Le Royaume-Uni traverse une période de grande instabilité politique. La Première ministre Liz Truss a tenu 44 jours. De quoi relativiser, un peu, les difficultés que nous connaissons en Belgique.
Un regard biaisé
L’écrivain britannique Georges Bernard Shaw disait : “Notre pays est la seule nation au monde où il y a autant de problèmes qu’ailleurs”. Une manière de signifier que nous regardons toujours nos problèmes politiques avec un biais autocentré. Nous pensons que les problèmes que nous rencontrons sont nos problèmes et qu’ailleurs ça va mieux.
Par exemple, on parle de "surréalisme" à la belge pour évoquer la fragmentation des compétences dans un Etat fédéral. Par exemple quand des allocations familiales diffèrent entre les régions ou des vacances scolaires qui ne se recoupent pas. Mais sans se rendre compte qu’il y a de nombreux pays ou les aides sociales peuvent varier d’une région à l’autre (aux Etats-Unis par exemple), de nombreux pays aussi où les vacances scolaires sont découpées en zones.
Autre exemple, la formation des gouvernements chaotique et longue, ce serait là notre spécialité, en oubliant qu’aux Pays-Bas, en Italie, en Espagne, en Autriche, en Israël on a aussi connu par le passé des formations compliquées et longues.
Mythe majoritaire
Souvent, on regarde avec une certaine envie les pays plus centralisés et les pays avec des systèmes majoritaires comme la France, les Etats-Unis et le Royaume-Uni. L’idée de ne pas devoir sans cesse réaliser des consensus permettrait plus d’efficacité et de stabilité.
L’idée est séduisante mais malheureusement, elle a de plus en plus de plomb dans l’aile. Dans les systèmes majoritaires, les consensus se jouent ailleurs. À la fois en interne des partis de manière peu transparente (le cas de Liz Truss), mais aussi par la pression externe de groupes variés ce qui suscite des tensions sociales parfois fortes (Gillets Jaunes en France, Prise du Capitole aux Etats-Unis).
Populisme et radicalité
Les démocraties avancées semblent traversées partout par des turbulences liées à des causes très variées. Certaines leur sont propres (la fracture raciale aux Etats-Unis), certaines semblent communes : la progression du populisme et de la radicalité.
Ce qu’on observe au Royaume-Uni est le fruit du populisme fiscal du parti conservateur qui à conduit à une panique sur les marchés et un risque de crash. C’est le fruit de 20 ans de radicalisation du parti conservateur. Depuis David Cameron, les partisans de la ligne dure s’imposent que ce soit sur le Brexit, la fiscalité ou l’immigration avec un beau succès dans les urnes. Cette évolution s’est accompagnée d’une dégradation manifeste de la culture politique du débat public. Boris Johnson en était le parfait exemple : mensonge, contradiction, mépris des règles communes.
Le très respecté hebdomadaire libéral The Economist ose un nouveau terme, Britaly, pour décrire cette Grande-Bretagne qui se retrouve instable, sous la coupe des marchés et rongée par le populisme. Boris Johnson se retrouve affublé du sobriquet de Borisconi, mélange de Boris et de Berlusconi qui avait ouvert la voie du populisme de droite en Europe au milieu des années 90. Intéressant cette comparaison alors que Grande-Bretagne et Italie ont des systèmes électoraux diamétralement opposés.
Bouchisconi
Pour revenir chez nous. Notre gouvernement est stable, en place, mais traversé de tensions telle que nous vivons la politique comme étant instable. L’instabilité entre partis est liée à la fragmentation très forte du parlement, il n’y a plus de grands partis. Ces tensions se retrouvent bien sûr au sein de la coalition au pouvoir au fédéral.
Et si on pousse la comparaison comme l’a fait The Economist nous avons nous aussi notre Borisconi, notre trublion qui en bousculant les codes, foule aux pieds les règles communes de la politique : Bouchisconi. Le président du MR, à force de jouer le coup d’éclat permanent, humilie le Premier ministre, rend très difficile les consensus et donne l’impression que le gouvernement est déjà tombé. Bien sûr, il n’est pas le seul à rendre la vie de la coalition compliquée, mais il est le seul à le faire de manière aussi systématique et déterminée
Une question de culture
Non, un système majoritaire ne protège pas de l’instabilité automatiquement. Inversement, oui, les systèmes proportionnels peuvent très bien y arriver. L’Allemagne par exemple (mais pour combien de temps ?).
Nous lions trop souvent la stabilité politique au système électoral. Il joue un rôle bien sûr, mais nous sous-estimons souvent l’importance de la culture démocratique commune. C’est-à-dire notre volonté de faire de la politique au sein d’un espace public régulé, accepté par une majorité des citoyens, où les conflits peuvent s’exprimer.
Dans cet espace public régulé, on peut identifier des valeurs comme le respect du résultat des élections, la non-violence, la volonté de transparence, la non-contradiction, le respect des faits, le respect du pluralisme des convictions, le respect de l’adversaire ou l’idée que le décideur n’est pas au-dessus des lois.
Cette culture et ce cadre sont de plus en plus fragilisés dans de nombreuses démocraties. La Belgique ou le Royaume uni n’y échappe pas. Voilà notre problème principal et voilà pourquoi notre pays est la seule nation au monde où il y a autant de problèmes qu’ailleurs.