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"La colonisation, c’est aussi l’histoire de la Belgique" : deux activités pour découvrir Bruxelles d’une manière décoloniale

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Par Maxime Maillet via

La colonisation belge du Congo constitue l’une des pages les plus sombres de notre histoire. Elle fait toujours l’objectif d’un très vif débat au sein de notre société. Que faire de ces traces (noms de rue, parcs, statues) qui glorifient la colonisation ? Vivre ici vous propose deux activités – l’une plus militante, l’autre plus institutionnelle – pour nourrir votre réflexion.

Pour découvrir et questionner notre patrimoine colonial, le collectif "Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations" organise des visites guidées depuis plusieurs années. Le collectif citoyen, panafricain et décolonial s’inscrit avant tout dans une démarche pédagogique. "Pour nous, il faut conscientiser les citoyens et leur montrer en quoi la colonisation est directement en lien avec le racisme que vivent encore aujourd’hui les communautés afro-descendantes de Belgique. " explique Aliou Baldé, guide pour le collectif depuis 5 ans.

Ce travail de conscientisation passe notamment par l’espace public  des traces de cette propagande coloniale sont toujours bien visibles aujourd’hui. " Cet espace n’a rien de neutre ! Il a été mis en place par des décisions politiques. Cet espace n’est donc pas le reflet de l’histoire, mais est un espace de mémoire. Et une mémoire biaisée de ce qu’a été réellement la colonisation" complète le jeune homme.

Pour Aliou Baldé, l’enjeu est donc fondamental : il s’agit bien de reconstruire l’identité nationale belge. " On a malheureusement inscrit dans le conscient et l’inconscient collectif que la colonisation ne concernait que les Congolais. Or, l’histoire de la colonisation constitue aussi l’histoire de la Belgique. On doit construire nos identités d’une autre manière que ce que la propagande coloniale a fait jusqu’à présent. "

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Adopter une approche systémique

Ces dernières années, notre actualité a été marquée par des statues déboulonnées : des figures fortes comme Léopold II ou le Général Storms ont concentré toute l’attention et la colère citoyenne. De son côté, le collectif a décidé de mettre l’accent sur une approche systémique : ses membres ne cherchent pas à condamner les actions d’un homme en particulier, mais plutôt de critiquer et de déconstruire le système colonial dans sa globalité. " Il ne s’agit pas de défendre le passé de ses grands-parents et leurs bonnes intentions au Congo, et d’en tirer comme conclusion que la colonisation a bien eu des effets positifs. Il faut se décentrer de sa position personnelle " explique Aliou Baldé.

Pour comprendre cette approche systématique, le guide utilise une métaphore imagée, celle de l’éléphant. " Quand on est trop proche de l’éléphant, on ne le voit pas. Il faut alors prendre du recul pour voir l’animal dans son entièreté. Dans le cadre de la colonisation, on doit d’abord interroger le système en tant que système et puis seulement entrer dans ses particularités. "

Une quinzaine de visites thématiques

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Au total, une quinzaine de visites sont proposées – principalement à Bruxelles – et développent des thématiques propres : les centres de décision et Léopold II, le rôle des militaires belges dans la conquête du Congo, la question de la restitution et des zoos humains, les vagues migratoires africaines dans le quartier Matongé, la place des femmes dans la colonisation, la problématique de " Tintin au Congo " ou encore les rapports entre l’Union européenne et l’Afrique aujourd’hui.

L’une de ces visites nous emmène autour de l’Université Libre de Bruxelles et aborde le rôle central des universités et des institutions scientifiques dans la production du savoir colonial qui a permis de légitimer un système de domination et des théories racistes. " L’un des héritages visibles, ce sont les 14 crânes que l’université possède toujours officiellement. Ces êtres humains n’ont pas du tout donné leur corps à la science. Ils ont servi à des théories racistes comme la craniométrie*, " explique Aliou Baldé. " Ici, l’un des enjeux, c’est la réparation qui passe par la restitution : donner une sépulture digne à ces personnes, retrouver leur famille, faire un véritable travail d’archives, etc. Tout n’est pas réparable, mais on peut réparer certaines choses. "

Cet été, le collectif en collaboration avec ULB-Coopération a d’ailleurs lancé un podcast gratuit et immersif sur cette visite guidée. Durant 1h30, les auditeurs et auditrices explorent neuf lieux emblématiques du campus du Solbosch et leurs liens avec l’histoire coloniale belge au Congo.

Quant aux autres visites guidées, plusieurs sont organisées chaque mois. Pour connaître les dates exactes de ces visites, rendez-vous sur memoirecoloniale.be.

* La craniométrie est une pratique scientifique du XIXème siècle consistant à mesurer le crâne des différentes " races humaines ".

L’Africa Museum de Tervuren

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Deuxième étape de cette balade décoloniale : l’Africa Museum ou le Musée Royal de l’Afrique centrale. Créé en 1897, sous l’impulsion du roi Léopold II, ce musée a d’abord été conçu comme une ode à la colonisation.

Depuis le début de sa rénovation en 2013 jusqu’à sa réouverture en décembre 2018, le musée a entrepris un véritable changement de cap. " Je pense que les gens ne se rendent pas compte des changements internes au musée. Le musée reconnaît aujourd’hui le caractère oppressif, autoritaire, raciste de la colonisation. Il s’en distancie tout en apportant une relecture du passé accessible au grand public à travers des ateliers et des visites guidées " explique Marie-Reine Iyumva, collaboratrice du musée.

Ce changement se manifeste aussi à travers un renouvellement de l’équipe qui est désormais plus jeune et plus diversifiée. " J’en suis la preuve ! Au sein du musée, nous avons maintenant des travailleurs afro-descendants qui ont une autre sensibilité et qui peuvent discuter de la politique interne, éducative avec un autre œil " complète Marie-Reine.

Outre le retrait d’œuvres racistes, le musée expose désormais des artistes africains contemporains dans des expositions temporaires.

Le petit bijou marbré du musée

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La Grande Rotonde – pièce maîtresse du musée – constitue l’un des symboles les plus frappants de cette transformation.

Au départ, elle était décorée pour rendre hommage à Léopold II et à la colonisation : on y trouvait le buste du roi, son monogramme – le double L – un peu partout, l’étoile du drapeau de la colonie sur le sol. "Cet endroit devait faire rentrer la Belgique dans la perspective d’une puissance coloniale" explique François Makanga, guide conférencier depuis la réouverture du musée.

Le long des murs, dans des corniches, on peut toujours voir 14 statues au service de la propagande coloniale. Les Africains y sont globalement représentés comme des êtres inférieurs à civiliser : les hommes noirs sont réduits à une taille d’enfant, les femmes noires sont fortement sexualisées, les personnages sont toujours occupés à des activités physiques primaires, et non intellectuelles. " Toutes ces statues étaient là pour travailler les imaginaires à une certaine perspective de ce qu’étaient censés être l’Afrique et les Africains. "

Sous les feux des critiques, le musée a alors décidé de laisser la place à un artiste congolais, Aimé Mpané avec deux énormes statues pour contrecarrer la portée politique et propagandiste. " L’une – Crâne du chef Lusinga* – représente le passé et les exactions commises par le régime léopoldien. La seconde – Nouveau souffle ou le Congo bourgeonnant – incarne l’avenir radieux et la valeur refuge du Congo, à savoir les gens. " détaille le guide conférencier. " Le visiteur est ainsi invité à circuler dans cette rotonde et à regarder le passé et l’avenir des relations entre la Belgique et le Congo. "

Le projet RE/STORE – issu de la collaboration entre Aimé Mpane et de l’artiste belge Jean-Pierre Müller – a complété l’aménagement de la salle. Des voiles semi-transparents sont disposés devant les statues colonialistes. La superposition de ces œuvres anciennes et contemporaines permet ainsi une relecture de ce lourd héritage colonial.

*Ce titre fait référence au raid de l’officier belge Émile Storms sur le village de Lusinga en 1884, expédition au cours de laquelle la tête du chef fut tranchée avant d’être emportée en Belgique.

AfricaTube : l’Africa Museum laisse la parole à la jeunesse congolaise

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L’AfricaTube – la nouvelle salle de l’Africa Museum – vous invite à aller à la rencontre de la jeunesse de la République démocratique du Congo et à découvrir comment ces jeunes utilisent les nouvelles technologies pour parler de leur culture, de leur histoire et de leur identité.

Cette salle vous présente – tous les six mois – plusieurs vidéos issues des plateformes en ligne comme Youtube : aussi bien des clips musicaux que des témoignages face caméra. Parmi les premières vidéos, vous pourrez par exemple retrouver celle qui a donné son nom à l’exposition : " Kamindwa Mindwa " du groupe de breakdance et beatmaking Cyclone rouge. En langue Kiluba, " Kamindwa Mindwa " désigne à la fois l’auriculaire, mais aussi une chanson qui reprend les doigts de la main. Outre l’aspect pédagogique et mnémotechnique, l’univers visuel du clip évoque la période coloniale et les jeux d’avant l’ère numérique.

En ce sens, le groupe est représentatif de la scène contemporaine congolaise qui se réapproprie son patrimoine ancien et critique l’oppression coloniale. "Redonner de la fraîcheur aux cultures traditionnelles n’est donc pas pour eux une simple mise en rythme, mais c’est aussi porter une voix engagée sur l’histoire et la mémoire collective " peut-on lire sur le site internet du musée. Ce travail de réappropriation entre évidemment en résonance avec le changement de cap entrepris par l’Africa Museum qui souhaite offrir une vision contemporaine et décolonisée de l’Afrique.

L’Africa Museum est ouvert en semaine de 10h à 17h, les week-ends et les congés scolaires de 10h à 18h. Plus d’informations sur le site internet du musée.

* Cet article a été écrit en août 2021, actualisé en avril 2022*

 

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