de ce qu’on veut, et on laisse l’opportunité au public d’aimer la chanson et de conscientiser les paroles ou pas. C’est l’avantage de la musique,” ajoute-t-elle. En écrivant sur des sujets de société actuels et importants, le groupe tente tout d’abord d’apporter des pistes de deconstruction. “Tout le monde est en train d’essayer de déconstruire des années d’histoire, des années d’éducation hyper rigide. Ça fait du bien d’aborder ces thèmes de manière non-figée, de se dire que ce sont des choses qui évoluent, et de se rappeler que tout est matière à reflexion permanente. C’est un appel à aiguiser nos sens critiques et à pouvoir revenir sur nos positions”.
Du live, toujours plus de live
La scène a toujours été une dimension clé du projet JUICY, et une chose est sûre, Mobile ne dérogera pas à la règle. “Si on fait tout ça, c’est pour faire des concerts. On aime trop pouvoir jouer juste à deux, surexcitées sur nos machines. On essaye de mettre le moins de choses possibles en séquences. Ça demande beaucoup de travail, mais on adore ce challenge d’être ultra sollicitées,” explique Julie. “C’est un exutoire de malade,” ajoute Sasha. Ces dernières années, les deux artistes ont décuplé les formules scéniques : accompagnées d’un brass band à Dour en 2019, elles nous livraient une performance orchestrale unique lors des Nuits Botanique en septembre dernier, et un concert double piano tout en douceur peu de temps après. “On est toujours dans cette même optique de surprises et de propositions éclectiques, c’est comme ça qu’on aime présenter notre musique et c’est ce qu’on aime quand on va écouter d’autres projets,” souligne Julie. En proposant différentes versions de leurs morceaux, les deux artistes espèrent notamment toucher un public varié, et donner l’occasion à quiconque tendrait l’oreille de résonner avec leur musique. Cela dit, leur énergie reste la même, et c’est presque tout ce qui compte. “Quand on faisait les covers il y avait parfois un public plus âgé, d’une cinquantaine d’années, qui ne connaissait pas du tout les reprises qu’on faisait mais qui aimait l’énergie”.
Maitresses de leur art, Sasha et Julie déclinent les propositions et parviennent à donner plusieurs vies à leurs chansons. “Certains morceaux sont hyper énergiques sur l’album, et dans les versions deux pianos ils ont des harmonies jazz toutes posées. Ça donne du contraste et du relief,” comment Julie. “On élargit, encore et encore. On a toujours beaucoup d’ambition,” souligne Sasha d’un ton rieur. “Qui sait, bientôt on fera peut-être un opera Juicy. No limits !”
Pour fêter la sortie de ce premier disque en bonne et due forme, JUICY jouera à l’Ancienne Belgique le 25/03. Et selon les dires des deux artistes, “ça va rocker”. À votre place, je prendrais mes billets tout de suite.