Qualifié de vin de nana, de piquette de bord de piscine, ou de vin gastronomique, le rosé intrigue, rien à faire. Mais qu’en connait-on vraiment ? Quel est ce divin ou (vilain) breuvage qui rafraîchit nos gosiers l’été arrivé ? Réponse au micro de "Bientôt à Table !" avec le scénariste de la BD phénomène" La folle histoire du vin", Benoist Simmat.
Selon les derniers rapports de l’Observatoire Mondial du Rosé, la consommation de rosé se porte bien, tout comme sa croissance à l’export. Imaginez, en 2020, le secteur représentait 10,5% des vins tranquilles consommés dans le monde !
Parmi les plus gros consommateurs : les Français suivis des Américains (déjà adeptes de leur rosé local, un white zinfandel sucré). Ensemble, ces deux nations représentent donc plus de la moitié de la consommation mondiale de rosé.
Décrié pendant des années, au profit des grands crus bordelais ou le champagne, le voilà déferler dans la course à l’export. Tous les voyants au vert provoquant l’appétence de grands groupes de luxe (LVMH…) qui n’hésitent plus à investir à coup de millions dans des domaines… Ajoutez y une pincée de marketing, et le tour est joué! Un gros marché qu’on vous disait…
Remontons le temps…
Du vin clair chez les Grecs
L’historiographie populaire se plaît à rappeler l’apport de la vigne par les Phocéens tout juste débarqués sur les côtes provençales. Fuyants leurs terres suites aux invasions perses, ils s’installent dans ce qui deviendra plus tard, Marseille. Amphores et plants de vignes sous le bras, ils y développent la culture de la vigne. Fidèles à leurs traditions, ils élaborent des vins très clairs. "La technique est simple, explique le scénariste, on presse le raisin, on récolte le jus et on met en fermentation en amphore ! Les raisins ont la peau noire mais le jus blanc !"
Une macération courte fait ainsi couler un jus clair… C’est clair ?
"Le vin clair, précise l’expert, est donc une norme répandue dans le bassin méditerranéen ! Et représente l’ancêtre du rosé. Dans tous les territoires du pourtour méditerranéen occupés par les Grecs, on produisait le même type de vin. L’objectif étant qu’il soit apprécié par les communautés grecques exilées, vendu localement et distribué via leur propre réseau maritime."
Afin d’en assurer stabilité lors des transports, il pouvait se voir additionné d’eau de mer, de résine de pin, d’aromates, voire de miel avant d’être déversé dans des amphores. Pas de ressemblance donc avec nos rosés actuels !
Ave César…
L’expansion romaine va entraîner un fort développement du vin clair, la culture romaine intégrant l’essentiel de l’héritage vinicole grec ! À Rome, on le dénomme alors vinum clarum. Les romains maîtriseront parfaitement ces techniques héritées mais ils en perfectionneront les méthodes avec des vinifications et macérations plus longues… Ils vont ainsi créer l’ancêtre du vin rouge le Vinum Rubeum (ou vin rubis !).
"C’est le début de cette distinction entre vinum clarum et le vinum rubeum, vin d’élevage plus subtil destiné aux élites. Le vinum clarum étant considéré comme un vin de soif pour les classes populaires"
Le sang du Christ
Arrivée des barbares, le vin sera sauvé et préservé au sein de l’église et des monastères ! Le sang du christ devant y être bien rouge, et les religieux veillant à observer l’eucharistie, ils privilégieront l’usage du vin foncé ! Le vin rosé perd alors du terrain et se voit relégué en vin de soif tout juste bon pour le petit peuple.
Les vrais rosés au 12e siècle
Il faut attendra le XII pour voir émerger le premier vrai rosé bien qu’il n’en porte pas encore le nom !
"A Londres, on raffole de ces vins plus clairs, plus légers que les productions européennes et foncées de l’époque. On parle de Clairet. Mais la mention "vin rosé" est toujours absente du vocabulaire." Il faudra attendre la fin du 17e siècle pour voir la mention apparaître du côté d’Argenteuil dans le Nord de la banlieue parisienne.
"La région abreuve alors la capitale de jus clair, alimentant même les tables royales, explique Benoist Simmat. Mais c’est seulement en 1682 dans le vignoble d’Argenteuil, que fut produit et désigné le premier vin rosé de France !"
La tradition des vins clairs, rosé ou œil-de-perdrix s’enracineront ensuite dans de nombreuses régions ! Les vins peu teintés du Jura, de Bourgogne et de Bordeaux, de Tavel (Gard) et même de Loire.
Le rosé moderne : les origines provençales
Après la crise du phylloxéra au XIX, la Provence va replanter de la vigne sur des porte-greffes sains ! "Afin d’obtenir de gros volumes, précise le scénariste, les vignerons planteront des cépages donnant le plus de fruits." Souci, ces cépages seront aussi peu colorants ! "Plusieurs options alors pour les vignerons locaux souhaitant produire du rouge ! On colore les cuves en y ajoutant des vins rouges bien foncés venus du sud ou opérer une saignée, pour ainsi concentrer la couleur dans la cuve." L’idée, vous l’aurez compris étant non pas de faire du rosé, mais de concentrer le futur vin rouge. Et on fait quoi du jus clair ? Du rosé piquette ! Ca démarre mal !
Marcel Ott, la révolution du rosé
Longtemps le vin fade sorti des cuves n’aura strictement aucun intérêt, un simple vin de soif pour les ouvriers et travailleurs aux champs. Il faudra attendre la venue en Provence de l’alsacien Marcel Ott pour changer la donne. L’homme tombe amoureux de la région et de ses terres viticoles bon marché. Il va très vite y produire de grands blancs. L’homme comprendra néanmoins très vite le potentiel du rosé. "Il va développer une idée qui va profondément modifier sa réputation, explique Benoist Simmat. Plutôt que de saigner la cuve, à l’instar des productions de blancs, il va directement presser le raisin, obtenant ainsi des rosés plus qualitatifs." Visionnaire le Ott. Son fils va très vite aussi imaginer des flacons rappelant les amphores d’autant. Personne n’en veut… Qu’importe, son vin rosé va s’imposer. Les bouteilles se vendent comme des petits pains sur la Croisette. Les congés payés et les Français en quête de soleil feront le reste ! Démarrage de la grande histoire des vins de Provence. "Il faudra néanmoins attendre 1955 pour qu’ils obtiennent un classement, bien plus tard que Tavel, qui leur ravira la politesse de l’AOC, s’amuse Simmat."
Du rosé de gastronomie ? En 2021, le rosé opère une mue sans précédent. Augmentation des vignobles en cultures biologiques, biodynamie, mais aussi techniques vinicoles permettant à ces vins de se hisser au rang des vins de garde ! " Il est indéniable, que c’est dans le rosé que se jouent les enjeux de l’innovation. Du côté de Bandol par exemple, le Domaine de Terrebrune, sur la commune d’Ollioules, est sans conteste précurseur de ces vins dits "de garde". Des vins de gastronomie, précise Benoist. Avec un potentiel de garde étonnant."
Alors, vin des beaux jours de soleil, vin d’hiver (la nouvelle tendance du moment) ou de gastronomie… Filez chez vos cavistes et vive le rosé !
A lire "L’incroyable histoire du vin. De la préhistoire à nos jours, 10 000 ans d’aventure." Edition augmentée de "L’Histoire secrète du rosé" par Benoist Simmat et Daniel Casanave publié aux Editons Les Arènes BD. COUP DE COEUR de "Bientôt à Table !"