L'Histoire continue

L'histoire continue: le pouvoir est au bout du stéthoscope, la jeunesse maoïste du PTB

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Par Bertrand Henne via

"Chaque communiste doit assimiler cette vérité : le pouvoir est au bout du fusil.” La citation est de Mao Tsé Tung. En Belgique les Maoïstes se sont dit que le pouvoir était peut-être au bout du stéthoscope, que la médecine était un moyen de lutte révolutionnaire.

L’émission l’Histoire continue se repongle dans les années 70. Les fondateurs du PTB lancent la première maison médicale de médecine pour le peuple à destination des ouvriers d’Hoboken, près d’Anvers. Quelques étudiants soixante-huitards flamands posent les bases d’un groupuscule marxiste léniniste dogmatique et sectaire qui mettra longtemps à se réformer et devenir une force politique qui compte. Retour sur ces premières années, sur ce PTB des fondateurs, celui ou médecine rimait avec stalinisme.

Genk, le 28 janvier 1985.

Un crachin fouette les façades des maisons ouvrières du Limbourg. Deux gendarmes, long imper de cuir noir s’approchent. Ils sont chargés de protéger un huissier qui vient récupérer une créance impayée. Le genre de mission pourrie, qu’aucun flic n’a envie de faire. Encore moins au petit matin et encore moins en janvier, quand il fait glacial. Les gendarmes sonnent, personne ne répond. La fenêtre du premier étage s’ouvre.

C’est le docteur de Witte, un médecin qui parle. Il explique qu’il ne paiera pas la dette qu’on exige de lui. Ce n’est pourtant pas grand-chose, quelques centaines de francs, c’est sa cotisation à l’ordre des médecins. Elle est obligatoire, la justice a tranché, il doit payer. Mais le docteur de Witte ne veut pas payer, pour des raisons politiques. Les policiers menacent d’enfoncer la porte, mais le médecin et ses amis résistent. Après plusieurs heures de résistances, les mutins se rendent et se retrouvent en prisons pour quelques jours.

Des riverains s’opposent à l’arrestation d’un médecin du PTB à Genk en 1985.
Des riverains s’opposent à l’arrestation d’un médecin du PTB à Genk en 1985. © PTB

Les médecins rebelles sont donc des militants du PTB le parti du travail de Belgique. À l’époque, ce groupuscule stalinien est surtout connu pour le combat qu’il mène contre l’ordre des médecins accusé de défendre une médecine capitaliste. Le visage de médecine pour le peuple c’est un certain Kris Merckx. Médecin lui aussi, il est l’un des fondateurs du PTB. Il est le père de Sophie Merckx, actuelle députée du parti. Médecin, elle aussi, elle a, comme d’autres au PTB, hérité de l’engagement politique de son père. Elle s’est installée à Charleroi.

Pour comprendre pourquoi cette nuit de janvier 1985 a été si agitée pour les médecins du PTB, il faut se replonger dans leurs études, en 1968, à la KU Leuven.

La création de TPO Amada

Dans le chaudron du Walen Buiten, Kris Merckx est attiré par Marx, Lénine et surtout Mao. 2 ans plus tard en 1970, avec ses camarades gauchistes dont Ludo Martens, il fonde TPO-AMADA (Tout pouvoir aux ouvriers Alle Macht Aan De Arbeiders) qui deviendra en 1979, le PTB.

Ce groupuscule d’étudiants flamands maoïstes décide de s’installer dans les quartiers ouvriers pour faire naître la révolution socialiste. Le parti envoie Kris Merckx à Hoboken. Un district d’Anvers sur la rive droite de l’Escaut. Entre chantier naval et usines, Kris Mercxk y fonde la première maison médicale de Médecine pour le peuple. Dans ce bastion rouge, il soigne les ouvriers, parfois gratuitement et sans respecter les tarifs fixés par l’ordre des médecins.

Affiche de TPO-AMADA, 1976, archives du PTB
Affiche de TPO-AMADA, 1976, archives du PTB © Source PTB

En 1976, Kris Merckx se présente aux élections et devient le tout premier élu du PTB avec 15.000 voix. Il attire les voix et les caméras qui s’intéressent à ce phénomène. Ainsi, la caméra de Josy Dubié de la RTBF filme ce petit médecin qui se rend chez ses patients avec dans une main sa valise de consultation et de l’autre le magazine d’AMADA. Médecine pour le peuple doit soigner les gens dit Kris Merckx, mais le plus important c’est de gagner les patients à la seule solution radicale et définitive : le communisme.

Voilà qui vaut à Chris Merckx le surnom de Rood Missionnaar, dans la presse flamande. Le missionnaire rouge. Son cabinet ressemble à tous les autres : table d’auscultation, fiche de prescription, armoire à pharmacie, seule différence des portraits de Marx, Lénine, Staline et Mao trônent fièrement face à l’entrée. Sur le bureau de Chris Merckx des revues d’Amada et des tracts ou l’on distingue des poings levés, des faucilles et des marteaux. Autre différence avec un cabinet normal ? Ici les patients reçoivent des soins gratuits. Ce qui va à l’encontre des règles fixées par l’ordre des médecins. Médecine pour le peuple se considère comme victime d’une justice de classe. Pour eux il y a la médecine capitaliste d’un côté et la médecine communiste de l’autre. Et oui la médecine est politique. Docteur capitaliste, contre docteur communiste

Don Quichotte infantile

L’opposition entre l’ordre des médecins et les médecins de TPO AMADA ne fait que commencer en 1976. La détermination de l’ordre à faire condamner Kris Merckx passe par une expertise psychiatrique. Le tribunal d’Anvers donne raison à l’ordre Kris Merckx est qualifié dans le jugement de Déséquilibré, de Don Quichotte infantile pour sa propension à faire de la propagande idéologique. Par la suite les tribunaux trancheront toujours en faveur de l’ordre, les médecins révolutionnaires refuseront toujours de leur côté de payer. Il faudra attendre 2012 pour que les choses changent. Les relations se sont aujourd’hui apaisées. L’ordre s’est excusé pour ses pratiques et Médecine pour le peuple accepte désormais de payer sa cotisation.

Kris Merck harangue ses supporters devant le tribunal d’Anvers ou il vient d’être condamné pour exercice illégal de la médecin en février 1975.
Kris Merck harangue ses supporters devant le tribunal d’Anvers ou il vient d’être condamné pour exercice illégal de la médecin en février 1975. © Belga

La visibilité de TPO-Amada dans son combat contre l’ordre des médecins ou pour dénoncer la pollution au plomb de l’usine Umicore d’Hoboken offre à Chris Merckx un poste de conseil communal dans un district d’Anvers. Mais le succès s’arrête là. Le parti ne décolle pas. Il faut dire que TPO-AMADA annonce la couleur, révolutionnaire, maoïste, marxiste léniniste. Cette radicalité assumée ne parvient pas à séduire un large public, même dans les milieux ouvriers ou les militants de TPO-AMADA sont souvent rejetés par des délégués syndicaux. La transformation en PTB ne changera rien à la radicalité de la ligne. Il faut attendre 2008 pour que le PTB entame une rénovation importante et trouve le chemin du succès dans les médias et les urnes.

Que reste-t-il du Maoïsme aujourd’hui ?

Le PTB d’aujourd’hui a bien évolué par rapport à AMADA des années 70. Mais jusqu’à quel point ? La réponse à cette question n’est pas simple et divise les analystes politiques depuis plusieurs années. Pascal Delwit, avec son livre PTB : nouvelle gauche, vieilles recettes, jugeait en 2014 que cette transformation était surtout de façade. Mais depuis 6 ans le parti a continué sa transformation. Politiquement, on ne peut plus dire que le PTB est un parti maoïste. Même s’ils suivent très fort Pékin et les affaires de la Chine et jamais ils ne votent contre l’action publique chinoise. Ce n’est plus un parti maoïste donc mais culturellement cela reste présent. L’idée d’aller au peuple, de vivre avec des salaires peu élevés, ce sont des éléments inscrits dans l’histoire du PTB.

David Pestieau, directeur politique du PTB n’assume plus l’étiquette maoïste : Oui cela a changé. Le parti a quitté cette référence lors du congrès de 2008 pour avoir un socialisme qui part des réalités de la Belgique. On a quitté le gauchisme, le sectarisme, le dogmatisme du PTB de l’époque. A côté on garde les points forts : un parti des actes et pas des paroles, avec par exemple médecine pour le peuple. On reste un parti de rupture qui veut une société socialiste. On est pour une révolution, on veut un autre système. Et oui, la révolution est compatible avec la démocratie. La définition d’une révolution c’est qu’elle est portée par le peuple.

La PTB aurait donc abandonné son gauchisme fondateur ? Pascal Delwitt nuance : Le parti à une perspective de rupture. Lors du dernier congrès ils ont réinstauré le terme "révolutionnaire" dans le texte. L’horizon du PTB est donc bien celui d’une rupture. Mais ils ne disent pas bien quelles seront les étapes intermédiaires. Le PTB n’est donc pas dans une perspective réformiste classique où l’on assume de l’intérieur du système des réformes. Il y a une difficulté d’articuler les objectifs annoncés et leur mise en œuvre.

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