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La Cour pénale internationale a vingt ans. Le bel âge ?

Le bâtiment de la Cour pénale internationale à La Haye, aux Pays-Bas

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Par Myriam Baele

En discrétion, derrière les échos de la guerre en Ukraine, des incendies en France ou des bouchons des vacanciers de juillet, la Cour pénale internationale (CPI) fête un double anniversaire.

Ce 17 juillet, en 1998, 120 états ont signé un traité, baptisé le "statut de Rome": l’acte qui a fondé une Cour pénale internationale permanente. Et en juillet 2002, quatre ans plus tard, la "CPI" était affectivement inaugurée à La Haye, aux Pays-Bas.

C’était il y a vingt ans. Ces deux décennies d’existence ne sont pas venues à bout de l’idéal que la CPI incarne, ni de ses maladies de jeunesse et controverses.

Une cour pour une justice internationale

123 pays ont aujourd’hui ratifié ce "statut de Rome". La naissance de cette Cour, c’était l’espoir de voir comparaître et condamner, par une justice internationale, de grands criminels de guerre, des génocidaires. La fin de l’impunité pour les actes les plus graves.

Le "statut de Rome" délimite clairement la portée de la CPI. La cour peut faire comparaître quelqu’un pour crime de guerre, crime d’agression, crime contre l’humanité et génocide. La CPI ne peut enquêter, poursuivre et juger des personnes, que si l’État concerné a ratifié le "statut de Rome" et que s’il ne mène pas ce travail judiciaire lui-même.

L’idée d’instaurer une juridiction internationale était ancienne. Le procès de Nuremberg, dans la foulée de la 2e guerre mondiale, avait conforté l’idée que de grands criminels pouvaient être jugés par une cour internationale.

Les Etats qui avaient signé et ratifié ce statut voulaient voir naître une juridiction permanente qui punisse les criminels, mais aussi qui reconnaisse les victimes et qui prévienne d’éventuels crimes ultérieurs, une justice régulatrice.

Comment fonctionne la CPI ?

La CPI dispose d’un budget annuel de 158 millions d’euros. 900 personnes travaillent pour elle. A sa tête, un procureur général, pour le moment il s’agit du Britannique Karim Kahn. La cour est composée de 18 magistrats.

Quand une enquête commence, une chambre préliminaire instruit le dossier en rassemblant des preuves. Puis elle peut engager des poursuites et délivrer des mandats d’arrêts.

Une personne sous mandat d’arrêt est susceptible d’être interpellée dans les 123 Etats qui ont ratifié ou rejoint le statut de Rome. Jusqu’à son arrestation, sa liberté de mouvement est donc déjà fortement limitée. Une fois arrêtée, cette personne sera détenue dans une prison des Pays-Bas en y attendant son procès.

Aujourd’hui, des enquêtes de la CPI sont ouvertes dans 16 Etats. Une quarantaine de mandats d’arrêt sont délivrés. Mais en 20 ans, seules cinq personnes ont été condamnées par la Cour pénale internationale, tous ressortissants d’Afrique subsaharienne. Il y a décalage entre les ambitions initiales de la CPI et ce bilan-là. Pourquoi ?

De grands Etats absents

Pourquoi si peu de condamnations, alors que les attentes étaient si grandes ? Il y a beaucoup d’obstacles à ces enquêtes, ces arrestations, ces comparutions.

L’une des faiblesses de la CPI date de ses premières heures : les grands Etats n’en font pas partie et ils s’assurent ainsi une relative immunité. Certains n’ont pas signé le statut de Rome, d’autres l’ont fait mais ne l’ont pas ratifié, d’autres encore s’en sont retirés. Le résultat est que les Etats-Unis, la Russie, Israël, la Chine, la Syrie, l’Inde… sont absents.

Leurs ressortissants ne peuvent donc faire l’objet de poursuites de la CPI que si le crime a été commis sur le territoire d’un autre Etat, un état signataire. Un ressortissant russe ne pourrait donc pas être poursuivi par la CPI pour des actes commis en Russie, mais il pourrait l’être sur le territoire ukrainien.

Et puis, il y a aussi des infidélités de certains Etats signataires, qui retardent des arrestations. Ainsi l’ex-Président soudanais Omar El-Béchir, sous mandat d’arrêt de la CPI pour génocide et crimes contre l’humanité au Darfour, a continué de voyager notamment dans des pays parties prenantes de la CPI, avant d’être interpellé.

Une procédure lente aux nombreuses complications

Un autre reproche fréquemment adressé à la CPI est la lenteur de la procédure. Depuis l’ouverture d’une enquête jusqu’à la fin d’un appel, il faut compter une moyenne de dix ans. C’est long pour les victimes mais aussi pour certains prévenus, susceptibles de mourir avant l’issue du procès.

Pour mener à bien l’instruction, il faut aussi analyser une grande quantité de preuves. A la naissance de la Cour, les enquêteurs brassaient du papier. Aujourd’hui s’y ajoutent de très nombreux documents numériques, des vidéos d’exactions, des photos dont il faut recouper la fiabilité, retracer la provenance, identifier les intervenants.

Et sur ce processus long, pèse aussi l’influence de certains Etats, soit pour que la CPI entame des poursuites contre tel dirigeant, soit pour qu’elle les range dans un tiroir. Cela fait dire aux détracteurs de la CPI qu’elle applique une justice sélective.

Un exemple ? Les Etats-Unis, même sans être partie prenante de la CPI, ont fait pression dernièrement. En mars 2020, la CPI annonçait l’ouverture d’une enquête sur des crimes présumés en Afghanistan, des crimes commis par les talibans, par les forces de sécurité afghanes, mais aussi par l’armée américaine et le personnel de la CIA, l’agence américaine de renseignement.

En réponse, Donald Trump, alors Président américain, avait édicté des sanctions personnelles à l’égard de la Procureure du CPI. Quelques mois plus tard, le Procureur général suivant n’a plus inclus les actes de militaires américains ou de la CIA dans la mission d’enquête menée en Afghanistan : les crimes des Talibans sont plus récents, pires et prioritaires, avait-il argumenté.

La CPI va-t-elle juger les crimes commis en Ukraine ?

Pour ses 20 ans, la CPI pourrait entamer un travail d’ampleur, qui répondrait aux controverses. Les exactions commises en Ukraine devront être documentées, instruites, poursuivies, jugées par la justice internationale.

Huit jours à peine après l’invasion russe, la CPI annonçait déjà l’ouverture d’une enquête en Ukraine. En pleine guerre, des experts internationaux y récoltent déjà des preuves des crimes subis par populations, avec la contribution de la justice Ukrainienne. Et le Procureur général de la CPI Karim Kahn s’est déjà rendu sur place.

Le Procureur général de la CPI, Karim Khan, devant des décombres à Kharkiv en Ukraine, mi-juin.
Le Procureur général de la CPI, Karim Khan, devant des décombres à Kharkiv en Ukraine, mi-juin. © AFP or licensors

La question de la guerre en Ukraine

Mais le procès aura-t-il lieu, pour autant, devant la CPI ? Ce n’est pas sûr.

Malgré ces démarches de la CPI, créée de façon permanente pour traiter de telles situations, les criminels de la guerre en Ukraine pourraient ne pas comparaître devant ses juges. Ils pourraient être poursuivis plutôt par un tribunal international spécial dédié à l’Ukraine, temporaire, comme il y en a eu pour l’ex-Yougoslavie ou le Rwanda.

Cette option est sur la table aujourd’hui. Elle a la faveur du Président Ukrainien Volodymyr Zelensky, mais aussi du Parlement européen et du Conseil de l’Europe. Cette option permettrait d’éviter un écueil, parmi d’autres, de la CPI : la CPI ne juge jamais un absent.

Dans le cas de l’Ukraine, si une responsabilité du Président russe Vladimir Poutine (ou de hauts militaires russes) pouvait un jour être établie, quelle serait la probabilité que la CPI parvienne à le faire arrêter pour pouvoir le juger ? Un tribunal international spécial peut, pour sa part, juger quelqu’un qui n’a pas pu être amené au prétoire, qu’il s’appelle ou non Vladimir Poutine.

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