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"Jusqu’au bout, les personnes âgées aiment la vie"

Dans 'Vieillir n'est pas un crime', le docteur Véronique Lefebvre des Noëttes montre la douceur de vieillir bien et nous fait entendre la voix et l’amour de la vie de nos aînés oubliés.

© Getty Images

L’espérance de vie s’allonge. Chance ou malédiction ? Autrefois respectées, les personnes très âgées sont oubliées dans des lieux dévolus à la fin de vie loin du regard d’une société vouée à la performance. La valeur de ces vies 'diminuées' est de plus en plus relativisée, et souvent intériorisée, entraînant une perte de confiance en soi, voire des dépressions ou un phénomène de glissement. Le docteur Véronique Lefebvre des Noëttes montre pourtant les solutions et la douceur de vieillir bien et nous fait entendre la voix et l’amour de la vie de nos aînés oubliés.

Véronique Lefebvre des Noëttes, psychiatre du sujet âgé, accompagne au jour le jour les patients atteints d’Alzheimer du plus grand hôpital de gériatrie de France. Elle est docteur en philosophie pratique et éthique médicale, ce qui la conduit à une double réflexion éthique et philosophique, ancrée dans une longue expérience clinique de praticien hospitalier.

Elle publie Vieillir n’est pas un crime ! (Ed. du Rocher).

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Véronique Lefebvre des Noëttes dénonce l’ambivalence de la société, à travers notre façon d’agir vis-à-vis de ces personnes âgées, parfois fragilisées ou dépendantes. La crise sanitaire a démontré à quel point nous n’agissons pas correctement envers elles. Pour les 'protéger', nous les avons mises au ban de la société, nous les avons surprotégées.

"Ce que nous n’aimons pas chez les grands aînés, les grands âgés, c’est la dépendance, parce qu’on ne se projette absolument pas dans 'un vieux gâteux'. Mais on aimerait bien se projeter dans un vieux sage, comme Edgard Morin par exemple. La vieillesse nous signifie notre finitude, la fin de la vie, qu’on espère le plus tard possible, parce qu’on n’a pas encore trouvé mieux que de vieillir, pour vivre."
 

Pandémie : se protéger mais pas surprotéger les aînés

Véronique Lefebvre des Noëttes a commencé à écrire ce livre avant la pandémie, qui a fait des ravages parmi les personnes âgées, partout dans le monde. "Dans les hôpitaux, dans les Ehpad, même au domicile, on ne sait toujours pas les comptabiliser. Je connais même des personnes âgées qui ne se sont toujours pas déconfinées, depuis mars 2020 !"

La première vague du Covid-19 a été relativement déplorable (peurs croisées, pénurie de masques, d’équipement de protection). On a fini par contentionner les personnes âgées dans leur chambre et elles se sont laissées mourir de chagrin, explique-t-elle. On a essayé d’améliorer les choses lors des deux vagues suivantes, d’abord en protégeant le personnel. On est toujours sur la crête du juste équilibre, c’est-à-dire rester en relation, mais en se protégeant.

Se protéger, mais pas isoler, pas surprotéger, pas contentionner, pas priver de liberté ces personnes très dépendantes.

La maltraitance ordinaire

Pour les personnes âgées, l’atteinte à la liberté est d’ailleurs une réalité en dehors de la crise du Covid. On est souvent à la limite de la maltraitance.

Dans son livre, le docteur Véronique Lefebvre des Noëttes montre la nécessité des formations et décrypte bien tout ce qui peut faire basculer dans la maltraitance ordinaire, la maltraitance du quotidien, qui se passe le plus souvent d’ailleurs au domicile.

"Et pas tellement dans les institutions gériatriques qui sont évidemment bienveillantes ; ce n’est jamais une maltraitance qui est volontaire. Elle se passe plutôt par négligence. On n’entend plus ce cri d’alerte, on ne voit plus la personne qui se plaint ou qui est complètement isolée. On ne fait plus attention."
 

Un #MeToo pour personnes âgées ?

Dans certaines institutions gériatriques, les personnes âges subissent de la maltraitance, du manque d’amour, de l’infantilisation. Elles n’osent pas parler par peur de représailles. De l’autre côté, le personnel soignant est à bout et ne se rend parfois même plus compte du ton employé. Que mettre en place pour changer cette situation ?

Véronique Lefebvre des Noëttes plaide pour une Grey Pride : être fier d’avoir les cheveux gris. Un chapitre de son livre s’intitule d’ailleurs Old Lives Matter, "car ces personnes sont importantes, elles nous tiennent à coeur". Elle plaide pour 'un amour agapé', un amour qui donne sans attendre de retour.

Il faut absolument cesser de mettre les personnes âgées dans des maisons de retraite alors qu’elles n’en ont pas envie, s’indigne-t-elle. 90% d’entre elles ne veulent pas aller dans ces lieux, qu’elles estiment être des lieux de relégation, où il y a beaucoup trop de personnes âgées, avec du personnel qui tourne, insuffisamment formé, qui est en grande souffrance lui-même.

"Ce qu’il faut, c’est du personnel qualifié, appétent et compétent. Un ratio de personnel suffisant. Ne pas numériser la prise en charge. Ne pas être tout le temps sur le chronomètre. Il faut privilégier la qualité du soin au tout quantitatif et revoir nos modèles de financement. Privilégier les petites structures, avec du personnel appétent et compétent. Où la famille, les proches vont avoir un lieu de co-thérapeutes, vont être les bienvenus et pas vus comme des personnes qui vont avoir un regard sur des pratiques dont on n’est pas toujours très fier."

 

Vieillir comme le bon vin

Véronique Lefebvre des Noëttes retourne l’injonction au bien vieillir en disant : il faut qu’on vieillisse bien. Comme du bon vin. "Il y a des qualités à vieillir bien, et ce n’est pas très compliqué."

Un cerveau sain dans un corps sain. Ce n’est pas très compliqué, à tout âge, de commencer à marcher. Une demi-heure de marche par jour va faire reculer la maladie d’Alzheimer de 30%, va oxygéner le cerveau, va faire qu’on aura moins d’ostéoporose, de douleurs articulaires. Ce n’est pas très compliqué non plus de bien manger. Si on a un peu de pathologies, d’hypertension artérielle, de diabète, de cholestérol, ce n’est un drame, on se fait suivre.

"Il faut cesser de diaboliser la vieillesse avec handicap et changer son état d’esprit. Aimer sortir, aimer se retrouver, garder du lien social, lutter contre une dépression qui pourrait arriver et contre cet isolement-là. Pour les grands aînés, accepter de compenser les déficits sensoriels liés à l’âge : se mettre des belles lunettes, se faire appareiller assez tôt. Parce que cela participe d’une meilleure intégration à la vie sociale."
 

Accepter la nouvelle donne

On nous fait beaucoup rêver à travers l’industrie du médicament, qui promet mille et un miracles, à travers aussi les promesses utopiques du transhumanisme. C’est dramatique de promettre des choses qu’on ne pourra pas tenir, s’insurge Véronique Lefebvre des Noëttes.

"Vieillir, c’est un processus, ce n’est pas un état. C’est une dynamique. Il y a des moments de la journée où on se sent très vieux, d’autres où on se sent une pêche d’enfer. Il y a la singularité, la personnalisation de la personne, dans un processus de vieillissement qui est dynamique et qui va se dérouler sur plusieurs années.

Faire en sorte de s’écouter, d’accepter la nouvelle donne, à son rythme, ne pas croire aux promesses utopiques qui vont surtout vider votre portemonnaie et à défaut vous donner malheureusement des effets secondaires dus aux médicaments qui ne vous apporteront rien."
 

Garder la curiosité du monde

Chez les personnes qui vivent bien et sereinement leur vieillesse, Véronique Lefebvre des Noëttes note cette curiosité du monde : l’amour de la vie, l’émerveillement devant un nuage qui a une drôle de forme, devant une nouvelle musique, ce sentiment de familiarité, de reconnaissance humaine.

"On fait partie du même toit du monde. On revient à ce concept de maison, qui est très important pour moi. D’accueil et d’accueillir cette parole, qui parfois est défaillante, mais qui montre qu’elles ont envie de vivre. Donc cette volonté de vivre, cet élan vital, cet amour de la vie, cette curiosité. Et ne pas se laisser happer par la mélancolie, par le désespoir, par l’ennui."

Il faut essayer aussi de donner les conditions de possibilité à chacun de s’exprimer, en fonction de ses moyens et de ses troubles cognitifs.

"Mais je ne veux pas du tout qu’on assimile la vieillesse aux troubles cognitifs. Non, les troubles cognitifs, c’est une maladie à part et la plupart des gens, 85% des gens, vieillissent bien sans troubles cognitifs et sans grande dépendance."
 

Ceux qui refusent de vieillir

Ceux qui refusent de se voir vieillir sont entendables. "Je ne vais pas les culpabiliser encore plus. Si une femme se sent très bien totalement botoxée du visage, mais avec un corps qui dit son âge, et qu’elle se sent bien comme ça, eh bien, c’est très bien. Il n’y a pas de moralisme. Il faut accepter chacun à son rythme, recommande Véronique Lefebvre des Noëttes.

Je comprends très bien qu’il y a des gens qui refusent absolument de vieillir pour reculer cette échéance, qui arrivera un jour ou l’autre. Si elles sont bien comme ça, qu’elles continuent à faire ce qu’elles veulent. Mais quand il y a une douleur, une souffrance psychique, dans ce hiatus de l’image qu’elles représentent et ce qu’elles vivent à l’intérieur d’elles-mêmes, là il peut y avoir une demande, qui s’adresse à moi et que je vais traiter."
 

L’habitat intergénérationnel, l’alternative aux maisons de retraite

N’oublions pas que les aînés restent des citoyens jusqu’au bout. Ils ont le droit de voter, d’exister, d’être dans le tissu social, rappelle le docteur Véronique Lefebvre des Noëttes. Ce que souvent, on leur refuse, puisqu’on leur impose des choix de vie, des lieux de vie, une espèce de relégation qu’ils n’ont pas choisie.

Les habitats adaptés aux multi-générations, ou les habitats kangourous, existent peu en Belgique ou en France. "Cela s’explique culturellement, par le regard sociétal, cet espace de clivage que l’on voit depuis les 30 glorieuses : on ne veut pas être vieux. Aujourd’hui, c’est la famille nucléaire, chacun pour soi, le consumérisme, les baby ou les papy boomers."

Pourtant, ces petites structures d’habitat collectif partagé, intergénérationnel, sont l’avenir, estime-t-elle. Avec des jeunes étudiants par exemple, qui pourraient partager les grands appartements parisiens de personnes très âgées, pour un loyer modéré, moyennant les courses ou les repas.

C’est très important, ces petites structures de vie. Pas des petites structures de mort, de relégation et d’isolement.

Changer l’acronyme français Ehpad

En France, c’est le nom des Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) qu’il faudrait déjà changer, pour pouvoir changer les mentalités ! Il ne faut pas les voir comme un hébergement, mais comme un véritable lieu d’accueil et comme une maison.

"Le concept de maison est très important. D’ailleurs, je préfère ce que vous appelez les maisons de repos. Déjà dans le mot 'maison de retraite', on est 'en retrait de'. Je préférerais des maisons d’accueil ou des résidences pour les personnes âgées. 'D’accueil' du grand âge, pas de placement, pas de relégation.

L’acronyme français Ehpad est redoutable.

  • E, c’est un établissement, c’est neutre.
  • H, hébergement, ça ne dit pas la vérité, puisqu’on est hébergé dans un gîte ou à titre temporaire, dans un hôtel ou chez des amis.
  • Et puis le D de dépendance. On ne peut pas ne pas dépendre d’autrui, depuis la naissance jusqu’à la mort. Donc, ce n’est pas une disposition globale. Je peux dépendre pour faire mes courses, mais pas du tout pour réfléchir, choisir mon lieu de vie ou lire."
     

Accepter la volonté de mourir

La volonté de mourir, nous l’acceptons, ça s’appelle le syndrome du glissement, que l’on a vu exploser lors de la Covid, lorsque les personnes étaient privées de toute relation, de tout contact humain. Mon traitement ne s’arrête pas aux médicaments ou aux perfusions, il va y avoir de la présence humaine, du nursing, de l’accompagnement, explique le docteur Véronique Lefebvre des Noëttes.

"Bien entendu, quand il n’y a plus rien à faire, il est hors de question d’avoir un acharnement thérapeutique. Nous accompagnons les personnes âgées qui se laissent mourir vers la fin, quand elles ne réagissent pas bien à nos traitements proposés."

La mort fait peur, on a peur de mal mourir comme on a peur de mal vieillir. On refuse de voir la mort, car on est dans la société du divertissement, on se divertit pour ne pas voir ce qui nous attend.

Mais je vois que jusqu’au bout, les personnes âgées aiment la vie. Elles réclament la mort, et puis elles demandent encore un instant de vie, un sourire, des paroles signifiantes qui vont se dire, avec des mains qui se serrent jusqu’au bout de la vie. C’est notre devoir d’être humain de savoir accompagner jusqu’au bout.

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