J’étais curieux de faire les essais. J’étais curieux de mesurer 1m36.
Jean, vous avez accepté très rapidement je crois.
J.D. Très rapidement, oui. Ça m’arrive rarement effectivement. J’ai lu, j’ai appelé, parce que je voulais en être, je ne voulais vraiment pas que ce projet me passe sous le nez. D’habitude je prends un peu le temps de parler avec le metteur en scène pour savoir si on est d’accord, si on a la même envie, enfin en tout cas si j’ai bien lu, si j’ai bien compris ce qu’il voulait. Là, j’ai dit j’en suis et je veux savoir comment tu fais. J’étais curieux de faire les essais. J’étais curieux de mesurer 1m36. Il doit y avoir quelque chose là-dedans, je n’en sais rien, on peut l’expliquer en tout cas, cette espèce de régression, cette envie de régresser.
Ou peut-être d’avoir un regard d’enfant.
V.E. D’enfant…
J.D. Un regard d’enfant, peut-être.
V.E. On peut chercher de ce côté-là oui.
J.D. On peut peut-être chercher, on ne va pas chercher trop longtemps mais ça fait partie de la panoplie ou de la salle de jeu que j’aime avoir. Il y a des déguisements, je les prends.
Mais est-ce qu’on peut dire que vous rentrez dans la peau d’une personne qui a un handicap ?
J.D. Non c’est difficile. On peut attraper des choses. Il y avait, comment dire, Brice, ma doublure qui était là aussi pour ça, pour me donner un peu… pour avoir une sorte d’écho à sa vie. Je pouvais capter les choses, j’essayais de rester le plus fidèle possible sans être trop, comment dire ? Intrusif ? Mais en même temps, il me donnait ce qu’il voulait bien me donner, mais je reste quand même un acteur, un acteur à genoux.
Et qu’est-ce que vous pensez si on avait pris réellement un acteur qui faisait 1m36 ?
V.E. Je pense que ce serait un autre film, d’ailleurs assez intéressant mais clairement un autre film. Là, le dispositif et la particularité de ce film-ci, c’est-à-dire prendre Jean Dujardin qui en plus n’est pas un acteur spécialement entravé par son physique et de le réduire, ça participe aussi à mettre une légère distance avec le propos, pour pouvoir rire de manière différente aussi. Il y a une vraie originalité cinématographique. Enfin il y a une forme de convention et de fabrication évidente qui, pour moi, n’empêche pas, et ça je pense qu’on s’était tous mis d’accord là-dessus, une vérité qui serait celle de l’ordre du sentiment.
Est-ce que vous avez eu peur à un moment donné qu’au début du film les gens calent un peu sur le fait que ce soit Jean et qu’ils se disent " Comment c’est fait ? Est-il à genoux ? Il est plus grand ? Il est plus petit ? " C’était un défi aussi pour vous de nous embarquer avec vous ?
V.E. Oui, ça alors ce n’est pas juste sur soi en tant qu’acteur que l’on peut poser cette responsabilité, c’est sur l’ensemble du film. Nous pouvions juste nous engager dans chaque chose qu’on jouait. Jean, je pense, ne jouait jamais la petite taille.
J.D. Ça m’a un peu traversé. On a commencé par les scènes de bureau avec Virginie, j’ai commencé à genoux pendant une demi-heure, et je me suis dit : " Je ne suis pas un peu ridicule là ? Je vais tenir ça vraiment ? " Et en fait, ça fait partie du métier, c’est de faire tapis, et de se dire ne gamberge pas. Vas-y.
V.E. Et puis oui, je pense que puisqu’il faut susciter la croyance du spectateur, les premiers à devoir y croire, c’est nous. Donc on ne se pose pas la question. Enfin en tout cas peut-être pendant trente secondes, mais après on y va complètement, en croyant à chaque chose.
J’ai envie de rebondir sur ce que vous disiez parce que c’est un rôle féminin mais effectivement bien écrit, complexe, avec beaucoup de nuances. Lui est charmant, il a bien réussi sa vie, c’est un bel homme mais on sent que ce qui fait peur au personnage de Diane c’est le regard des autres. Est-ce que vous pouvez un peu développer cet élément ?
V.E. C’est comme si elle avait besoin dans ce choix-là, d’avoir un peu l’aval de tous. C’est comme si aussi, elle se préoccupait un peu trop. Finalement, lui a digéré cette chose-là, ou en tout cas il a cette élégance suprême de ne pas en faire l’étalage tout le temps. Bien sûr que ce n’est pas facile, ça n’a pas dû être facile avant. On sait à quel point les enfants, les ados peuvent être conformistes, les différences… Mais il en a fait quelque chose, c’est son identité. Et elle, systématiquement, elle a un peu presque trop d’égards pour lui, du style " Mon Dieu qu’est-ce qu’on va penser… ça va, il s’en charge ". Après il y a autre chose, c’est aussi cette idée de se dire que ma vie sera réussie quand j’aurai ceci, quand je rencontrerai un homme qui sera comme cela. C’est quand même le meilleur moyen de ne pas être très surpris dans l’existence. Puis c’est quand même quelqu’un, alors qu’elle n’est plus toute jeune, enfin je veux dire elle a mon âge, qui demande à sa mère, à son ex, d’avaliser les choix qu’elle fait et le personnage d’Alexandre l’affranchit de ces choses-là. À un moment donné, c’est toi, fais le premier geste spontané et les gens s’habitueront à chaque chose.