Alors que le cacaoyer est une plante d’Amérique latine, qui aime à se développer dans les forêts tropicales, les plus gros pays producteurs sont des pays de l’Afrique de l’Ouest, où une culture en plein soleil, favorisant la déforestation, est pratiquée. "En Côte d’Ivoire, au Ghana et Nigéria, les trois principaux producteurs de cacao, on a dit aux cultivateurs que les rendements allaient être meilleurs, qu’il allait y avoir moins de maladies, avec des monocultures en plein soleil, explique Béatrice Wedeux, chargée de plaidoyer sur les forêts au WWF. Pour adopter ces pratiques, ils vont donc déboiser, brûler, couper les grands arbres pour éviter qu’il y ait de l’ombre. C’est pour cela que l’on a une déforestation liée aux cultures de cacao”, tout un paradoxe pour une plante de milieux ombragés.
Pour faire face à la demande croissante de chocolats, la Côte d’Ivoire et le Ghana ont subi un taux croissant de déforestation ces dernières années, avec une partie ayant lieu dans des réserves naturelles protégées. Pour combattre cette perte de biodiversité, si riche en région tropicale, il est nécessaire de pouvoir retracer l’origine du cacao jusqu’à la ferme, et que les autorités de ces pays prennent leur responsabilité en termes de législation. "En 2018, il y a eu un grand moment, où ces pays ont signé, avec des acteurs privés, l’Initiative pour le cacao et les forêts. Ils se sont engagés à ce qu’il n’y ait plus de déforestation causée par la culture de cacao. Malheureusement, force est de constater que depuis la mise en place de ces accords, la déforestation continue et même, augmente dans ces pays. Clairement, c’était beau sur le papier, mais pour la mise en œuvre des actions requises pour que ça devienne réalité, ça peine à avancer. Un des gros points, notamment, est le système de traçabilité jusqu’au producteur”, précise Béatrice Wedeux.
L’enjeu de la traçabilité
Elle ajoute : "La traçabilité, c’est un outil qui va permettre de voir s’il y a une déforestation : à partir du moment où on a une localisation, on va pouvoir dire, avec des images satellites, s’il y a une déforestation ou pas. On va également pouvoir vérifier les conditions de travail, notamment le travail des enfants.” Mais pour l’instant, selon le dernier rapport de "Beyond Chocolate", une initiative belge pour un chocolat durable, regroupant les grands acteurs du chocolat du pays, seul 6% du chocolat produit chez nous à un niveau de traçabilité qui permet de s’assurer qu’il ne participe pas à la déforestation.
“Particulièrement dans le secteur du cacao, les prix payés aux producteurs sont dérisoires. Beaucoup d’entre eux sont dans une extrême pauvreté. Un des objectifs de "Beyond Chocolate" est d’atteindre le “revenu vital”, qui est au-dessus du seuil de pauvreté. Un revenu qui assure que la famille ait un filet de sauvetage en cas de souci, ils peuvent se permettre d’envoyer leurs enfants à l’école, etc.”
“Je veux faire aussi la nuance, dire que la pauvreté est la source de la déforestation, ce n’est pas vrai non plus. Des prix plus élevés, ça peut aussi inciter des producteurs à aller déboiser pour produire plus, donc il faut qu’il y ait des revenus équitables, des bonnes conditions de vie, et avoir des bonnes législations en place, qui sont bien appliquées. Il faut donner des incitations pour l’adoption de techniques de production plus responsables, pour passer par exemple en agroforesterie. Avec ce genre d’agriculture, on va avoir plus de structures verticales et ça peut permettre à certaines espèces de revenir, et aussi créer des corridors écologiques entre des espaces préservés, et ainsi permettre aux espèces de voyager entre les îlots de forêts protégées.” Tout en rappelant que l’agroforesterie reste une "forme de dégradation de la forêt", qui peut porter atteinte à la biodiversité d’une forêt tropicale vierge.
Légiférer au niveau des pays importateurs de cacao
Si du côté des pays producteurs de cacao, les outils législatifs n’évoluent pas, plus haut dans la chaîne de production, c’est en cours de discussion. “La bonne nouvelle, c’est que l’Union européenne est en train de négocier une nouvelle législation, qui, si elle est adoptée, demanderait que les entreprises démontrent qu’elles n’utilisent pas un cacao qui participe à la déforestation. Et donc, le consommateur pourrait, l’esprit serein, acheter du chocolat en étant certain qu’il n’a pas contribué à détruire les forêts.”
“Il y a bien sûr toujours du lobbying, notamment sur ces critères de traçabilité. Ce que la Commission européenne, c’est qu’il faudrait pouvoir dire pour d’où vient un produit jusqu’au niveau de la ferme. C’est là que certaines entreprises disent que c’est très cher ou pas faisable. C’est quelque chose qui est attaqué par certains acteurs du secteur privé ou certains États membres. Mais ce qui est positif c’est que beaucoup d’acteurs du secteur du chocolat se sont positionnés en faveur de cette législation, ce qui a vraiment joué sur l’ambition de la législation. Donc pour l’instant, ce n’est pas évident, mais avec ce projet de législation, on espère que l’on pourra dire que tous les produits chocolatés sur les étagères des supermarchés n’ont pas contribué à la déforestation.”