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La crise des sous-marins connaît son épilogue : retour sur ce contrat gigantesque aux conséquences diplomatiques mondiales

Cette photo prise le 2 mai 2018 montre le président français Emmanuel Macron et le Premier ministre australien Malcolm Turnbull debout sur le pont du HMAS Waller, un sous-marin de classe Collins exploité par la Royal Australian Navy, à Garden Island à Syd

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Par Victor de Thier

L’amitié avec l’Australie est précieuse. Ce n’est pas parce qu’un gouvernement dans l’histoire a manqué à sa parole que nous devons oublier notre relation stratégique.

Ces mots prononcés ce samedi par le ministre français des Armées Sébastien Lecornu semblent définitivement mettre un terme à la crise diplomatique qui dure depuis plusieurs mois entre la France et l’Australie, suite à l’annulation soudaine d’un gigantesque contrat pour la construction de sous-marins.

Les propos du ministre font suite à un accord de compensation dévoilé dans la nuit de vendredi à samedi entre le fabricant français de sous-marins Naval Group et l’Australie. "Je prends acte que cet accord convient à Naval Group […] cet accord est important parce qu’il va nous permettre d’ouvrir une nouvelle page dans notre relation bilatérale avec l’Australie et de regarder vers l’avant", a-t-il ajouté.

Pourtant l’apaisement entre les deux nations était loin d’être acquis il y a quelques mois, tellement ce contrat a suscité des tensions diplomatiques. Entre "coup dans le dos", rappel de diplomates et réactions internationales, retour sur cette crise diplomatique inédite entre la France et ses alliés anglo-saxons.

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Un contrat à 56 milliards d’euros

Tout commence en décembre 2016, lorsque la France et l’Australie décident de conclure un marché portant sur la construction de sous-marins par le fabricant français Naval Group.

Ce gigantesque contrat – initialement conclu pour 34,3 milliards d’euros et réévalué plus tard à 56 milliards d’euros – prévoit la fourniture de 12 sous-marins conventionnels, une version non nucléaire dérivée des futurs sous-marins français Barracuda.

Il est également convenu que la France partage une partie de ses connaissances technologiques pour que l’Australie puisse concevoir en totale souveraineté des sous-marins au-delà des 12 sous-marins du programme initial.

Les sous-marins doivent être construits à Adelaïde et l’industriel français s’engage à ce que 60% de la valeur du contrat soit dépensé en Australie, créant environ 2800 emplois sur place. Objectif : démarrer la fabrication des sous-marins en 2022, pour une première mise à l’eau en 2030.

Pour la France, ce contrat ne représente pas seulement une importante rentrée d’argent. Il a également pour enjeu la place du pays en tant que puissance géopolitique du Pacifique et de l’océan Indien.

On va jusqu’à parler de "contrat du siècle" chez nos voisins.

"Un coup dans le dos"

Le 15 septembre 2021, au cours d’une allocution conjointe avec le président américain Joe Biden et le Premier ministre britannique Boris Johnson, le Premier ministre australien Scott Morrison annonce mettre fin au contrat avec Naval Group au profit de la nouvelle alliance tripartite AUKUS formée par ces trois pays.

Ce sont finalement les États-Unis ou le Royaume-Uni qui fourniront à l’Australie huit sous-marins nucléaires d’attaque.

Le président américain Joe Biden annonce la création de l’alliance AUKUS avec le Premier ministre britannique Boris Johnson et le Premier ministre australien Scott Morrison, le 15 septembre 2021.
Le président américain Joe Biden annonce la création de l’alliance AUKUS avec le Premier ministre britannique Boris Johnson et le Premier ministre australien Scott Morrison, le 15 septembre 2021. © Tous droits réservés

Pour la France, c’est la douche froide. "C’est vraiment, en bon français, un coup dans le dos", s’indigne le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian suite à cette annonce. "Nous avions établi avec l’Australie une relation de confiance. Cette confiance est trahie", lance-t-il, lui qui avait conclu ce contrat lorsqu’il était ministre de la Défense.

Notre décision s’est basée sur ce qui est dans l’intérêt de notre sécurité nationale.

Pour justifier sa décision, l’Australie dit avoir eu de "sérieuses réserves" concernant les sous-marins français. Elle évoque non pas un "changement d’avis", mais un "changement de besoin".

"Nous avions besoin d’un sous-marin à propulsion nucléaire et nous avons examiné nos options", déclare à l’époque le ministre australien de la Défense, Peter Dutton, en réponse aux critiques. "Les Français avaient une version qui n’était pas supérieure à celle qui est utilisée par les Etats-Unis et le Royaume-Uni, et en fin de compte, notre décision s’est basée sur ce qui est dans l’intérêt de notre sécurité nationale."

Washington ajoute que la France a été mise au courant de ce nouvel accord avant l’annonce publique, ce que celle-ci a toujours fermement démenti.

Tensions diplomatiques

Les arguments évoqués par les pays membres de cette nouvelle alliance ne convainquent pas la France, qui multiplie les gestes diplomatiques forts dans les semaines qui suivent.

Celle-ci décide de rappeler ses ambassadeurs en Australie et aux États-Unis, une première dans son histoire. Le gala censé célébrer les 240 ans de la bataille de la baie de Chesapeake est également annulé par l’ambassade de France à Washington. Les négociations entre l’Australie et l’Union Européenne concernant un accord commercial de libre-échange sont interrompues pendant un mois.

Les réactions internationales ne tardent pas également. Charles Michel, président du Conseil européen dénonce le "manque de loyauté" des Etats-Unis alors que la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen juge "inacceptable" la manière dont la France a été traitée. La Chine s’en mêle en mettant en garde Canberra contre son accord d’achat de sous-marins à propulsion nucléaire. Des propos qui avaient alors suscité les moqueries de l’Australie.

La rupture du contrat n’aura en revanche finalement pas de conséquences sur l’Otan, malgré les appels de l’opposition à revoir la position de la France au sein de l’organisation politico-militaire. Au contraire, les pays membres n’ont eu d’autres choix que de renforcer leur coopération, suite à l’invasion de la Russie en Ukraine dans les mois qui ont suivi.

Extrait du JT du 21/09/2022

Affaire des sous-marins : la France hausse le ton à l'ONU

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Une confiance rompue

Le 28 octobre, le président français Emmanuel Macron s’entretient avec Scott Morrison pour la première fois depuis le début de la crise. Trois jours plus tard, il assure "savoir" que le Premier ministre australien lui a menti dans cette affaire.

Les relations entre les deux pays vont rester glaciales jusqu’à l’élection en mai d’Anthony Albanese, de centre gauche, et le départ de Scott Morrison. Dès son arrivée, le nouveau Premier ministre australien s’empresse de rétablir une relation de confiance avec la France.

Le président français Emmanuel Macron salue le Premier ministre australien Scott Morrison au palais de l’Élysée à Paris, le 15 juin 2021.
Le président français Emmanuel Macron salue le Premier ministre australien Scott Morrison au palais de l’Élysée à Paris, le 15 juin 2021. © Tous droits réservés

Des discussions ont également lieu entre le président français Emmanuel Macron et le président américain Joe Biden, qui reconnaît que les États-Unis ont été "maladroits" dans leur manière d’agir.

"Regarder vers l’avant"

Près de neuf mois après l’annonce de la rupture du contrat, un accord de compensation est finalement conclu entre l’Australie et Naval Group. Le pays dédommage le fabricant de sous-marins à hauteur de 555 millions d’euros.

Le nouveau Premier ministre australien déclare que l’entreprise française a accepté un "règlement juste et équitable". Du côté du gouvernement français, on "prend acte" et on souhaite "regarder vers l’avant".

Au total, l’échec du contrat des sous-marins français aura coûté 2,4 milliards de dollars aux contribuables australiens.

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