Un jour dans l'histoire

La Belgique de Simenon : "Mes personnages, je les ai rencontrés à Liège"

Le 10 décembre 1922, Georges Simenon a vingt ans à peine et le voilà qui quitte définitivement Liège. Mais la cité ardente a façonné, pour toujours, le regard acéré du romancier. Comment la ville et le pays se sont-ils inscrits dans son œuvre ? La Belgique de Simenon, c’est le voyage du jour auquel nous convie Michel Carly, écrivain et biographe de Simenon.

Michel Carly est l’auteur, avec Christian Libens, de La Belgique de Simenon, 101 scènes d’enquêtes, un livre superbement illustré paru aux éditions Weyrich. Ils resituent dans la réalité quelque 101 “scènes de crime”, mais aussi et surtout des scènes de vie, tirées des romans les plus célèbres de Simenon. Ils démontrent que l’auteur a puisé son inspiration dans son expérience personnelle. Il l’a dit lui-même en son temps : " Mes personnages, je les ai rencontrés à Liège. "

© Editions Weyrich

 

L’humain est au centre de l’oeuvre de Simenon, les fêlures humaines, la difficulté d’être homme. Quand Simenon se met à un roman, il commence par se souvenir d’un lieu – un lieu où il a vécu – et, dit-il, il entre dans ce lieu. Et il se souvient des couleurs, des odeurs, d’abord. Ensuite, après avoir mis ce lieu, exactement comme un vêtement, il se demande : quel être humain ai-je rencontré dans ce lieu ?

On passe ainsi du lieu à l’être humain, explique encore Michel Carly, et tout cela est lié, dans un processus extrêmement complexe et passionnant, que les auteurs décryptent dans leur livre : les lieux, les êtres humains, à commencer par Simenon, mais aussi le contexte politique, social, sociétal, économique.

Simenon en 1959
Simenon en 1959 © Sonuma/Picasa

Désordre et justice

Durant son enfance à Liège, Simenon respire l’atmosphère de ce qui l’entoure, de son quartier auquel il est très attaché, raconte Michel Carly.

"Le premier sens qui est en éveil à la fois chez le petit garçon et chez le romancier, c’est l’olfactif. Un sens qui va l’amener inévitablement aux femmes."

Derrière l’église Saint-Barthélémy, il y a la prison Saint-Léonard, appelée 'Les 100.000 briques'. Le petit garçon sera marqué par la prison, par l’incarcération.

Il y a la problématique qui va ressortir dès le début des Maigret : la tête d’un homme, la justice, la peine de mort, la peur viscérale de Maigret de confier à la justice quelqu’un qui a avoué devant lui. Parce que Maigret n’y croyait absolument pas, et Simenon non plus.

Simenon, très jeune, a été confronté au désordre de la société. C’est un mot-clé dans sa vie. "Tous ses romans sans Maigret, ce sont les romans du désordre. Dès le moment où Maigret est là, il rend les choses acceptables. Il est confronté au désordre, à la folie, aux déviances."

Le contexte

Michel Carly rappelle l’importance de mettre en exergue le contexte de l’époque.

Car "on oublie que toute l’enfance du petit Simenon est secouée par des explosions de terroristes, d’anarchistes. Liège éclate, pratiquement tous les jours, avec des bombes. On oublie que sa pré-jeunesse passe par la convulsion de 14-18, avec les restrictions, et avec les lâchetés des adultes. Et évidemment, on oublie que, dans la dernière convulsion, Simenon a sa jeunesse juste après la guerre, exactement comme les futurs communistes, les futurs anarchistes, les futurs surréalistes."

La vie nocturne à Liège

Les femmes hantent tout l’univers de Simenon. Son initiation commence à Liège. Le livre est truffé de photos des lieux et des filles qu’il fréquentait, comme le cabaret du Gai-Moulin, qui lui inspirera 'La danseuse du Gai Moulin'. 

Ça va imprégner, exactement comme de l’ADN visuel, les descriptions de tous les lieux nocturnes que Simenon fera, même à Paris.

A cette époque, il y a une recrudescence des maladies vénériennes et de la prostitution, libre car non contrôlable et non contrôlée. C’est la conséquence de la guerre : il y a des veuves de guerre, des femmes qui sont seules et doivent se débrouiller, ou certaines qui sont attirées par l’interdit, explique Michel Carly.

Il y a surtout, dans ma démarche, un extrême respect à l’égard du respect de Simenon à l’égard de ces filles. Ce n’est pas une surconsommation, c’est une recherche invétérée d’une certaine tendresse.

Joséphine Baker avec l'écrivain Georges Simenon (avec qui elle aura une liaison) et sa femme Tigy, avec son fiancé et agent Guiseppe Abatino dit Pepito, vers 1928, dans son restaurant Chez Joséphine à Paris -
Joséphine Baker avec l'écrivain Georges Simenon (avec qui elle aura une liaison) et sa femme Tigy, avec son fiancé et agent Guiseppe Abatino dit Pepito, vers 1928, dans son restaurant Chez Joséphine à Paris - © Apic/Getty Images

Le vrai Maigret !

Petits boulots, chroniqueur de faits divers à la Gazette de Liège, billets d’humeur… Simenon se fait tout seul à la force du poignet, de l’écriture, du clavier.

'Le Pendu de Saint-Phollien' est l’un des tout premiers Maigret. Simenon s’est inspiré d’un fait divers tragique, connu dans sa jeunesse. Il a toujours été attiré par les lieux interlopes, par les affaires de crime et de justice. Il découvre, en fréquentant les coulisses de sa ville, que le fait divers est le plus révélateur d’une société.

Très tôt, il est en contact avec des policiers de Liège, qui sont parfois de grosses pointures, et notamment avec Jules Castadot, qui a exactement le même suivi des états de service que Simenon donnera plus tard à son commissaire. Dans les années 30, Simenon le fréquente toujours, prenant des notes sur un petit calepin, sans doute pour de futurs romans, comme 'Les trois crimes de mes amis', suppose Michel Carly.

Jules Castadot, "c’est le vrai Maigret, celui qui donne le départ, vraiment, avec des points communs. On l’appelait Monsieur Le Flair. C’est l’une des multiples révélations du livre."

Simenon, un homme de nulle part ?

Simenon est-il belge, liégeois, parisien ? Les auteurs du livre dévoilent une lettre que Simenon envoie à un ami canadien, Pierre Caron.

Il écrit, parlant de l’écrivain qu’il est devenu : "On commence toujours par s’inspirer de ce que nous avons connu dans notre enfance et notre adolescence. Mais il faut quitter cela pour parler de 'l’homme de partout'. Il ne s’agit pas de vous couper de vos racines, ce qui serait absolument désastreux, sinon impossible. Notre enfance nous poursuit toute notre vie, mais je crois que le rôle du romancier est de passer insensiblement du pittoresque local au général."

Simenon le comprendra encore mieux en 1922, quand, à vingt ans à peine, il prendra le train définitivement en gare des Guillemins de Liège pour partir vers Paris. Avec Liège, c’est "je t’aime, moi non plus". Il a envie de vivre quinze vies à la fois et l’étroitesse de Liège rend cela impossible.

Il reviendra à Bruxelles en 1933 et découvrira la vie nocturne des palaces, le gotha cosmopolite. Ce sera comme un étage dans l’ascenseur littéraire de Simenon, souligne Michel Carly.

Le Palace, qui est maintenant le Crowne Plaza, place Rogier, est vraiment le lieu pour moi le plus simenonien de Belgique.

Michel Carly raconte bien d’autres anecdotes dans la séquence ci-dessus !

►Et pour aller plus loin : Le festival 'Le Printemps Simenon' se déroulera à Liège du 8 au 11 mars 2023

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