Coronavirus

La Chine publie enfin l’analyse d’écouvillons du marché de Wuhan : le chien viverrin, nouveau suspect ?

© Getty Images

Par Johanne Montay avec AFP

C’était très attendu et cela vient d’arriver. La communauté scientifique internationale réclamait cette transparence depuis 3 ans. L’analyse d’écouvillons prélevés sur le marché de gros de fruits de mer de Huanan (dans la ville de Wuhan) lors des premières semaines de la pandémie de Covid-19 vient d’être publiée dans le journal scientifique Nature. Il s’agit de la première publication revue par les pairs.

Les séquences avaient antérieurement été libérées par des chercheurs chinois sur la base GISAID (une initiative scientifique mondiale qui donne accès aux données génomiques devenue la référence pour les séquences du SARS-CoV-2, le 4 mars dernier, avant d’être mystérieusement retirées.

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Le chien viverrin, ce nouveau suspect

Dans leur publication parue ce 5 avril dans Nature, les auteurs rapportent que dès le 1er janvier 2020, après la fermeture du marché de Huanan, 923 échantillons ont été prélevés dans l’environnement par les Chinois, notamment sur des étals, des cages, dans les eaux usées dans et autour du marché. Puis, à partir du 18 janvier, 457 échantillons ont été prélevés sur 18 espèces d’animaux, y compris sur des invendus présents dans les frigos, sur des animaux errants et dans un aquarium.

Le test de recherche par PCR s’est avéré positif pour 73 des 923 échantillons prélevés dans l’environnement. Mais aucun virus n’a été détecté sur les animaux testés. Par contre, et c’est là que c’est particulièrement intéressant, des niveaux élevés d’ADN d’une espèce, le chien viverrin (un omnivore qui ressemble à un raton laveur, mais qui est un canidé) ont été retrouvés dans des écouvillons qui ont été testés positifs pour le SARS-CoV-2.

Le chien viverrin ne figurait pas parmi les 18 espèces d’animaux testés. Le fait de trouver des niveaux élevés de son ADN dans l’environnement, tout comme d’ailleurs celui d’autres animaux, prouve qu’il pourrait avoir été présent sur le marché avant sa fermeture.

Les résultats soutiennent donc l’hypothèse selon laquelle le SARS-CoV-2 serait d’origine animale et naturelle, alors que d’autres scientifiques n’excluent toujours pas celle d’une fuite de laboratoire, même si le niveau de probabilité de la première hypothèse est nettement supérieur.

Des données publiées puis retirées

L’histoire de la publication de ces données est pleine de rebondissements : le 12 mars 2023, l’Organisation Mondiale de la Santé avait été informée que de nouvelles séquences du SARS-CoV-2 et de nouvelles données sur des échantillons prélevés sur le marché de fruits de mer de Huanan avaient été mises à disposition sur la plateforme d’échange GISAID. Mais cette transparence n’avait pas duré.

Les données, découvertes entretemps, téléchargées et étudiées par des chercheurs internationaux, parmi lesquels la biologiste de l’évolution française Florence Débarre, au CNRS, à Paris, ont ensuite été retirées, officiellement pour permettre au Centre chinois de contrôle et de prévention des maladies (China CDC) de les mettre à jour. Contacté par l’OMS, le CDC chinois a expliqué à l’époque que ces données génomiques constituaient la base d’une actualisation attendue d’une prépublication, que le CDC était en train de soumettre à Nature pour publication, ce qui est aujourd’hui chose faite.

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Il reste de nombreuses inconnues

En définitive, cette publication dans Nature le 5 avril dernier ne met pas un terme à la polémique scientifique sur l’origine du virus. Eric Muraille, immunologiste et biologiste (ULB) et directeur de recherche au FRS – FNRS, estime cependant que "l’origine zoonotique naturelle reste la plus crédible à ce jour. De très nombreux virus adaptés à l’humain (HIV, etc.) ont émergé naturellement ces dernières décennies. L’origine zoonotique du SARS-CoV-1 et du MERS-CoV est bien acceptée".

"Les dernières données publiées par Nature démontrent la colocalisation sur le marché de Wuhan d’ADN de chien viverrin et d’ARN du SARS-CoV-2. Ce qui fait de cet animal l’hôte intermédiaire le plus crédible entre la chauve-souris et l’humain, poursuit l’immunologiste. Toutefois, cette publication ne prouve pas que ces animaux étaient infectés par le virus, pas plus qu’elle ne prouve que ce sont ces animaux qui ont amené le virus sur le marché. Elle ne permet donc en rien de trancher entre les différentes hypothèses expliquant l’émergence de ce virus (échappement de laboratoire versus origine zoonotique naturelle)."

Un article de Nature Briefing consacré aux réactions scientifiques à la publication de ces données conclut également que ce dernier rapport publié dans Nature donne du poids à la théorie de l’origine naturelle du virus. Certaines espèces comme les chiens viverrins ont le potentiel de transmettre le SARS-CoV-2.

Cependant, certains experts interrogés par le journal soulignent des incohérences dans la publication de Nature, notamment le fait que l’article identifie le matériel génétique des pandas, des rats-taupes et des chimpanzés. Or, tuer un panda entraîne la condamnation à mort en Chine et il n’y a pas de trace de panda sur le marché. Cette bizarrerie pourrait provenir d’une contamination d’échantillons en laboratoire ou d’un mauvais traitement de données.

En conclusion, la communauté scientifique estime que d’autres données sont nécessaires, mais le temps passe, et la Chine reste la plus à même d’encore pouvoir livrer des séquences datant du début de la pandémie.

L’OMS appelle la Chine à plus de transparence

D’après l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), la Chine dispose de données scientifiques supplémentaires qui permettraient de mieux comprendre l’origine du Covid-19. L’OMS a réitéré ce jeudi ses appels à la transparence.

"Sans un accès complet aux informations dont dispose la Chine […] toutes les hypothèses (sur l’origine du virus, ndlr) sont sur la table. C’est la position de l’OMS et c’est pourquoi nous avons demandé à la Chine de coopérer", a déclaré le directeur général de l’OMS, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, en conférence de presse. "Si elle le fait, nous saurons ce qui s’est passé ou comment cela a commencé", a-t-il dit.

Quant aux données récemment publiées par la Chine, elles montrent, d’après la Dre Maria Van Kerkhove, qui dirige la lutte contre le Covid à l’OMS, qu’il y a des éléments de preuve moléculaires prouvant que des animaux étaient vendus sur le marché. "On s’en doutait, mais nous n’en avions pas la preuve", a-t-elle indiqué. "Nous savons également que dans les échantillons testés positifs pour le SARS-Cov-2, il y avait de l’ADN d’animaux", a-t-elle ajouté. Tous ces éléments sont "des indices" qui peuvent être utilisés pour mieux comprendre l’origine du virus, a-t-elle indiqué, comparant le travail des scientifiques à celui d’un "détective".

Mais tant que toutes les données n’auront pas été publiées, notamment sur l’origine de ces animaux, aucune hypothèse ne peut être écartée, selon l’épidémiologiste américaine. Dans un éditorial publié jeudi dans la revue Science, elle a également assuré : "La Chine dispose de capacités techniques avancées et je pense donc qu’il existe davantage de données qui n’ont pas encore été partagées". Nous savons que certains ont des informations supplémentaires et nous avons besoin que les scientifiques, les professionnels de la santé publique et les gouvernements partagent ces informations. Il ne s’agit pas d’un jeu", a-t-elle encore dit pendant la conférence de presse.

Le focus: Éric MURAILLE, biologiste et immunologiste à l’ULB

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