Dans une enquête publiée dans le numéro du mois de mai, la Revue du Vin de France lève le voile sur ceux qui font du vin dans des terroirs inattendus, depuis les littoraux normands jusqu'aux terrils du Nord en passant par la Bretagne. Ces nouveaux jus sont-ils des accords d'avenir ? Eléments de réponse avec le rédacteur en chef, Jérôme Baudouin.
Ce n'est plus un secret pour personne : le changement climatique est en faveur d'une remontée des vignobles vers le nord. Mais vous démarrez votre enquête avec un autre argument expliquant la raison pour laquelle on plante des vignes dans des régions inattendues. Vous parlez de l'ouverture des droits de plantation. De quoi s'agit-il ?
Jérôme Baudouin : Au début du XXe siècle, une loi empêchait les régions en dehors des traditions viticoles de planter des vignes et ce, pour faire face aux problèmes en lien avec l'alcoolisme. A l'époque, des terroirs comme les Hauts-de-France ou la Normandie ne disposaient de toute façon pas des conditions climatiques pour la culture de la vigne, à la différence de la Bretagne. En 2016, l'Europe autorise de nouveau les plantations. Les amateurs se mettent alors à planter leurs propres vignes.
Au-delà de l'autorisation, y a-t-il vraiment de la place pour constituer de nouveaux vignobles en France ?
Complètement. Et on le constate déjà en Bretagne. Mais les conditions climatiques constituent toujours la contrainte. La vigne est une plante méditerranéenne. Y aura-t-il assez de soleil et de chaleur pour la faire pousser ? L'humidité ne constitue pas vraiment une problématique. La pluviométrie n'est pas un inconvénient. Le Pays basque où pousse la vigne est la région la plus pluvieuse de France. L'objectif n'est pas de cultiver du raisin de table mais certains types de cépages qui doivent avoir la capacité d'atteindre les douze degrés lors de la fermentation. On observe que selon les expositions, par exemple sur des terrils dans le Nord, cela fonctionne très bien.
Les vins issus de ces vignobles émergents sont-ils de qualité ?
On ne parle pas de grands vins mais ce sont des vignes encore très jeunes. Ce sont des vins agréables et simples. Bien sûr, il ne faut pas les imaginer comme des concurrents de la Bourgogne. Ce sont surtout des nectars blancs, qui demandent moins de concentration. Les vignerons progresseront avec le temps et l'expérience. Rappelons que cela concerne surtout des groupes de passionnés qui plantent leurs propres vignes.
A quelle échéance pourra-t-on boire les jus de ces vignobles émergents ?
A Deauville, un caviste a planté ses vignes en 2020. Il a prévu de commercialiser ses vins dès 2025. La première année est déjà vendue avant même les vendanges. Pour autant, il ne faut pas envisager le fruit de ces domaines comme de nouveaux produits partant à l'exportation. Leur consommation sera locale. Les volumes sont encore confidentiels. Il ne faudra pas les imaginer intégrer les rayons des grandes surfaces.
Peut-on comparer ces nouveaux vignobles français au dynamisme des nouveaux terroirs anglais ?
Des investissements colossaux ont été effectués en Angleterre pour produire des "sparkling". On parle dans ce cas de vignobles qui s'étendent sur des dizaines d'hectares. La démarche entrepreneuriale est vraiment importante de l'autre côté de la Manche. On trouve des vins qui talonnent de très bons vins effervescents français, voire des champagnes. La vigne est un sport de riches. Il faut de grands moyens pour passer d'une production entre copains à une entreprise économiquement viable. En Normandie, on a repéré une cinquantaine de producteurs de vins mais tous sont amateurs. Certains ont quelques rangs de pieds de vigne dans leur jardin. Il ne faut en aucun cas imaginer que l'on plante l'équivalent d'un vignoble comme Bordeaux en Normandie. Leur travail est surtout important pour sa dimension expérimentale. Ils démontrent qu'un nouveau modèle agricole est possible. En Bretagne, c'est autre chose : ce sont des professionnels, formés en Provence ou ailleurs, qui ont les connaissances pour repérer les endroits où s'implanter.