L'Histoire continue

L'Histoire continue: 1990, le procès du Heavy Metal

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Par Bertand Henne via

L’Histoire continue revient sur une histoire tragique. Le suicide de deux adolescents après une soirée alcoolisée, une soirée passée à écouter du Metal. Ce drame à conduit les parents à poursuivre le groupe Judas Priest. Ils s’en prennent à des prétendus messages subliminaux qui auraient poussé leurs enfants à mettre fin à leur jour.

Ce drame a lieu au milieu des années 80, le procès se tient en 1990. Il va imposer un débat à la société américaine, le rock, en particulier ses formes les plus extrêmes corrompt-il la jeunesse ? Le procès de Judas Priest, c’est le conflit entre une Amérique puritaine contre une Amérique plus libertaire.

Le procès de Judas Priest intervient dans une véritable guerre morale qui se déroule aux Etats Unis. Si le Rap est aussi visé c’est surtout le rock et en particulier ses formes plus extrêmes comme le Métal qui sont dans le collimateur.

Le 23 décembre 1985, le suicide

C’est Nöel dans le désert. Dans le nord du Nevada, le vent pique, le froid glacial fige les paysages du Far West. Planté au milieu de rien, Reno, arbore fièrement ses casinos, ses centres commerciaux. A perte de vue ses quartiers de maisons soigneusement alignées. Ici, la classe moyenne américaine vit les années Reagan dans l’insouciance. Ici James Vance 18 ans et Ray Belknap 20 ans, s’ennuient. Cheveux mi long, moustache juvénile. Les deux amis se retrouvent dans la chambre de Ray. Ils écoutent en boucle un album de leur groupe fétiche Judas Priest.

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Ray roule un joint, James ouvre des bières, les deux amis oublient leurs soucis. Ray tente d’oublier qu’il a été abusé par un de ses beaux-pères. James lui tente d’oublier le rigorisme religieux de sa mère, son père alcoolique et joueur. Leur envie d’ailleurs passe par un vinyle de Judas Priest usé jusqu’à la corde. Stained Class sorti en 1978. Un classique du Heavy Metal, qui tourne encore et encore sur la platine.

James raconte à Ray sa cure de désintoxication, LSD, PCP, Cocaïne, Héroïne, Speed, herbe, barbiturique, il a presque tout essayé. Jusqu’au jour où il a pété un plomb à l’école et que son professeur a exigé de sa mère qu’il se fasse suivre par un psy. Ray raconte ses expériences à lui. Il a des ennuis avec la justice pour avoir tué un animal avec un pistolet à fléchette. Ray aime les armes. Dans la chambre, la conversation prend une tournure de plus en plus sombre. Ray et James parlent maintenant de suicide. D’en finir avec une vie merdique et un bled pourri.

James a déjà deux tentatives à son actif. Et c’est décidé, ce soir il y en aura une troisième. Ray Belknap se lève, va chercher un fusil de chasse et des cartouches. James Vance l’accompagne. Ils sortent du bungalow blanc. Le vent glacé du désert gifle leur visage. Ils passent devant les pelouses bien propres et se rendent dans une petite plaine de jeu, à l’abri des regards. Ray s’assied sur le rebord d’un tourniquet rouillé. Il plante le fusil sous la gorge, il regarde Ray et lui dit “J’ai bien foutu ma vie en l’air”. Il meurt sur le coup. Il y a du sang partout, James ramasse le fusil, il se le colle sous le menton, il se blesse gravement. Défiguré, il mourra trois ans plus tard d’une overdose de médicament. Les familles des victimes s’organisent. Elles sont persuadées que c’est le Heavy Metal de Judas Priest qui a tué leurs enfants.

1990, Le procès de Judas Priest

Cet été 1990, il fait très chaud à Reno. A l’ouverture du procès, quelques fans sont venus soutenir le groupe. Cheveux longs, vestes sans manches, ils scrutent l’arrivée de Rob Halford, le chanteur de Judas Priest. Quand il arrive enfin, crâne Rasé, costume sombre, il salue ses fans, et entre rapidement dans le palais de justice.

Le juge ouvre la séance, il rappelle que tous les propos sont protégés par le premier amendement qui sanctifie la liberté d’expression aux Etats Unis. Mais les parents obtiennent du juge qu’il admette qu’un message subliminal n’est pas couvert par le premier amendement parce qu’il ne constitue pas l’expression d’un discours. Reste à démontrer qu’il y avait bien un message subliminal dans la musique de Judas Priest, que ce message était intentionnel et qu’il était susceptible d’entraîner les suicides.

Le procès commence. Comme c’est souvent le cas, il est entièrement filmé et sera utilisé dans un documentaire “Dream Deceiver” disponible sur YouTube. Premier élément au dossier, la lettre que James Vance, le survivant défiguré par le coup de fusil, à écrit à la mère de Ray Belknap dont le fils est décédé sur le coup. James accuse clairement la musique de Judas Priest d’avoir joué un rôle.

L’avocat de la famille entre en scène

Q : Est-ce bien la lettre que vous avez reçue de James Vance ?

R : Oui

Q : Est-ce que ça a changé votre opinion sur la manière dont votre fils s’est suicidé ?

R : C’est ce que James à écrit. Je suis obligé de le croire.

Q : Pouvez vous me dire ce qu’il est écrit ?

R : Je crois que l’alcool et la musique métal, comme Judas Priest, nous ont conduits ou même fasciné au point de croire que la réponse à la vie était la mort ".

Q : Pourquoi pensez-vous que Ray s’est suicidé ?

R : Parce qu’il a été influencé par la musique qu’il écoutait.

Les messages subliminaux

L’avocat de la famille des victimes doit maintenant démontrer que ce n’est pas la musique en tant que tel, protégée par la constitution qui est l’incitant au suicide mais un message caché. L’avocat le trouve dans la chanson Better By You, Better than me. Rob Alford le chanteur y aurait dissimulé des “Dot it” (fais-le), incitant au suicide. Le morceau est alors disséqué devant le juge. Un expert en communication subliminale dans la publicité vient expliquer qu’il a bien entendu les mots “Dot It” même si c’est à un niveau subliminal et que donc on ne l’entend pas vraiment.

Rob Halford, le chanteur de Judas Priest est alors appelé à la barre, mais cette fois par son avocate. Toujours dans son costume noir, elle lui demande de chanter le refrain de la chanson "Better By you Better than me" à capella devant la cour. L’idée est de prouver que les prétendus “Do It” sont le fait de sa respiration et non d’un montage intentionnel. Le juge est visiblement un peu étonné de devoir écouter un chanteur de métal à cappella dans son tribunal. Quelques regards semblent traduire une certaine perplexité.

Mais la défense n’en a pas terminé. Elle interroge Rob Halford sur la présence de backwards, des pistes jouées à l’envers, ou pourraient aussi se cacher des messages subliminaux.

Q : Vous avez enregistré des versions à l’endroit, que vous avez chantées à l’endroit…

R : C’est correct…

Q : Et vous les renverser intentionnellement pour les mettre sur l’album ?

R : Oui nous l’avons fait intentionnellement…

Pour l’avocat cet aveu change tout. Triomphant il commente l’audience comme le tournant du procès. L’aveu par Rob Halford qu’il a placé des pistes à l’envers sur l’album est une grande avancée. Depuis des années il niait mais maintenant il avoue. C’est un tournant pour cette affaire.

La contre-offensive des avocats de Judas Priest

Les avocats de Judas Priest engagent alors la contre-offensive. Ils font venir des experts qui démontent la thèse de l’influence des messages subliminaux. Mais surtout, il fouille dans la vie privée des jeunes victimes et de leur famille. Le procès qui pouvait parfois tourner au ridicule, devient profondément tragique. Car le tableau dépeint est d’une profonde tristesse : Alcoolisme, violence, désintérêt, chape de plomb religieuse, fascination pour les armes ; les rapports psychologiques tracent le portrait de familles profondément dysfonctionnelles.

L’avocate de Judas Priest interroge longuement la mère de James Vance. Les dernières secondes de l’interrogatoire pèse très lourd.

Q Il vous a dit: “la vie est merdique” non ?

R oui

Q Vous saviez qu’il était malheureux à la maison ?

R Je ne comprends pas ce que vous me demandez en disant qu’il était malheureux. Que voulez-vous dire ?

Q : Ma question est pourtant simple madame Vance. Votre fils était malheureux à la maison avant sa tentative de suicide de ce 23 décembre n’est ce pas ?

R Je ne m’en souviens pas…

Le silence et l’amnésie de la maman de James Vance, la faiblesse des preuves quant à l’influence de prétendus messages subliminaux vont convaincre le juge. Judas Priest est acquitté. Le métal n’a pas tué James Vance et Ray Belknap. Le vide affectif, la violence intrafamiliale, le culte des armes, y ont très certainement participé.

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