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L'Inde, avec sa diplomatie du multi-alignement, tire-t-elle son épingle du jeu ?

Le débat

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Par Julie Morelle et Ziad Ben Ayed via

L’Inde est un pays puissant, tant d’un point de vue démographique, économique, mais aussi diplomatique. Il fait partie des pays qui se considèrent comme non-alignés, à savoir, qu’ils ne s’inscrivent pas dans une logique de confrontation de bloc est ouest. Une stratégie diplomatique datant de la guerre froide, mais qui se transforme aujourd’hui en un multi-alignement.

Du non-alignement au multi-alignement

Raoul Delcorde est ambassadeur honoraire et professeur des relations internationales à l’UCLouvain. Pour lui, l’Inde était devenu le porte-étendard des anciennes colonies après la Seconde Guerre mondiale : "Jawaharlal Nehru était Premier ministre indien de 1947 à 1964. Il défendait une troisième voix, le non-alignement. L’Inde, tout en étant nationaliste, voulait incarner une vision globale des pays qui se libéraient du joug du colonialisme. Mais l’Inde a dû faire face à plusieurs menaces. La puissance militaire de la Chine, le conflit avec le Pakistan, puis la montée en puissance économique et industrielle des "tigres asiatiques". L’Inde s’est dit qu’il fallait penser en termes de puissance. Le multi-alignement au fond, c’est une espèce d’opportunisme stratégique. Par exemple en étant l’amie de la Russie en achetant des hydrocarbures tout en faisant partie d’une coopération sécuritaire avec les États-Unis".

L’aspect contradictoire, c’est une vision occidentale

Yannick Quéau est directeur du GRIP, le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité. Pour lui, il faut voir la politique internationale indienne sous l’angle régional : "la question ukrainienne par exemple, ce n’est pas leur problème. La question pour eux, c’est : comment on se positionne pour en tirer le meilleur parti ? Et là, ils s’en sortent plutôt bien en achetant le gaz naturel russe à un tarif avantageux, et en maintenant la Russie comme un de ses principaux pourvoyeurs d’armement. Cela lui permet dans le même temps de contenir l’influence chinoise et de trouver des partenaires comme le Japon, les États-Unis ou l’Australie. C’est finalement assez réaliste et pragmatique de travailler comme cela au cas par cas".

L’Inde ménage les susceptibilités

Malgré les points communs avec d’autres puissances, Raoul Delcorde nuance en précisant que la patrie de Gandhi ne se range pas irrévocablement dans le camp des uns ou des autres : "l’Inde ne veut pas être embrigadée dans la guerre sino-américaine. La Chine est son rival systémique, mais c’est aussi son premier partenaire commercial. Pour l’Inde, il s’agit de maintenir plusieurs fers au feu, et elle le fait très bien".

C’est la plus grande qualité de l’Inde : arriver à irriter tout le monde tout en commerçant avec tout le monde

Yannick Quéau, directeur du GRIP

Une Inde ambitieuse

L’Inde est un monstre démographique : 1,4 milliard d’habitants en 2021. Elle serait d’ailleurs, selon les chiffres de l’ONU, sur le point de dépasser la population chinoise, pour devenir le pays le plus peuplé au monde. Raoul Delcorde le rappelle, la population y est très jeune : "Plus de 70% des Indiens ont moins de trente ans. L’Inde est le premier 'producteur' au monde d’ingénieurs. 1 million et demi d’ingénieurs sortent des universités indiennes par an. C’est une force de frappe. D’autant plus qu’ils parlent tous l’anglais, à la différence des Chinois. Sans parler de la diaspora. Le patron d’IBM aujourd’hui, c’est un Indien (ndlr : Arvind Krishna). Le Premier ministre britannique (ndlr : Rishi Sunak) a des origines indiennes. La diaspora compte 28 millions d’Indiens à travers le monde, et rapporte au pays plus de 90 milliards de dollars par an".

Développer les relations, une question de survie pour l’Inde

En fait, si l’Inde multiplie les relations avec tout le monde, c’est parce qu’elle n’a pas le choix. Selon Yannick Quéau, l’expansion est le salut du pays : "La densité de population y est très importante, surtout dans les villes. La classe moyenne, au sens où on l’entend en Inde, c’est seulement 10% de la population. Pour assurer la stabilité interne, il faut impérativement assurer un développement rapide et suffisamment large pour ne pas subir la loi d’une autre superpuissance".

Un pays qui doit donc à la fois préserver sa traditionnelle indépendance, tout en tissant des liens pour maintenir une démographie de plus en plus énergivore.

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