Vous en avez peut-être déjà croisé aux sports d’hiver : les mushers, ce sont ces spécialistes de l’attelage de chiens de traîneau, que l’on voit glisser sur les pentes enneigées. Anthony Marais habite au plat pays. Cela ne l’empêche pas d’avoir une douzaine de chiens nordiques, et de pratiquer avec eux l’attelage. L’année 2023 est marquée par les premières compétitions internationales. Tous les jours, l’équipe jurbisienne s’entraîne. Nous les avons suivis, sur les chemins de campagne. Sensations fortes garanties !
Le rendez-vous est fixé à Masnuy-Saint-Pierre. C’est là que la " meute " a établi ses quartiers. " Lui, c’est Odin, le noir, avec son fils Paco, qui est le meneur de l’attelage. Ça, c’est Polar avec son frère. Des chiens très calmes. Voici Paxou. Pax. LE travailleur du groupe, le pilier de l’attelage ". Anthony Marais connaît tous ses chiens par cœur. Chacun son petit caractère, ses manies. " Paivi, c’est la princesse du groupe. C’est vraiment la duchesse. Elle se pose là se met sur son trône. La boue elle n’aime pas trop ça sauf quand elle court " Une caresse pour chacun. Ceux qui sont nés ici, ceux qu’il a recueillis au gré des adoptions.
"Une belle meute, constituée au fil des années. L’attelage est constitué principalement de chiens de 3 ans. C’est la deuxième saison où 'ils travaillent' réellement. Et c’est leur première saison de participation à des grosses compétitions, comme ils viennent de le faire sur la Grande Odyssée en janvier. En mars, le prochain challenge, ce sera la Lekkarod. Une course de 300 km environ sur 9 jours, qui se déroule principalement dans les Alpes. C’est un rêve pour moi ! Je voulais monter un projet avec des chiens nés ici, élevés, éduqués ici, entraînés moi-même ".
Longtemps, Anthony a refoulé cette passion, et l’envie d’avoir lui aussi des "chiens-loups". "Il y a dix ans, j’étais dans une station de ski en France, et j’ai assisté à une compétition de mushing. Ce jour-là, je me suis dit 'c’est ça'. Mais au début, on n’ose pas. On a un travail, une vie. J’habitais à Bruxelles. Et puis un jour, quelque chose se passe. Un changement dans sa vie personnelle. On décide d’acheter son premier chien. Puis un deuxième…" Et un jour, on en a 14 dans son jardin…
C’est vraiment un travail d’équipe
L’effervescence est de mise, dans les enclos. Ils ont compris, voyant les harnais, qu’un entraînement se prépare. Gilles Olivier donne un coup de main à Anthony. Boulanger dans la " vraie vie ", Gilles est le " deuxième homme " de l’attelage, le binôme indispensable. En compétition, c’est lui qui pilote l’attelage, juché sur le traîneau, pendant qu’Anthony se ronge les sangs en bord de piste. "Pendant la Grande Odyssée, en janvier, les chiens ont vécu pas mal de premières fois. Ils ont croisé un attelage qui venait en sens inverse, par exemple, ce qui était tout nouveau pour eux. Ils ont super bien réagi ! " Gilles a encore les articulations " en compote ", plusieurs jours après la "compèt".
" On forme une véritable équipe, avec les chiens. Quand ils courent, on court avec eux. Quand ça monte, on les aide ". Il faut mobiliser beaucoup d’énergie, physique et mentale, pendant les épreuves. " Il arrive qu’un des chiens craque un peu. Physiquement ou moralement". C’est tout le problème de s’entraîner en Belgique. Au "plat pays ", pas de cols enneigés à franchir, pas de dénivelé " monstrueux "! "On compense avec des entraînementsDans les Alpes, les chiens découvrent d’autres réalités et parfois capitulent un peu. Anthony nous montre une photo, où il réconforte un des chiens un peu fatigué. Le musher est en pleurs, inquiet, stressé. Le lendemain, le chien sera de retour, gonflé à bloc, l’un des piliers de la meute.
Mais revenons à notre entraînement. Les chiens sont lancés à 15 ou 20 kilomètres heure. " Gauche, Pax ! Gauche ! Droite ! Doucement ! " Pendant toute la durée de cette sortie, Anthony va donner de la voix, garder les yeux rivés sur l’attelage, sur d’éventuels dangers : une voiture, une plaque de verglas, un chien errant… Il faut toujours anticiper, réagir au quart de tour.
Les forcer à courir ? Impossible. Ils le font parce qu’ils en ont envie
Antoine, notre cameraman, finira moucheté de boue, transi de froid, heureux d’avoir réussi à filmer sans tomber. "C’est réellement du sport", poursuit Anthony. "Et les chiens en ont besoin. Ils sont faits pour ça, il faut qu’ils courent, qu’ils se dépensent. On ne les force pas, jamais ! ". Une fois l’entraînement commencé, qu’il ait lieu en quad, en vélo, en trottinette, c’est pareil : il faut qu’il dure. Hors de question de tout stopper, dix minutes plus tard et de rentrer au bercail. Pax, Paevi et les autres ont des routines inamovibles. Comme la petite récompense distribuée après le sport, ou les caresses de leur maître.
Un choix de vie
Pratiquer le mushing, c’est accepter de nombreuses contraintes, tous les fanas de la discipline vous le diront. Anthony et Gilles ne dérogent pas à la règle. " Pour être un bon musher, je pense qu’il faut être un peu fou ", reconnaît Anthony en riant. " Il faut être fou pour se lancer dans un milieu comme celui-là. Il faut être fou parce que c’est très exigeant, en énergie, investissement financier. En temps, aussi. D’octobre à mars, pendant la grosse période des compétitions, je passe plus de temps avec mes chiens qu’avec ma propre famille, au grand désespoir de ma compagne… C’est dur, mais c’est comme ça ".
On oublie de vous dire qu’Anthony n’est pas musher à temps complet. Il a " un vrai travail ", technologue en laboratoire à l’hôpital Saint-Luc. Les chiens, c’est avant le boulot. Après le boulot. La nuit. Le week-end. " Dès que je peux ! "
Son abri de jardin, il l’appelle " son bureau ". On y trouve un grand canapé, de la nourriture, tous les équipements nécessaires à l’entraînement et aux compétitions. " Voilà le traîneau dont on se sert en montagne, avec des skis. Et devant, ce qu’on appelle le sac à chiens. C’est là qu’on peut y installer, confortablement, un chien qui aurait un petit coup de mou ".
Certains chiens paraissent beaucoup plus massifs que d’autres. Ça nous intrigue de voir ces gros nounours, plantés à côté d’autres plus athlétiques. " Les plus épais, ce sont des chiens qui ne font pas de compétition. Ces trois-là ont été adoptés. Celle-ci, ma petite rousse, je l’ai récupérée à Perpignan. Elle était sur un balcon. Son ancien propriétaire l’a battue pendant 6 mois… ". Une autre est arrivée de Pologne. Elle pratiquait l’attelage, elle aussi, mais apparemment dans des conditions beaucoup plus dures que les autres chiens d’Anthony. " A voir son état… On peut imaginer ce qu’elle a subi ! "
Des petits couinements attirent notre oreille. De l’autre côté de la porte, dans une buanderie, " la relève " s’amuse avec sa maman. Cinq chiots sont nés tout récemment. "Une vraie surprise. On n’avait pas remarqué qu’une de nos femelles était enceinte. C’était impossible à voir. La veille encore, elle avait couru plusieurs dizaines de kilomètres, tout à fait normalement ! " Les chiots sont à croquer. " Ils sont déjà attribués. Je veux qu’ils aillent chez des personnes qui s’en occuperont bien ". Les futurs propriétaires sont tous des mushers français.
" Je voudrais vraiment passer un message. Ça me tient à cœur ", ajoute Anthony à l’heure des au revoir. " J’aimerais dire à tous ceux qui veulent acheter ou adopter un chien nordique : réfléchissez bien ! Ce ne sont pas des chiens de salon. Ils ont des besoins spécifiques. Si vous n’êtes pas sportif, si vous n’êtes pas prêt à faire du vélo, du running avec vos chiens : n’achetez pas cette race de chien. Les refuges sont saturés, ça devient un vrai problème pour eux".
En bonus, l’envers du décor
C’est un tournage qui nous laissera des souvenirs. On avait envie de vous partager quelques photos prises "sur le vif". Juste pour le plaisir !