Politique

La Commission européenne propose de nouvelles règles budgétaires pour les États membres : quelles conséquences pour la Belgique ?

La Commission européenne propose de nouvelles règles budgétaires (par A. Capelle)

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Par Jean-François Noulet, avec AFP

C’est à ce stade une proposition de la Commission européenne que les eurodéputés et les États membres de l’Union européenne devront encore discuter. En cas d’accord, la Commission espère une mise en œuvre avant la fin de l’année. Il s’agit de moderniser les règles budgétaires de l’UE. Les règles du Pacte de stabilité et de croissance remontent en effet à la fin des années 1990 et sont aujourd’hui considérées comme trop complexes, trop rigides et mal appliquées.

Ces règles ont d’ailleurs été suspendues au début 2020 pour éviter un effondrement de l’économie européenne touchée par la pandémie de Covid. Elles devraient faire leur retour fin 2023.

Ce sera peut-être sous une nouvelle mouture puisqu’une réforme est envisagée. La Commission a présenté sa vision des choses mercredi. C’est une tentative de compromis entre les demandes de certains pays, du Sud notamment, d’avoir plus de flexibilité et les priorités d’autres pays, Allemagne en tête, d’avoir un cadre réglementaire strict.

L’objectif de la réforme proposée par la Commission

"Leurs défauts n’ont été que trop évidents", a constaté, à propos des règles du Pacte de stabilité, le commissaire européen à l’Economie, Paolo Gentiloni, en présentant la proposition de réforme.

L’objectif des nouvelles règles avancées par la Commission est "d’assurer une réduction plus graduelle mais aussi plus régulière des niveaux de dette tout en accélérant la croissance", a-t-il résumé.

La Commission propose de maintenir les règles de base qui encadrent le déficit des administrations publiques des États membres. On garderait donc l’objectif de maintenir à maximum 3% du Produit Intérieur Brut (PIB) le déficit budgétaire. Quant à la dette publique, elle devrait toujours être contenue à 60% du PIB.

Ce qui changerait, c’est que la Commission accorderait plus de marge de manœuvre aux États membres pour atteindre ces objectifs. Les règles actuelles, très strictes, prévoyaient un contrôle des finances publiques de chaque État membre annuellement avec, par exemple, des amendes en cas de dérapage. Ces règles n’étaient quasi-pas respectées. Les appliquer aurait plongé les pays les plus endettés dans des cures d’austérité insoutenables. Ces règles ont aussi, dans certains cas, freiné les politiques d’investissement des États.

À l’avenir, propose la Commission, on ferait preuve de souplesse. On travaillerait sur une période d’au moins quatre ans. Ce serait aux États membres de présenter leurs plans, leurs trajectoires budgétaires, les réformes et les investissements envisagés. La Commission et les autres États membres évalueraient ces plans. On contrôlerait chaque année si l’on va dans la bonne direction, par exemple.

Les bons élèves en matière de réformes et d’investissements obtiendraient un délai supplémentaire puisque la période prévue pour remettre les finances publiques sur les rails pourrait aller jusqu’à sept ans.

L’Europe accepterait ainsi, par exemple, qu’un État creuse son déficit pour investir dans la transition énergétique ou dans des secteurs porteurs d’avenir comme le numérique. À long terme, l’État serait gagnant. C’est davantage l’évolution des dépenses d’un État que son déficit qui serait jugée.

Des règles plus strictes pour les États plus endettés

Pour satisfaire les exigences de l’Allemagne, la Commission imposerait quand même d’autres contraintes aux États qui dépassent les seuils de 3% du PIB pour le déficit et de 60% du PIB pour la dette publique.

Ces pays devraient faire plus d’efforts pour maintenir le déficit public sous 3% "à moyen terme". On leur demanderait un effort minimum de réduction du déficit de 0,5% du PIB par an tant que ce ratio sera au-dessus de 3%.

Cela concernerait directement la Belgique dont la dette publique avoisine aujourd’hui les 105% du PIB et dont le déficit budgétaire dépasse les 4% du PIB.

Quelles conséquences pour la Belgique ?

La Belgique y gagnerait ou y perdrait-elle avec ce changement des règles du Pacte de stabilité et de croissance ?

On peut d’abord se demander quelle serait la réalité des sanctions que l’Europe imposerait à un État qui ne respecte pas ses objectifs budgétaires. "On pourrait penser que cela resterait sans conséquences tout comme les dépassements passés sont restés sans conséquences", avertit Etienne de Callataÿ, économiste chez Orcadia. Mais il vaudrait mieux se méfier de ce raisonnement, car estime Etienne de Callataÿ, "pour la Belgique, il y a un risque réel", un risque de perdre des subventions européennes. "Le robinet européen donne plus d’argent aujourd’hui qu’il n’en donnait à l’époque. Donc, la menace d’une coupe dans les subventions européennes est plus forte aujourd’hui qu’elle ne l’a jamais été", selon Etienne de Callataÿ.

On pourrait donc voir dans cette réforme proposée par la Commission une forme d’officialisation d’une manière d’opérer qui est déjà une réalité puisqu’aujourd’hui des fonds européens sont mis en balance, comme on le voit en Belgique, avec des réformes en matière de pension, par exemple. "Si on continuait à avoir des finances publiques qui sont très loin de ce que souhaite l’Europe, de ce que l’on considère comme souhaitable, nous pourrions être sanctionnés" explique l’économiste d’Orcadia.

La proposition de la Commission européenne inclut en effet, pour chaque État, une sorte d’analyse des risques en matière de soutenabilité de la dette. Et là, la Belgique ne marque pas vraiment des points. "La Belgique, en termes d’analyse de risque n’est pas très bien positionnée à cause de l’importance du déficit actuel, de l’importance de la dette actuelle et à cause de l’importance de la dette implicite du vieillissement", explique Michel Saintrain, expert en finances publiques au Bureau Fédéral du Plan. "Ces trois éléments nous positionnent parmi les États de la zone euro qui font face aux risques de soutenabilité les plus importants", ajoute-t-il.

Pour l’expert du Bureau du Plan, les nouvelles règles proposées par la Commission ne changeraient dès lors pas grand-chose pour la Belgique lors des premières années de leur mise en œuvre. "Pour la première année de son démarrage, le nouveau cadre ne serait pas moins exigeant en termes d’ajustement pour la Belgique que l’ancien cadre", explique-t-il. Bref, il faudrait faire des efforts et cela rejoint les récentes recommandations du Conseil Supérieur des Finances. Celui-ci a suggéré aux autorités du pays que le déficit public de l’ensemble des administrations publiques belges revienne en dessous de 3% à l’horizon 2026.

"Si l’on réussit à réaliser cela, une partie non négligeable du chemin est déjà faite", souligne Michel Saintrain du Bureau Fédéral du Plan. Cela permettrait en effet de se rapprocher des objectifs que pourrait fixer l’Europe à la Belgique lors des quatre premières années de mise en œuvre des nouvelles règles du Pacte de stabilité. Une fois ces objectifs atteints, l’Europe n’exigerait plus de retourner à l’équilibre budgétaire, à la différence des règles du cadre actuel. "C’est une différence importante parce qu’on garde une marge pour financer des investissements par l’emprunt", explique Michel Saintrain.

C’est d’ailleurs ce qui peut être considéré comme positif pour la Belgique. Avec ces nouvelles règles, l’Europe accepterait plus volontiers qu’un État membre s’endette pour des investissements de qualité. "L’amélioration, c’est qu’on met une dose de qualitatif en plus de la dose de quantitatif", se félicite Etienne de Callataÿ. "On comprend qu’il ne faut pas se focaliser sur un chiffre, 3% ou 60%, mais aussi tenir compte de la manière", poursuit-il. "Un pays qui dépenserait beaucoup pour la transition environnementale et qui, de ce fait, dépasserait les 3% mènerait vraisemblablement une bonne politique", ajoute l’économiste d’Orcadia. Cela ouvre donc la porte à plus de facilités pour dépenser en matière de transition énergétique, par exemple.

Encore faut-il avoir de l’argent à investir… Et là, la Belgique n’a pas autant de moyens qu’elle le souhaiterait en raison de sa situation financière. "Les marges d’investissement sont difficiles à trouver dans un contexte où il faut faire des ajustements budgétaires pour revenir à une trajectoire qui, au moins, stabilise la dette et idéalement la fait baisser", relève Michel Saintrain au Bureau Fédéral du Plan.

"Certains pays ont un grand déficit budgétaire parce qu’on y investit beaucoup", explique Ivan Van de Cloot, économiste en chef au groupe de réflexion Itinera. "Mais la Belgique a un grand déficit, pas parce qu’elle investit beaucoup", poursuit-il. Ce qui coûte aux finances belges, c’est le fonctionnement de l’État, les dépenses publiques. "L’Europe va cibler aussi le rythme d’évolution des dépenses publiques et là, la Belgique a une faiblesse. Ses dépenses publiques ont toujours eu une augmentation plus importante que la croissance économique", ajoute Ivan Van de Cloot.

Pour à la fois maîtriser son déficit budgétaire, maintenir sa dette publique sous contrôle et s’attirer les bonnes grâces de la Commission européenne, la Belgique devra faire davantage preuve de discipline budgétaire et mieux utiliser son argent. "La solution à tous nos problèmes, ce n’est pas plus d’argent. Dans certaines circonstances, la solution c’est moins d’argent qui oblige à repenser le système", estime Etienne de Callataÿ. Et de donner l’exemple du système fiscal belge, complexe à mettre en œuvre. "On a autant d’agents du fisc en Belgique qu’aux Pays-Bas qui sont pourtant 60% plus peuplés. Mais ça n’a pas l’air de donner moins de fraudes fiscales chez nous qu’aux Pays-Bas", avance Etienne de Callataÿ.

Certains estiment cependant que la nouvelle formule imaginée par la Commission en matière de Pacte de stabilité et de croissance permettra de dégager des marges pour plus de discussion avec l’Europe et pour davantage tenir compte de la situation du pays. "La Commission européenne aura plus de pouvoir discrétionnaire pour entamer des négociations avec un pays", relève Ivan Van de Cloot, économiste en chef du groupe de réflexion Itinera. "Si un pays veut plus de temps pour les ajustements, la Commission pourra les accepter à condition que l’on fasse des réformes, par exemple dans les pensions", poursuit Ivan Van de Cloot.

Quoiqu’il arrive, nouveau Pacte de stabilité et de croissance ou pas, l’assainissement des finances publiques belges restera une nécessité.

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