Un résumé de droit pénal, une synthèse d’anatomie, une vidéo explicative du cours de stats : cela peut se trouver sur Wirenotes, une plateforme d’échange de notes et de vidéos faite pour et par des étudiants. 50.000 documents s’y retrouvent, ce qui représente 10 millions de pages vues par an. C’est un outil pédagogique pour les fondateurs de cette start-up qui existe depuis 2016, mais aussi un outil commercial pour de nombreux professeurs.
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Interrogée sur La Première, Élise Degrave, professeure à l’UNamur, spécialisée en droit numérique, rappelle qu’échanger des cours ou des résumés avant les examens, cela se fait depuis longtemps, sur papier ou sur Facebook ensuite : "On l’a toujours encouragé et on continue à l’encourager parce que c’est très important qu’il y ait de la solidarité à l’université. Mais le problème de Wirenotes, c’est que ça fait intervenir de l’argent. Donc concrètement, il y a des étudiants qui payent pour accéder à des vidéos qui concernent les cours".
"Il y a des étudiants qui se font payer pour exploiter les cours. Et puis il y a là, derrière des actionnaires de Wirenotes qui se font de l’argent en exploitant le travail des étudiants et des professeurs. Ce qui est surprenant, c’est qu’on ne donne pas notre accord pour cela. On n’est même pas informé de cette exploitation de nos cours. Et pourtant, ce système heurte fondamentalement des valeurs très importantes à l’université, à commencer par : l’entraide doit rester gratuite. Le fait que l’accès au savoir et l’accès aux outils pédagogiques doivent aussi rester libres et gratuits. Le minerval est déjà assez cher comme ça. Et puis finalement on ne vole pas le travail d’autrui et a fortiori on ne fait pas de l’argent avec le travail volé".
"Wirenotes se décharge de sa responsabilité sur les étudiants"
Selon elle, cela comporte un danger pour les étudiants sur le plan juridique, "parce que Wirenotes se décharge de sa responsabilité sur les étudiants. Donc, pour faire bref, nos cours sont protégés par les règles qu’on appelle de propriété intellectuelle, tout comme par exemple, les chansons de Stromae sont protégées par ces règles, mais ce sont des règles qui sont compliquées et donc les étudiants ne se rendent pas très bien compte que lorsqu’ils postent une synthèse sur Internet sans l’accord du professeur, ils sont bien souvent dans l’illégalité. Et pourtant, Wirenotes sait certainement que ces règles sont mal comprises des étudiants, mais ils vont vraiment chercher les étudiants à coups de mails quasi quotidiens, voire même parfois par téléphone et on leur vend du rêve. Une de mes étudiantes m’a montré un mail dans lequel il était indiqué : 'Regarde si tu nous fais 50 vidéos payées 40 euros la vidéo avant le mois de juin, tu auras 2000 euros pour tes vacances, c’est quand même super'".
"Donc il y a vraiment une incitation à la fraude de Wirenotes envers les étudiants. Et pourtant, Wirenotes, de son côté, a tout prévu puisque dans ses conditions générales, il prévoit qu’il n’est en rien responsable de la violation de la propriété intellectuelle sur sa plateforme. Et donc, en cas de conflit judiciaire par exemple, la responsabilité incombe aux étudiants, y compris au niveau des frais du procès. Or, un tel procès pourrait avoir lieu prochainement puisque Wirenotes lui-même a enclenché le maximum judiciaire avec les universités puisqu’ils ont fait parvenir récemment une mise en demeure par notaire. Et donc le match est enclenché".
Les étudiants ont l’illusion qu’ils peuvent réussir leur année en téléchargeant comme ça une synthèse qui est faite par quelqu’un du cours
Wirenotes estime être une aide à la réussite. "Ils se présentent comme tels, mais de ce que je vois, et je forme environ 1000 étudiants par an, et je constate que ce n’est pas un outil d’aide à la réussite, c’est plutôt un outil d’aide à l’échec. Parce qu’avec ce système de synthèse, de question accessible massivement et facilement en quelques clics, les étudiants ont l’illusion qu’ils peuvent réussir leur année en téléchargeant comme ça une synthèse qui est faite par quelqu’un du cours. Et ces synthèses, j’en ai passé en revue plusieurs centaines. Elles sont souvent en mauvaise qualité. C’est difficile de faire une bonne synthèse et elles sont souvent truffées de fautes".
"Par ailleurs, je le vois ici encore à cette session d’examens, il y a des tas de questions qui sont disponibles sur cette plateforme. Tellement de questions que les étudiants ont tendance à aller étudier les questions plutôt que le cours. Et lorsqu’ils arrivent à l’examen, ils voient que dans les questions, il y a des ressemblances avec les questions qui se trouvent sur Wirenotes, ils ne se rendent pas compte que ce n’est pas la même question parce qu’on change nos questions d’année en année et donc ils répondent aux questions des années précédentes. Et ils ratent leurs examens. Je pense même qu’il y a un lien entre l’existence et la multiplication de ce type de plateformes et la diminution du niveau à l’université. C’est inquiétant aussi sur le plan pédagogique".