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La Cosa Nostra, la Belgique et des œuvres d’art...

Alfonso Capone, dit Al Capone

© Getty Images – Bettmann Archive – Bettmann

Par Gérald Decoster via

Si l’on s’en tient à la définition du Petit Robert (oui, le dictionnaire de la langue française…), la mafia est un mot sicilien signifiant hardiesse, vantardise ; c’est un " réseau d’associations secrètes siciliennes très puissant, qui contrôle le pays par le racket et la loi du silence "… Quand on pense Mafia, on pense immédiatement Al Capone… Mais, si le nom de famille de l’organisation est Mafia, ses prénoms sont nombreux… et, évidemment, "la pieuvre" est présente en Belgique.

Depuis qu’elle est née sur Trinacria – surnom donné par les Grecs à la Sicile, du fait de sa forme triangulaire – la Mafia s’est non seulement étendue sur la planète, d’où son surnom de pieuvre, tout en s’internationalisant : voici quelques " prénoms ", selon ses lieux d’implantation : Ndrangheta calabraise, Camorra napolitaine, triades de Hong-Kong, Cosa Nostra new-yorkaise… mais aussi (entre autres) Mocro Mafia ou encore The Turtles en Belgique. (https://www.moustique.be/actu/belgique/2021/10/27/belgique-terre-de-mafias-214616).

Outre le fait d’influencer de nombreuses décisions politiques et de nombreux marchés nationaux et internationaux, les " commerces " de prédilection de la Mafia, ce sont le trafic de drogue et d’armes. Mais il en est un autre qui est celui du marché de l’art. En Belgique, cette section est, sans doute possible, florissante puisque le Royaume est considéré comme l’une des plaques tournantes en la matière.

En février 2020, saisie de 3 tonnes de cocaïne sur le port de Livourne, en Italie
En février 2020, saisie de 3 tonnes de cocaïne sur le port de Livourne, en Italie © - Getty Images

La facilité d’œuvrer dans le trafic d’art est renforcée depuis qu’en 2016, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Jan Jambon, avait décidé de supprimer la cellule Arts et Antiquité de la police fédérale. De nombreuses réactions avaient toutefois conduit à conserver un service minimum : un commissaire et quelques agents de support. Ce 1er janvier 2022, la police fédérale a mis un terme au reliquat de la cellule, ouvrant ainsi toutes grandes les portes à tous les trafics d’œuvres d’art.

Il est de notoriété publique que la Mafia apprécie l’art. Si certains de ses membres sont même de véritables esthètes et collectionneurs, les œuvres d’art constituent une valeur refuge sous bien des aspects. En 2018, il a été établi par le Fonds monétaire international que 10% du marché de l’art mondial, soit plus de 67 milliards de dollars, ressortait de l’économie souterraine, en grand partie gérée par la Mafia… Quel en était la part belge ?

Le journaliste et écrivain italien Roberto Saviano, de passage à Bruxelles en décembre 2010
Le journaliste et écrivain italien Roberto Saviano, de passage à Bruxelles en décembre 2010 © - Getty Images

Roberto Saviano, l’auteur de Gomorra, a écrit ceci : " Aujourd’hui, l’art est le principal canal de recyclage de l’argent sale ". Les facilités rencontrées en Belgique, non seulement pour se fournir en œuvres d’art – qu’il s’agisse d’achats ou de vols – mais aussi comme territoire pour le transit international, ne peuvent qu’encourager les mafias présentes sur notre territoire d’en user.

Mafia, art et blanchiment d’argent.

Rien de plus simple. Tout d’abord, des fonds malhonnêtement acquis peuvent être facilement blanchis en les transformant en œuvres d’art. Mais, une fois acquises, ces pièces peuvent se revendre… C’est une évidence, la valeur de l’art est fluctuante. Il semble que la Mafia possède des méthodes pour faire baisser les prix, dès lors, une œuvre achetée à une somme intéressante peut, par d’autres techniques, prendre de la valeur. Il suffit alors de la revendre au moment propice. Bingo !

Parmi les endroits propices à l’achat d’œuvre d’art, les Foires d’antiquités et d’art…
Il y a aussi les antiquaires…
… mais encore, les salles de ventes.

Quant au trafic, rien de bien compliqué. Qu’elles soient le fruit de vols commis en Belgique ou de provenance étrangère, les œuvres d’art sont chez nous dans ce que l’on pourrait qualifier d’eldorado. Les redistribuer dans le monde entier n’est pas fondamentalement laborieux.

En Belgique, il y a de nombreux amateurs d’art. Il y a aussi de nombreuses salles de vente et, il semblerait, que toutes ne sont pas d’une transparence cristalline. Les mafieux peuvent dès lors compter sur le fait que la police, plutôt axée sur le trafic d’armes et de stupéfiants, y est peu présente…

De nombreuses mafias usent aussi de procédés qui ont mené à la naissance d’un nouveau terme : l’archéomafia. Le mouvement est parti d’Italie et s’étend désormais au Proche-Orient. Non content de fouiller des sites archéologiques avant les scientifiques, des mafieux passent des accords avec certains ouvriers travaillant sur des sites de fouille qui, se rendant compte qu’ils vont faire une découverte, appellent la mafia, plutôt que leurs supérieurs !

En décembre 2021, des dizaines d’œuvres et d’objets volés saisis aux Etats-Unis sont de retour en Italie
En décembre 2021, des dizaines d’œuvres et d’objets volés saisis aux Etats-Unis sont de retour en Italie © - Getty Images

Une autre astuce très simple porte le nom de stratégie de l’empilement : une œuvre indélicatement acquise, est vendue à un petit musée local dont les responsables sont parfois parfaitement conscients qu’il s’agit d’un recel, mais ils se font couvrir par un expert qui y trouvera son compte. Par la suite, le musée revend la pièce à une institution un peu plus importante, et ainsi de suite, jusqu’au moment où la pièce sera acquise par un musée de niveau international. C’est ainsi que des institutions prestigieuses se trouvent parfois mêlées à de sombres histoires d’objets volés.

Le panneau original des Juges Intègres, de Van Eyck
La copie du panneau, réalisée vers 1939-1940 par Joseph Van der Veken

En Belgique, la cellule Art et Antiquités était toujours à la recherche du panneau des Juges intègres de l’Agneau Mystique, dérobé en 1934 ; c’est dire que, non contente de rechercher les objets d’art volés sur le territoire, sa mission était aussi de traquer les œuvres dérobées à travers le monde et passant par chez nous. Pour cela, parmi les focus de ses enquêteurs, il y avait les catalogues de vente, la visite chez des antiquaires parfois indélicats ou des collections privées du même acabit. Désormais, comme le dit Ignacio de la Serna, procureur général de Mons dans Le Soir de ce 3 février 2022, à propos de la cellule Art et antiquités : " Sa suppression ? De la Folie !…Vous êtes mafieux, trafiquants, criminels en col blanc ? Et bien, venez vous installer en Belgique. Vous pourrez prospérer… La disparition de la cellule est " un vrai scandale parce que tout est lié, le trafic, le blanchiment, la corruption, même le terrorisme… "

 

A voir, dans Retour aux sources, ce samedi 5 février à 21 heures sur La Trois, "Cosa Nostra, de Palerme à New York", ou l’incroyable histoire des liens entre la Cosa Nostra américaine et sicilienne.

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