Rencontre avec la réalisatrice Amadine Gay, dont le documentaire "Ouvrir la voix" sort en salles cette semaine.
"Ouvrir La Voix" est un documentaire sur les femmes noires issues de l'histoire coloniale européenne en Afrique et aux Antilles. Le film est centré sur l'expérience de la différence en tant que femme noire et des clichés spécifiques liés à ces deux dimensions indissociables de notre identité "femme" et "noire". Il y est notamment question des intersections de discriminations, d'art, de la pluralité de nos parcours de vies et de la nécessité de se réapproprier la narration.
L'interview intégrale
Merci d’être avec nous en Belgique pour parler de "Ouvrir la voix", votre film documentaire sur le racisme au féminin. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser à ce thème ?
Amandine Gay : Effectivement, le sujet des femmes noires m’intéressait, parce que je suis moi-même une femme noire et que j’ai travaillé comme comédienne. Ce qui était problématique pour moi, c’était la façon dont les femmes noires sont représentées aujourd’hui dans l’audiovisuel et dans le cinéma en France, qui a assez peu évolué ces dernières années. J’avais d’abord tenté de changer la narration en passant à l’écriture. Même en développant des projets de programmes courts et en travaillant avec des boîtes de production, je me rendais compte de la difficulté que j’avais à mener un projet jusqu’au bout quand un des personnages noirs n’était pas un personnage stéréotypé et en particulier, une série dans laquelle j’avais écrit un personnage de femme noire, lesbienne et sommelière. C’était en 2013 mais ça ne passait pas du tout à ce moment-là en France. On me disait : " c’est trop américain ", " ces filles-là n’existent pas en France ". C’était vraiment catégorique de la part des producteurs. Pour eux, je m’étais complètement inspirée du monde anglo-saxon, alors que moi je m’identifiais comme transsexuelle et que j’ai managé un bar à vin. C’était moi ce personnage. Du coup, je me suis rendu compte qu’il y avait un vrai problème de distorsion de réalité. A force de mal nous représenter ou de ne pas nous représenter dans notre pluralité, c’était devenu la réalité pour un certain nombre de personnes de l’industrie. Pour ces personnes-là, il n’existait quasiment rien en dehors de la migration tragique ou de la banlieue délinquante.
Là, je me suis dit un documentaire, je peux le faire toute seule et on va commencer par la non-fiction. Déjà parce que c’était la seule chose que j’avais les moyens de faire en autoproduction et parce que je me doutais bien que je n’aurais pas de financement institutionnel pour faire un film sur les femmes noires en France, de surcroît un film politique. Si on me répète à longueur de temps que des femmes telles que je les écris en fiction n’existent pas, je vais commencer par montrer un panel de femmes noires, diverses, qui effectivement ont des orientations sexuelles, des religions, des origines différentes, et cette partie de la conversation pourra prendre fin et on pourra commencer le vrai travail sur : " est-ce que je peux faire mon film sur trois sœurs noires qui se retrouvent après la mort de leur mère " sans qu’on me réponde, c’est un film de noirs. Est-ce qu’on va voir que c’est un film sur le deuil, sur la sororité, que c’est un film ! Tout simplement.