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La bougeotte, nouveau mal du siècle ?

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Par RTBF La Première via

Être en mouvement. Tout le temps. La bougeotte serait-elle le nouveau mal du siècle ? Autrefois réservée à une élite, cette hypermobilité s’est progressivement répandue, en conquérant l’ensemble des territoires et classes sociales. Cette envie parfois pathologique de bouger n’est pas sans conséquences : accidents, pollution, étalement urbain, changements climatiques et risque épidémique. Un traitement de choc s’impose pour guérir d’urgence de cette dépendance !

Laurent Castaignède est l’auteur de “La bougeotte, nouveau mal du siècle ?” paru aux Editions Ecosociété.

 

Avec ce livre, Laurent Castaignède nous invite à la réflexion : c’est quoi le voyage ? Historiquement, le voyage était beaucoup plus le trajet que la destination. A présent, les voyagistes ne nous parlent que de destinations et y aller est presque devenu de la téléportation, avec l’avion.

En deux générations, on est passé du voyage vécu dans des livres, des romans d’aventures, ou à travers une collection de timbres-poste, au voyage qu’on fait pour pouvoir dire qu’on l’a fait, selfies à l’appui. On a perdu parfois jusqu’à la documentation du voyage.

La bougeotte, de tout temps

Nous sommes des personnes naturellement mobiles, comme le montre l’histoire de l’humanité. Mais il s’agissait surtout d’allers simples et pas d’allers et retours quotidiens, rappelle Laurent Castaignède.

La bougeotte est un terme assez ancien, mais pas avec le sens qu’il a aujourd’hui. Au 19e siècle, la bougeotte signifiait le nid du pigeon et évoquait donc la symbolique du foyer. En 1906, un académicien a redéfini la bougeotte comme une maladie moderne, liée au transport motorisé. A l’époque, on se rendait compte qu’on entrait dans l’âge de la bougeotte, avec les conséquences sociales positives et négatives qu’on découvrait peu à peu. A Paris comme à Bruxelles, la révolution de l’urbanisme modifiait la façon dont circulaient les gens, tant au quotidien que pendant leurs loisirs.

Aujourd’hui, on voit que cet excès a causé de nombreux dégâts. Au point que l’OMS met en garde contre l’hypermobilité, qui favorise le développement de la pandémie et qui a de graves conséquences environnementales. Mais en 1851 déjà, les conférences sanitaires internationales alertaient contre les transports modernes – chemin de fer et navigation à vapeur -, qui favorisaient la diffusion des épidémies, choléra, peste ou autres épidémies asiatiques qui remontaient par le Canal de Suez.

Bouger, notre liberté ?

Pouvoir se déplacer facilement nous donne un sentiment de liberté.

"Si elle n’était ouverte qu’à quelques-uns, on pourrait penser que c’est une vraie liberté. L’ennui, c’est que le nombre, la masse va éloigner les destinations. En 1960, en France, la distance domicile-travail était 3 km en moyenne. On commence à diffuser la voiture individuelle dans les années 60, et, vers 1970, on a déjà doublé cette distance. 30 ans plus tard, vers les années 2000, on est à 15 km."

La liberté de se dire qu’on prend une voiture pour gagner du temps pour aller travailler est totalement fausse, on n’a jamais passé autant de temps à aller au travail qu’aujourd’hui, avec nos moyens super rapides.

Et pour le tourisme, c’est la même chose : aujourd’hui, pour aller chercher le dépaysement, il faut faire beaucoup plus de trajets en distance qu’il y a 50 ans. Le transport international par avion, en 17 ans, entre le SARS-CoV 1 de 2003 et le SARS-CoV 2 de 2020, a été multiplié par plus de 3. En moyenne, chaque jour, 5 millions de personnes changent de pays en avion, précise Laurent Castaignède.

Donc, il est évident que, quand la Chine décide de confiner Wuhan, c’est déjà trop tard, alors qu’il y a quelques années, cela aurait pu fonctionner. La pandémie aurait quand même eu lieu, mais elle se serait répandue beaucoup moins vite, aurait laissé plus de temps au vaccin d’être développé et diffusé.

Pourquoi les déplacements se sont-ils développés ?

Trois facteurs expliquent la bougeotte forcenée que nous connaissons aujourd’hui, selon Laurent Castaignède.

  • l’attirance vers l’ailleurs, l’injonction sociale à partir pour les vacances, le matraquage publicitaire qui incite au tourisme.
  • les moyens de transport mis à notre disposition, devenus rapides et bon marché
  • le refus de rester là où on est. Le logement est de plus en plus mal vécu. Le travail est devenu de plus en plus purement alimentaire. Les gens éloignent leur logement pour éloigner leur travail. Avec le télétravail, les gens ont encore plus envie de partir.

Il y a une culpabilisation omniprésente à ne pas partir en voyage, qui existait déjà dans la deuxième partie du 19e siècle, quand on encourageait la population à prendre les trains vers la côte. Mais il y a aussi une culpabilisation aujourd’hui à "aller voir quelque chose dont on sent qu’on participe à son effondrement en y allant", comme c’est le cas pour Venise.

Comment sortir de la dépendance aux transports ?

Laurent Castaignède ne donne pas de solutions toutes faites mais propose une réflexion.

Pour lui, les solutions seraient à chercher dans un renchérissement et un ralentissement des moyens de transport, mais avec bien sûr des aides, un accompagnement des gens qui en sont dépendants : en essayant par exemple de relocaliser au cas par cas, de rapprocher le travail du logement, pour sortir du monopole radical des transports.

Ecoutez les explications de Laurent Castaignède ici

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