Questions-Réponses

La Belgique championne de la grève : une cogestion des entreprises avec les syndicats utile pour prévenir les tensions ?

© Getty

Par Maud Wilquin

Avec 97 jours de protestation pour 1000 salariés par an entre 2011 et 2020, le prix du champion de la grève européen est décerné à la Belgique. Et selon les résultats de l’étude de l’Institut de recherche allemand WSI, l’Allemagne est loin derrière avec 18 jours de grève en moyenne par an.

Mais qu’est-ce qui explique une telle différence ? L’une des pistes sur lesquelles nous nous sommes penchés, c’est le modèle social utilisé pour gérer une entreprise. En Allemagne, on parle du modèle "rhénan" dans les grandes entreprises. Ce système permet entre autres une cogestion d’entreprises entre la direction et les syndicats et ainsi de limiter les conflits.

En Belgique, les syndicats ont jusqu’ici rejeté le modèle de cogestion au profit du modèle de participation contestataire. Concrètement, cela signifie qu’ils sont informés et consultés au sein du Conseil d’entreprise sur les décisions qui sont in fine prises par l’employeur seul. Et si les travailleurs ne sont pas d’accord avec ce qui est décidé, ils ont le droit de faire des actions de grève pour tenter, de l’extérieur, de peser sur les choix de l’employeur.

Alors copier le modèle allemand et appliquer un principe de cogestion des entreprises permettrait-il désormais de réduire considérablement les tensions entre les travailleurs et les directions ? Pour Jean-Marc Urbain, secrétaire général à la CSC, la solution n’est toujours pas là. "Il n’y a pas un modèle meilleur que l’autre, ce sont deux appréciations culturelles différentes", affirme-t-il. "Le modèle rhénan n’empêche ni les fermetures, ni les licenciements et les restructurations dans les entreprises allemandes, ni les grèves. Les employés participent aux décisions mais ne peuvent pas décider seuls pour autant. La maximalisation des profits existe toujours."

Olivier Valentin, secrétaire national à la CGSLB partage le même avis. Impliquer les travailleurs dans les discussions, oui, dans les prises de décision… Peut-être pas. "Il faudrait un cadre très précis", affirme-t-il. "Nous y avions pensé dans les années 60 mais à l’époque, le commerce n’était pas aussi international. Aujourd’hui, nous pensons que la cogestion pourrait peut-être aider, mais ce n’est clairement pas la seule réponse."

Selon lui, le système belge est globalement bon mais pourrait être amélioré. "Il serait vraiment intéressant que les patrons nous partagent davantage d’informations stratégiques, des prospectives par rapport au futur de leur entreprise pour que nous puissions mieux anticiper. Nous souhaitons une meilleure concertation."

Une prise de décision progressive

Elise Dermine, professeure de droit social à l’ULB, a un avis plus tranché. Pour elle, le système tel qu’il existe actuellement n’est plus suffisant. "Les citoyens peuvent participer aux décisions qui les concernent dans la vie quotidienne grâce au droit de vote, mais pas au travail, alors qu’ils y passent la majorité de leur temps. Les entreprises gagneraient à laisser les travailleurs prendre part aux décisions de façon progressive puisque sans eux, elles ne tourneraient pas."

 

En effet, copier le système allemand à 100% actuellement risquerait d’être contre-productif. "Si on met en place un système de cogestion à l’allemande, il faudra être attentif à ce que les travailleurs aient véritablement la possibilité de peser dans les décisions. En Allemagne, le nombre de représentants des travailleurs est au mieux égal à celui des actionnaires… Mais un président représente les actionnaires. Les travailleurs sont donc en minorité et sont obligés d’accepter les décisions imposées. Dans l’idéal, il faudrait un accord du collège des travailleurs et du collège des actionnaires avant d’appliquer une décision."

Mais là encore, une inquiétude subsiste : "Les syndicats ont logiquement peur que délégués des travailleurs ne soient pas suffisamment formés pour prendre des décisions réfléchies sur la totalité des décisions prises au sein des conseils d’administration. Sans connaissances suffisantes, ils pourraient aussi se faire avoir. Je pense donc que le mieux serait de démocratiser les entreprises progressivement en donnant, dans un premier temps, un pouvoir de décision aux travailleurs sur la question de la santé au travail."

Cette proposition pourrait-elle voir le jour ? "La proposition de démocratisation progressive des entreprises me semble plus réaliste. Elle est plus susceptible d’être défendue par les syndicats, qui s’opposent à la voie plus radicale de la cogestion, et me paraît par ailleurs plus acceptable pour les employeurs." L’idée est lancée.

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