Pollution

La Californie ouvre une enquête sur la pollution plastique : "C’est David contre Goliath"

Un récupérateur de déchets trie les bouteilles en plastique à la décharge de Dandora, au Kenya.

© AFP or licensors

Par Martin Bilterijs avec Olivier Boulenc et AFP

L’État de Californie, aux États-Unis, a annoncé l’ouverture d’une enquête de grande envergure sur les responsabilités de l’industrie pétrochimique dans la pollution par le plastique. Le procureur général, Rob Bonta, a déclaré que le taux de recyclage "n’a jamais dépassé 9%" Ce chiffre est-il vérifié ? Cette action en justice va-t-elle créer un précédent ? Comment les États peuvent-ils réguler la production de plastique et son recyclage ? Nous avons rencontré deux responsables d’ONG environnementales.

  • Seulement 9% des déchets plastiques recyclés ?

Cela paraît très peu au regard des publicités ou autres campagnes de sensibilisation, et pourtant ce chiffre est bel et bien confirmé par l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques. Dans un rapport de février 2022, l’organisation déplore que les mesures prises pour réduire les rejets de plastiques dans l’environnement ne sont pas à la hauteur de l’enjeu : au niveau mondial, "seuls 9% des déchets plastiques sont recyclés, 19% sont incinérés, 50% sont mis en décharge et 22% échappent aux systèmes de gestion des déchets pour être abandonnés dans des décharges sauvages, brûlés à ciel ouvert ou rejetés dans les milieux terrestres ou aquatiques, en particulier dans les pays pauvres", précise l’OCDE.

Le chiffre au niveau européen est un peu plus élevé" selon Gaëlle Haut, chargée d’affaires européennes pour la Surfrider Foundation, qui milite pour la biodiversité marine, avant de nuancer : "On a environ 30% du plastique qui est collecté pour être recyclé. J’insiste : 'collecté pour être recyclé', ce qui ne veut pas dire qu’il est effectivement recyclé. Pendant tout un temps, l’Europe a envoyé ses déchets à l’autre bout du monde, tout en sachant qu’ils n’allaient pas être recyclés là-bas, en Asie par exemple. On a pu entendre la Chine qui a déclaré ne pas vouloir être la poubelle du monde."

La solution : réduire sa production à la source

"On connaît ces chiffres ; l’industrie connaît ces chiffres et cela fait des années que nous interpellons les décideurs pour leur dire : 'Attention au mirage et à tout ce qu’on peut vous faire croire en présentant le recyclage comme la solution'", déclare Gaëlle Haut. "La solution face à la déferlante de plastique – 460 millions de tonnes produites chaque année – c’est de réduire sa production à la source. On ne va pas s’en sortir avec un recyclage qui n’est pas satisfaisant pour de multiples raisons et qui n’apporte pas de solution."

Un constat partagé par Carine Thibaut, porte-parole de Greenpeace Belgique, qui complète : "La question centrale, c’est non pas le recyclage comme solution qui fait peser toute la responsabilité sur les consommateurs, mais bien travailler à une réduction de la production du plastique parce qu’on n’arrivera jamais complètement à tout recycler. Seulement 6% des plastiques produits aujourd’hui dans le monde sont issus du recyclage !"

  • Une action en justice, un précédent ?

"C’est historique !", avance Mme Haut, de la Surfrider Foundation. "Ça a tous les airs du combat de David contre Goliath : la société civile contre des gros producteurs de plastique. C’est historique parce que cela permet pour la première fois de révéler le lien entre l’industrie pétrochimique et sa responsabilité dans la crise plastique que l’on connaît."

Historique

"C’est une première étape vraiment importante pour la planète et la santé des populations", ajoute Carine Thibaut de Greenpeace.

L’enquête lancée jeudi par la Californie va examiner "les efforts passés et présents déployés par l’industrie" pétrochimique "pour duper le public" et déterminer en quoi "ces actions ont pu contrevenir à la loi", expliquent les services du procureur général dans un communiqué.

Consommer chaque semaine l’équivalent d’une carte bancaire

"Or, un moment donné, il y a aussi, à travers les campagnes publicitaires et tous les discours que l’industrie développe, une incitation à utiliser du plastique : il a été aussi utilisé durant la pandémie de Covid pour montrer que quelque chose qui était emballé par du plastique était plus sûr d’un point de vue sanitaire. Or, il y a beaucoup d’études scientifiques qui montrent qu’on trouve du plastique un peu partout au point qu’on est dans une situation où chaque individu se retrouve à consommer chaque semaine l’équivalent d’une carte bancaire" selon Carine Thibaut, qui se base sur une étude du WWF de 2019.

Si, toujours selon l’OCDE, la consommation de plastiques a baissé en 2020, c’est sans compter une augmentation des dépôts sauvages en raison de la consommation d’emballages pour la vente à emporter et l’utilisation d’équipements médicaux en plastique, comme les masques. De plus, cette consommation de plastiques est repartie à la hausse en 2021, à la faveur d’un rebond de l’activité économique.

La responsabilité des grands exploitants, comme Total ou ExxonnMobil

Sans compter que la plupart des plastiques utilisés aujourd’hui sont des matières fabriquées à partir de pétrole brut ou de gaz, "il est donc légitime d’appeler à la responsabilité des grands exploitants, comme Total ou ExxonnMobil", selon Gaëlle Haut. "La production de plastique génère des émissions de gaz à effet de serre à hauteur de 3,4% au niveau mondial", complète-t-on chez Greenpeace.

  • Quelles régulations ?

Ces chiffres posent une question, celle de la régulation : les fabricants de plastique sont-ils suffisamment encadrés dans le cadre de leur activité ? Les États en font-ils assez pour limiter cette pollution ? Non, selon l’OCDE, pour qui "la plupart des réglementations s’appliquent seulement à des articles particuliers comme les sacs en plastique, qui représentent une très faible part des déchets plastiques, et sont plus efficaces pour lutter contre les dépôts sauvages de déchets que pour faire reculer la consommation de plastiques."

En Europe, on pense à la directive "SUP" (pour Single Use Plastic), que la Belgique a transposée dans son droit.

Les grandes entreprises ne sont pas régulées

"Les grandes entreprises ne sont pas régulées, elles n’ont pas d’obligation sur la question du recyclage du plastique" tranche C. Thibaut de Greenpeace. "C’est pour cela que nous plaidons pour la mise en place d’un traité international juridiquement contraignant. Il faut savoir que ces grandes entreprises ont tout fait pour bloquer les négociations autour de ce traité dont les négociations vont débuter en fin d’année, tout fait pour limiter la mise en place de ce traité international parce que cela ferait trop de mal à leurs finances."

Le mois dernier, l’ONU a donné au Kenya le coup d’envoi de négociations pour arriver à un traité mondial contre la pollution plastique. Un traité qui inclurait tout le cycle de vie du plastique : de la production (extraction des matières premières) jusqu’au déchet en passant par la consommation et l’ensemble de ses impacts sur la biodiversité et la santé humaine.

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